.jpg)
La petite histoire du dating
Dans la jungle de l’amour moderne, nos petits cœurs ne sont plus qu’à un swipe du prochain date. Les applis qui promettent de nous caser fourmillent sur le marché, au point d’avoir fondamentalement repensé nos modes de rencontre. Selon un sondage Ifop (2022), “la fréquentation [des applications] s’est banalisée au point d’avoir doublé en dix ans” et en 2023, Médiamétrie enregistrait en France 2,3 millions de visiteurs uniques quotidiens sur Tinder, Grindr, Bumble, etc. Retour sur un business amoureux qui depuis des siècles, capitalise sur la norme du couple.
Un courrier dépositaires des intentions amoureuses
Avant que les algorithmes ne créent une offre amoureuse exponentielle, des personnes en chair et en os se chargent de faire matcher les gens. Certaines femmes, comme des couturières en Grande-Bretagne, jouent parfois le rôle d’intermédiaires dans l’Ancien Régime mais la pratique reste officieuse et discrète. C’est à partir de la Révolution française que l’entremise de célibataires en vue d’un mariage commence à s’afficher dans l’espace public.
Des journaux se consacrent à la formation de mariages, comme le Courier de l’hymen, fondé en 1791. Ce bihebdomadaire affiche un objectif louable : “Il deviendra dépositaire des intentions des parents, des jeunes gens, des célibataires, des veuves qui auraient le désir d’établir leurs enfants, de suivre le penchant de leur coeur, ou qui voudraient former de nouveaux nœuds”. Durant ses 13 numéros d’existence, il se propose aussi de diffuser les témoignages et confidences anonymes de femmes victimes de violences conjugales.
Le potentiel lucratif du mariage
Quelques décennies plus tard, au début du XIXème siècle, le courtage matrimonial se professionnalise. Fraîchement libéré de prison où on l’avait incarcéré pour tentative d’assassinat sur l’empereur Napoléon, un certain Claude Villiaume se reconvertit en agent d’affaires et crée une agence spécialisée dans divers domaines, dont la mise en couple de célibataires. Il commence par diffuser des descriptions factuelles de ses client⸱es : l’âge, les ressources financières et certaines caractéristiques, avant de publier des lettres “ni revue[s] ni corrigée[s]” où hommes et femmes décrivent eux-mêmes leurs attentes avec sincérité.
Pleinement investi dans son job prolifique de Cupidon, le courtier fait paraître ces mots dans les colonnes anonymes de ses Petites Affiches. Le mariage s’avère rentable et Claude Villiaume, qui détient le monopole, lance une mode : en 1911, soit un siècle plus tard, un juriste estime qu’il existe 150 agences agences matrimoniales à Paris et une dizaine dans chaque grande ville de France. En 1885, Le Chasseur Français, un mensuel français, est créé : il est spécialisé dans la chasse, la pêche… et les petites annonces matrimoniales, qui perdurent encore aujourd’hui.
Speed dating et World Wide Web
À la fin des années 1990, la rencontre amoureuse s’accélère en même temps qu’elle se rentabilise. Comptant bien préserver la culture juive grâce à des mariages intracommunautaires, le rabbin États-Unien Yaacov Deyo organise des rencontres groupées. Réuni⸱es autour d’une table, les célibataires ont quelques minutes pour apprendre à se connaître, avant de changer d’interlocuteur⸱ice. À l’issue du rendez-vous, il ne reste plus qu’à glisser à l’organisateur sa préférence. Les premiers speed dating sont nés : plus de choix sur un temps limité, dans le but de creuser des affinités naissantes et de nexter les autres.
Surtout, les années 90 voient naître Internet et avec lui, les premiers sites de rencontre qui suppriment la nécessité d’un⸱e entremetteur⸱se physique. En 1995, le site Match.com ouvre le bal et offre un pendant numérique aux petites annonces des journaux. Plusieurs sites lui emboîtent le pas, dont Netclub.fr et Amoureux.com en France, qui sera plus tard racheté par Meetic. Leader sur le marché français au début des années 2000, le site de Meetic est verni d’une féminité stéréotypée où la couleur rose et un romantisme pudique dominent. Sur un marché de la rencontre 2.0 bouillonnant et concurrentiel, il s’agit de se démarquer : en 2008, on compte quelque 1 045 sites destinés aux célibataires français.es, bien que leur usage reste tabou.
La dominante du swipe
À mesure que l’ordinateur se fait une place au sein des foyers et que le téléphone portable glisse doucement vers le smartphone, les applications commencent à fleurir. Leur plus-value ? Chercher des célibataires directement proches de leurs usager⸱es, grâce à la géolocalisation. En 2009, l’application Grindr vise le marché des célibataires homosexuels et en 2012, c’est au tour de Tinder d’apparaître dans le paysage et les usages. Détenu par Match Group, déjà propriétaire du pionnier Match.com et de Meetic, l’appli se distingue par l’action du swipe, qui permet de faire défiler les profils jusqu’au bon match.
Gagnant en popularité, Tinder démocratise le swipe au point de détrôner les lieux de sociabilité où se formaient initialement les couples – le cercle amical, le travail, les études. Et puisque tout le monde ou presque file désormais sur les applis après une rupture, le stigmate qui entourait encore la rencontre affective numérique dans les années 2000 est peu à peu balayé. La rencontre digitale est assumée, bien qu’on accuse les apps d’avoir tué le romantisme des “vraies” rencontres, dans un espace-temps palpable.
L’offre potentielle devenue infinie, on découvre aux swipes un côté addictif, tandis que la métaphore de la surconsommation est souvent utilisée pour dépeindre le dating régi par des algorithmes. Alors que la journaliste Judith Duportail popularise l’expression “dating fatigue”, des initiatives lient les usages contemporains aux vieilles méthodes, comme ladelicatessedesmots sur Instagram – devenue ambassadrice de l’app adopte – qui publie des lettres d’anonymes au cœur à prendre. “Je rêve de vivre en Asie un jour et de cacio et pepe en Italie tous les jours. Si cette lettre te plaît, écris-moi”. Les intéressé⸱es, pas besoin de prendre la plume pour répondre : un DM suffira.