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La petite histoire du cunni au cinéma

Retour sur les plus grands moments de gamahuchage au ciné, et les controverses qui les ont accompagnés.

Par
Anaïs Bordages
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En 2021, le cunni cinématographique était partout: en chanson dans Annette, fervent dans Benedetta, plein de mélancolie dans Julie en 12 chapitres, ou encore couvert de règles dans The Souvenir Part II… Une présence assez importante pour être notée, car le cunnilingus, une pratique pourtant très répandue dans la vraie vie, reste un tabou au cinéma. La preuve: depuis ses premières apparitions à l’écran jusqu’à aujourd’hui, il n’a cessé de créer des controverses.

Cunnis historiques

Quand on pense à la représentation « typique » d’un cunnilingus à l’écran, on s’imagine sans doute une variation de cette scène un peu clichée entre Halle Berry et Billy Bob Thornton: un homme qui disparaît discrètement entre les jambes d’une femme, tandis que cette dernière pousse des cris d’extase et jouit en cinq secondes chrono. Mais il existe mille cunnis de cinéma: les cunnis facétieux (American Pie), les cunnis fruités (La saveur de la pastèque), les cunnis poétiques (Je tu il elle), les cunnis crus et désespérés (Romance), les cunnis par derrière (In The Cut), les cunnis passionnels (Just a Kiss), les cunnis 100% male gaze (La Vie d’Adèle) et les cunnis 100% female gaze (Red Road).

Le sexe poétique de Je tu il elle
Le sexe poétique de Je tu il elle
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En fait, les gâteries clitoridiennes sont présentes dès les débuts du cinéma: on en trouve des représentations très graphiques dès 1907, dans l’un des plus anciens films pornographiques au monde, El Sartorio. Le gamahuchage occupe également une place centrale dans le court métrage pornographique français À l’Écu d’or ou la bonne auberge (1908), qui met en scène le plan à trois d’un couple et de leur femme de ménage.

En 1933, on assiste à la première représentation d’un orgasme féminin dans le cinéma mainstream, grâce au film Extase de Gustav Machatý, qui met en scène l’actrice et inventrice Hedy Lamarr. Cette scène de sexe, une des premières de l’histoire du cinéma, est tout en symbolismes, et ne montre pas l’acte à proprement parler. On aperçoit brièvement le visage de l’homme posé tendrement sur les jambes de la femme, puis, la caméra se focalise sur le visage de cette dernière, en pleine jouissance. Pour signifier l’apogée du plaisir, le montage coupe vers le collier de perles de l’héroïne jeté au sol.

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Aux États-Unis, Extase précède de peu la mise en place du code Hays, un texte appliqué entre 1934 et 1966, qui vise à rendre les productions hollywoodiennes plus morales. Sous ce régime puritain d’autocensure, la nudité est interdite dans les films, tout comme la représentation graphique d’un quelconque acte sexuel – autant dire que les cunnis ne seront plus au programme pendant un petit bout de temps. Les réalisateurs les plus talentueux contourneront ce code avec ingéniosité, comme Hitchcock et son fameux plan de train pénétrant dans un tunnel dans La Mort aux trousses.

Polémiques

Quelques années plus tard en France, Louis Malle nous offre le premier vrai cunni de l’histoire du cinéma, avec Les Amants. Dans le classique sorti en 1958, une femme mariée, jouée par Jeanne Moreau, se lance dans une liaison passionnée avec un inconnu rencontré sur la route. La longue scène d’amour entre les deux personnages, encore une fois, fonctionne par omission: la tête de l’homme descend doucement le long du corps de la femme pour disparaître du champ, tandis que l’héroïne semble parcourue d’une extase de plus en plus puissante. C’est finalement un plan sur sa main, jetée au-dessus de sa tête dans un ultime abandon, qui indique l’orgasme. Tout est dans la suggestion, pourtant, cette scène fait déjà scandale: le niveau de nudité paraît choquant pour les spectateurs de l’époque, et le film sera carrément censuré en Grande-Bretagne.

Dans Les Amants, on retrouve le collier de perles aperçu dans Extase.
Dans Les Amants, on retrouve le collier de perles aperçu dans Extase.
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Aux États-Unis, un exploitant de l’Ohio est inculpé pour « obscénité » en 1964 après avoir montré Les Amants; l’affaire ira jusqu’à la Cour Suprême, qui tranche en faveur du film. Ce jugement permet de mieux définir quelles productions peuvent être considérées comme pornographiques; désormais, seule la pornographie « hard-core » sera jugée obscène. C’est d’ailleurs lors de cette affaire qu’un juge prononcera la fameuse phrase : « je ne saurais pas comment définir la pornographie, mais je sais en reconnaître quand j’en vois ».

Dans les années 70, les mœurs se libèrent, et l’ère du « porno chic » bat son plein, avec des productions pornographiques léchées (sans mauvais jeux de mots) comme Gorge Profonde. L’heure est à la prise de risques, et la représentation frontale du cunni se démocratise. Il apparaît de manière fugace (mais graphique) dans le film horrifique Ne Vous Retournez Pas, ou plus longuement dans le péplum Caligula, qui retrace le règne de l’Empereur sur fond de débauche romaine. Le producteur de ce dernier, Bob Guccione, fondateur du magazine porno Penthouse, décide carrément d’aller contre l’avis du réalisateur et de rajouter des scènes pornographiques tournées a posteriori. Parmi elles, une très longue séance de cunnis entre deux femmes qui n’a clairement aucun rapport avec le reste de l’intrigue. Caligula est désavoué par son scénariste et son réalisateur, Gore Vidal et Tinto Brass, et éviscéré par la critique. Pour éviter que le film ne soit diffusé que dans des salles de X, le producteur loue ses propres cinémas pour le diffuser. Une version « soft » du film sera finalement montée un an après la sortie.

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Classifications

Derrière le cunni, et le sexe au cinéma en général, une question revient donc sans cesse: la classification des œuvres. Si le code Hays est bel et bien révolu, le sexe graphique peut encore s’avérer fatal pour un film: Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi en ont fait les frais avec leur adaptation corrosive de Baise-Moi en 2000. D’abord interdit aux moins de 16 ans, puis classé X quelques jours après sa sortie, le film est de facto tué dans l’œuf en étant retiré des salles. C’est à la suite de cette débâcle que la catégorie de films interdits aux moins de 18 ans sera mise en place.

Aux États-Unis, la catégorie NC-17 (interdit aux moins de 17 ans) est créée en 1990 pour la sortie du film Henry & June, qui raconte le triangle amoureux entre Anaïs Nin, Henry Miller et sa femme June. La raison principale de cette classification ? Une scène de cunnilingus.

Le NC-17 refait la une des journaux en 2010, lorsque sort Blue Valentine de Derek Cianfrance. Dans ce drame romantique sur le déchirement d’un couple, Ryan Gosling passe entre les jambes de Michelle Williams pour une scène plus tendre qu’érotique. Or, l’interdiction aux moins de 17 ans limite les possibilités de diffusion du film, ainsi que ses chances aux cérémonies de remises de prix. L’équipe de Blue Valentine est outrée, surtout que Black Swan, qui contient une scène de cunni tout aussi graphique entre Mila Kunis et Natalie Portman, n’a reçu qu’une classification R (ce qui veut dire que les moins de 17 ans doivent être accompagnés d’un adulte). Après un appel, la classification de Blue Valentine sera finalement modifiée pour obtenir un R.

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Encore aujourd’hui, la frontière entre cinéma et pornographie est sans cesse débattue. Avec Nine Songs, présenté à Cannes en 2004, Michael Winterbottom espère provoquer une réflexion sur la façon dont on voit le sexe au cinéma. Le cinéaste britannique filme ainsi la romance passionnelle d’un couple hétéro, avec de longues scènes non-simulées et on ne peut plus explicites. En 2006, John Cameron Mitchell tente lui aussi de briser les tabous autour du sexe à l’écran, avec son chef d’œuvre queer Shortbus, qui contient également des scènes non-simulées. Une fois n’est pas coutume, c’est au festival de Cannes que les cunnis les plus osés ou les plus inventifs font souvent leur apparition. Et si l’on en croit les réactions à Benedetta, accusé par certains d’objectifier gratuitement ses actrices lors de l’édition 2021, le sujet n’a pas fini de faire réagir.