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La petite histoire des grandes révolutions cinématographiques

De la caméra au téléphone portable.

Par
Benoît Lelièvre
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URBANIA et h264 s’unissent pour vous faire découvrir le film Très belle journée, premier long métrage québécois tourné entièrement sur téléphone portable.

La magie du cinéma, c’est de disparaître derrière son produit. Quand on s’assoit devant un film en salle ou à la maison, les équipes de tournage, la production, le département marketing et le gars qui fume constamment des topes sur le plateau – dont tout le monde ignore la fonction officielle – deviennent tou.te.s invisibles. Ça correspond à une dizaine de personnes s’il s’agit d’un film local indépendant à très petit budget, et à plusieurs centaines si vous regardez le dernier film de Roland Emmerich, dans lequel la lune sort de son axe parce qu’elle est habitée par des extraterrestres biomécaniques ancestraux.

Cet acte de disparition n’a pas toujours été aussi fluide et élégant. Aujourd’hui, regarder un film est l’équivalent de plonger dans la mémoire d’une personne ayant vécu des événements dramatiques et extraordinaires. Ça permet de vivre des émotions fortes par procuration pendant deux heures. La prodigieuse transparence du cinéma est le produit de la passion et de l’innovation de ses nombreux et nombreuses artisan.e.s, mais aussi de décennies d’avancées technologiques.

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Retraçons ensemble comment, en un peu plus d’un siècle, on est passé du théâtre et de l’opéra à une forme d’art narratif populaire et excitante accessible dans le confort de son foyer.

Préhistoire et antiquité des vues

À la base, le cinéma lui-même est une révolution technologique et une innovation artistique. Bien que L’Arrivée du train en gare de La Ciotat soit étudié dans tous les départements de cinéma de la planète, les frères Lumière n’avaient pas la prétention d’avoir inventé une nouvelle forme d’art en commercialisant le cinématographe. C’était une machine à enregistrer la réalité. Un genre de Kodak qui bouge.

Les frères Lumière n’avaient pas la prétention d’avoir inventé une nouvelle forme d’art en commercialisant le cinématographe.

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Leur premier film narratif, L’arroseur arrosé, était un heureux incident. Une sorte de TikTok préhistorique de 41 secondes structuré autour des codes de mise en scène du théâtre burlesque, qui avait pour but d’explorer les capacités de leur invention. Cette blague très « tarte à la crème dans ta gueule » a ouvert la caverne d’Ali Baba créative pour tou.te.s les artistes de l’époque : Alice Guy-Blaché, Georges Méliès et compagnie, qui transformeront ce Kodak qui bouge en machine à rêves.

Malgré d’innombrables innovations stylistiques et narratives, les limites du cinéma silencieux étaient claires. Les films silencieux avaient l’air d’une forme très élaborée de « flipbooks » agrémentée d’intertitres. Un joueur ou une joueuse d’orgue était sur place pendant la projection afin d’expliquer intuitivement le ton des images présentées.

Dès 1919, l’inventeur américain Lee de Forest s’est mis à chercher des manières d’incorporer une bande sonore aux images cinématographiques, mais ce n’est pas avant 1927 que le long métrage The Jazz Singer fera tomber cette barrière et révolutionnera l’art de l’interprétation. L’ère des talkies venait de commencer.

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Il restait encore la barrière imaginaire du noir et blanc à franchir afin de refléter davantage le réel. Plusieurs ont trouvé des solutions à ce problème aussi tôt qu’en 1903. Par contre, il ne s’agissait pas vraiment de bonnes solutions. Par exemple, Georges Méliès offrait un guide pour colorier ses négatifs de films afin d’optimiser l’expérience de visionnement. Non seulement il fallait vouloir en maudit, mais c’était pas super réaliste non plus. Encore aujourd’hui, les films de Méliès sont présentés en noir et blanc parce que c’est plus beau que la version qui semble avoir été barbouillée aux Crayola par votre neveu de six ans.

C’est en 1932 que la première technologie de caméra couleur n’ayant pas l’air d’un projet d’art plastique a vu le jour : le fameux « processus 4 » de Technicolor. C’était tellement coûteux et complexe de l’utiliser à l’époque qu’on ne coloriait souvent qu’une seule bobine du film. C’est seulement en 1935 que le premier long métrage complètement en couleur a été produit. On pouvait maintenant raconter des histoires au grand écran comme on les vit dans la vraie vie.

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Les révolutions qu’on ne voit même plus

Après l’avènement du cinéma en couleur, les révolutions ne s’arrêteront pas, mais elles deviendront un brin plus intangibles. Elles influeront sur la capacité de production et sur la perception du public. Par exemple, la commercialisation du magnétoscope en 1972 sortira pour la première fois les auditoires des salles de cinéma. C’était la naissance d’une nouvelle culture de collectionneur.euse.s de geeks obsessifs capables de regarder le même film encore et encore pour en apprendre les répliques par cœur.

L’arrivée du magnétoscope est particulièrement importante dans l’histoire du cinéma parce que la nouvelle catégorie d’enthousiastes de cinéma qu’elle a engendrée s’est éventuellement mise à faire ses propres films. Cette explosion de l’offre (et de la demande) mènera éventuellement au développement du cinéma numérique pendant les années 1990.

Tout ça nous mène à l’appareil qu’a utilisé le réalisateur Patrice Laliberté pour filmer Très belle journée : le téléphone portable.

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Voyez-vous, faire du cinéma, ça coûte cher, et c’est pas tout le monde qui peut s’offrir de la pellicule. Cette caste de passionné.e.s de films s’est donc tournée vers le numérique afin d’assouvir son envie de créer. Le premier film 100 % numérique est le très niché Windhorse, paru en 1998, mais c’est vraiment en 1999 avec Star Wars: The Phantom Menace que cette nouvelle manière de faire du cinéma s’est fait connaître. Le film fut partiellement filmé en numérique, mais personne à l’époque n’était capable de dire quelle partie était faite à la pellicule et quelle partie ne l’était pas.

Que vous le vouliez ou non, Jar Jar Binks a changé le cinéma à jamais.

Tout ça nous mène à l’appareil qu’a utilisé le réalisateur Patrice Laliberté pour filmer Très belle journée : le téléphone portable, dernière grande révolution technologique à s’inviter au cinéma. Le septième art est plus démocratisé que jamais : la magie créative s’opère maintenant via cet ordinateur de poche qu’on transporte avec soi chaque jour.

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Le premier film entièrement tourné sur téléphone portable – Tangerine – date de 2015, mais le premier film de fiction québécois * du genre sortira en salle le 6 mai : Très belle journée, de Patrice Laliberté produit par Couronne Nord. Racontant l’histoire d’un coursier à vélo conspirationniste interprété par Guillaume Laurin, le film met également en vedette Sarah-Jeanne Labrosse, Marc Beaupré et Marc-André Grondin.

Quelle leçon peut-on tirer de cette grande épopée de l’histoire technologique du cinéma ? Que ces révolutions ont servi d’abord et avant tout à démocratiser le média, en premier lieu au profit du public, mais aussi des créateurs et créatrices. Il est maintenant carrément au bout de vos doigts.

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* Le tout premier film tourné à l’aide d’un iPhone est le documentaire Danser sous la pluie, de Rachelle Roy.