Chaque année, c’est la même histoire. Des vidéos d’inconnu.e.s qui jouent de la guitare invisible devant une foule beaucoup trop enthousiaste inondent vos réseaux sociaux pendant quelques jours. Votre oncle Serge en partage même un à chaque deux ou trois ans avec chaque fois la même légende : « Il a donc ben l’’air fou lui,,, 😂 »
Puis, ces vidéos disparaissent par elles-mêmes comme par magie et ne resurgissent que l’année suivante. Depuis plus de 25 ans, les championnats mondiaux de air guitar nous rappellent qu’ils existent l’espace d’un weekend et retournent aussitôt dans le placard de l’oubli.
C’est compréhensible. Après tout, regarder quelqu’un jouer de la air guitar n’est ni vraiment divertissant ni vraiment impressionnant. Pas besoin d’être un athlète, ni même un musicien s’y adonner. Il faut juste avoir un niveau de charisme inversement proportionnel à son niveau de gêne. Comment les Air Guitar World Championships ont-ils réussi à traverser les décennies? Pourquoi semblent-ils en pleine expansion en 2022?
Il y a une explication à ça et cette explication ne se limite pas à : « C’est commandité par une marque de boisson énergétique. »
La fierté d’où? La fierté d’Oulu!
Les championnats mondiaux de air guitar sont nés dans la ville d’Oulu en Finlande. Ils étaient présentés aux départs comme une attraction du festival du vidéoclip d’Oulu, aujourd’hui devenu le festival d’Août d’Oulu (essayez de dire ça trois fois de suite sans vous tromper).
Si vous n’aviez jamais entendu parler d’Oulu avant, attendez un peu avant de châtier votre manque de culture générale. C’est la cinquième ville en importance en Finlande et pas grand-chose s’y passe côté culturel. Il s’agit plutôt d’une ville réputée pour son adoption rapide des nouvelles technologies. Elle est d’ailleurs surnommée « le lab humain » parce qu’on y essaie plein de patentes en premier. Comme la technologie NFC par exemple : le paiement sans contact qu’on aime tou.te.s, ça a été essayé en premier à Oulu.
Bref, c’est une version très tech de Longueuil. On aime Longueuil, mais c’est pas exactement notre produit d’exportation numéro un. C’est, d’abord et avant tout, un endroit où les gens vivent.
Cette célébration de la musique rock était au départ une idée du musicien Jukka Takalo. C’est qui, lui? À en juger par son nombre d’auditeurs mensuels sur Spotify, personne d’important. Pour vous donner un étalon de comparaison, il a moins de la moitié de l’auditoire de notre Sara Dufour nationale sur la plateforme. Une seule de ses chansons a franchi le million d’écoutes, et ça ne rock pas full. L’important, c’est pas lui. C’est son idée!
Ça sert à quoi, au juste, des championnats mondiaux de air guitar?
Comment donc est-ce que les championnats ont-ils pu connaître autant de succès s’ils ont été inventés par quelqu’un que personne ne connaît et sont tenus dans une ville où (à priori) tout le monde s’en crisse?
C’est là que l’histoire devient intéressante et gagne à être connue.
C’est un trip unificateur. Un gros party dans le sens le plus Andrew W.K. possible du terme.
Voyez-vous, le slogan de la compétition c’est « make air, not war ».L’idée même des championnats mondiaux de air guitar, c’est de prendre un gros break de conflits pour faire le party ensemble. Selon le manifeste disponible sur leur site web, « les guerres finiront, les changements climatiques cesseront et toutes les mauvaises choses disparaîtront du monde lorsque les gens de la terre s’uniront pour jouer de la air guitar ensemble ». C’est un trip unificateur. Un gros party dans le sens le plus Andrew W.K. possible du terme.
C’est exactement parce que ça ne prend pas particulièrement de talent ou d’équipement que cette activité a été choisie : « Les gens de tout âge, genre, origine ethnique, orientation sexuelle et statut social peuvent jouer de la air guitar. La air guitar est égalitaire », poursuit la missive.
La cause est noble, l’activité est amusante et pas très exigeante en termes de temps et de sacrifices. Ça explique la longévité des championnats, mais pas exactement comment ils sont devenus un phénomène international. En fait, pourquoi s’agit-il d’un événement plus populaire que le derby de démolition du festival du poulet de Saint-Damase-de-L’Islet (un événement très lit, soit dit en passant)?
J’peux-tu y participer?
Qui dit championnats mondiaux, dit championnats nationaux. C’est possible de vous rendre à Oulu pour vivre votre rêve de shredder en bobettes devant une foule en délire. Mais depuis 2014, Air Guitar Canada s’occupe d’organiser des compétitions partout au pays dans le cadre de notre volet national des championnats mondiaux de air guitar.
Oui, c’est le genre de sport où tout le monde peut réussir, mais ça doit aider d’avoir une couple de chums chaudailles dans le bar où se tient la compétition pour faire du bruit.
Les règles stipulent que le seul prérequis pour y prendre part est d’être citoyen.ne du pays concerné. S’il n’y a pas de compétition organisée dans leur ville, les participant.e.s doivent se rendre par leurs propres moyens dans la ville la plus proche. Ils sont ensuite jugés sur deux rounds d’une minute par un jury spécialement sélectionné par le comité canadien. Oui, c’est le genre de sport où tout le monde peut réussir, mais ça doit aider d’avoir une couple de chums chaudailles dans le bar où se tient la compétition pour faire du bruit. Jury ou pas, le succès ultime du rock n’ roll est quantifiable par le son d’une foule en liesse.
C’est comme ça que les championnats se sont internationalisés : en redonnant le concept au monde et en comptant sur l’atmosphère de fraternité qu’il crée. La première superstar de air guitar non finlandaise a été le britannique Zac « The Magnet » Monro, mais plusieurs autres légendes sont nées dans son sillage, dont le Japonais Ochi Yosuke, le Français Sylvain Quimene et les Américains Justin Howard et Matt « Aristotle » Burns, qui ont tous gagné l’événement deux fois. Personne n’a à ce jour été déclaré triple champion.
Trois femmes ont été couronnées grandes gagnantes des championnats : la Finlandaise Johanna Ala-Siurua, l’Allemande Aline « The Devil’s Niece » Westphal et la Japonaise Nanami Nagura, qui est probablement la plus grande athlète dans l’histoire de ce « sport ».
Les championnats mondiaux de air guitar, c’est une sorte d’hybride entre un spectacle burlesque et le Grand défi Pierre Lavoie (avec de la meilleure musique). C’est une compétition menée par des gens ayant tourné le dos à la colère et aux conflits pour faire le party et se lâcher lousse. C’est peut-être pas une solution concrète et efficace à quoi que ce soit, mais c’est un événement qui permet de prendre une pause de nos soucis collectifs. Vous me direz peut-être : « Oui, mais l’environnement là-dedans? Tout ce beau monde doit se déplacer en avion? » Sachez que le festival a la certification carboneutre EcoCompass depuis plusieurs années.
Pensons à ça la prochaine fois qu’on voit un clip passer sur le fil de nouvelles de notre oncle Serge. Si on était tous et toutes moins dans le jugement et plus dans le party, peut-être que ça irait mieux dans le monde, hein mon oncle?