Retour 100 ans en arrière, quand la bécane du démon a fait sa première apparition.
Aux origines du mal
L’histoire commence au XIXe siècle, quand on décide de remplacer les chevaux par des bicyclettes, draisiennes, vélocipèdes et autres engins roulants. Étrangement, la première « vraie » trottinette, version « debout sur deux roues » apparaît en 1913… et est déjà équipée d’un moteur ! L’Autopède naît dans le cerveau de l’Américain Arthur Hugo Cecil Gibson, et obtient rapidement un petit surnom désagréable : l’automobile des pauvres.
En réalité, ce moyen de transport offre une liberté appréciée aux femmes, car celles-ci n’ont pas le droit de chevaucher des motos (c’est bien trop obscène, voyons). On a donc pu voir Amelia Earhart et la suffragette Florence Norman sillonner les rues au volant de leur Autopède. La trottinette était, à l’origine, une icône féministe ?! J’en avale ma brassière.
En passant, l’origine même du mot « trottinette » fait écho à l’histoire des femmes, puisque dans le temps, un trottin était une employée assignée aux commissions, qui passait son temps à trotter de boutique en boutique au centre-ville.
Des enfants de riches aux hommes d’affaires
Dans les années 1930, c’est auprès des enfants que la trottinette fait fureur. Auprès des enfants bourgeois, pour être précis. En bois ou en métal, avec des roues pneumatiques et une structure stable à deux ou trois roues, elle est le symbole d’une enfance heureuse et aisée, comme la Switch qu’un petit maudit de 3e année sort de son sac à dos à la pause.
Dans les années 1950, on y ajoute même une sorte de pédale à ressort, qui permet de rouler plus longtemps sans poser le pied à terre. Malgré tout, elle perd peu à peu en popularité, au profit du skateboard et des patins à roulettes.
« Jouet », c’est donc le statut que garde la trottinette pendant plusieurs décennies. Si la bicyclette est acceptée comme sport et comme moyen de transport, les adultes des années 1960, 70 et 80 auraient préféré mourir que d’être vu.e.s en train de trottiner comme de ridicules bébés (sûrement par rancœur envers les petits bourges de leur enfance).
Mais c’était sans compter sur l’ingéniosité d’un banquier suisse qui était tanné de se chercher du stationnement. Wim Ouboter raccroche un manche sur un skateboard (parlez-moi d’un détour…), et, constatant les regards de jalousie qu’il provoque, décide de déposer un brevet sur sa trottinette pliable.
Ce modèle léger en aluminium, avec des petites roues sans pneus, est sur le point de changer le monde (et de provoquer une couple de commotions cérébrales.)
Succès commercial, casse-tête législatif
À partir des années 2000, la trottinette redevient cool. Cravate au vent, les hommes d’affaires se faufilent gracieusement dans les embouteillages partout à travers la planète. Arrivés au centre-ville, ils plient leur engin dans leur petite mallette et hop ! le tour est joué.
Du même coup, la trottinette freestyle se développe. Même si elle est invitée à plusieurs compétitions, elle ne fait pas toujours l’unanimité au skatepark. « Dangereuse », « néfaste », « gênante », on commence à lui prédire un avenir moins rose.
Au courant des années 2010, c’est la trottinette électrique qui va polariser le débat. D’un côté, on ADORE son côté pratique, son petit prix et sa facilité d’utilisation. De l’autre, on fustige sa dangerosité et son petit côté anarchiste.
Avec l’apparition de systèmes de location de trottinettes en libre-service, le chaos est semé dans plusieurs grandes villes. Les trottoirs parisiens sont jonchés d’engins et plusieurs accidents mortels poussent les mairies à forcer leur bridage à un maximum de 10 km/h.
Pour ce qui est des trottinettes non motorisées, leur pratique est régie par les mêmes règles que celles du vélo. Même si leur honneur est quelque peu sauvé par la trottinette freestyle (on croise les doigts pour les Jeux olympiques 2028 !), la malheureuse réputation des patinettes risque de les suivre encore un peu. Il y aura toujours quelqu’un pour rire des gens libres et heureux.