« Owen, j’ai un sujet un peu foufou pour toi. Si ça te fait flipper, j’ai d’autres pigistes, hein… haha! » Elle a toujours les mots pour me convaincre, Daisy, la pilote d’URBANIA France (elle préfère ça à “rédac cheffe”, son côté punk sûrement). En réalité, je n’ai pas beaucoup hésité avant de consentir à sa proposition : j’ai donc accepté d’aller clubber seul, sobre et nu, vendredi dernier.
Sur l’échelle de 1 à 10 du naturisme, niveau expérience, je dirais que je suis à 4, ou 5. Berlin y est pour beaucoup. Il y avait eu ce sauna et cette nuit au KitKat. J’avais adoré l’expérience de clubber en caleçon, mon plus beau pour l’occasion, because I dance in my Calvins. Me sentir comme un gamin de six ans qui pose trop de questions. « Maman, pourquoi le monsieur il fouette les fesses de la dame là-bas? Et pourquoi Maléfique met son zizi dans la bouche de Dracula? » Le temple du fétichisme, qui n’a rien à voir avec le naturisme. Si ce n’est, peut-être, de la nudité.
J’étais donc assez excité à l’idée de prolonger l’exploration. Mais lorsque je pars de chez moi, seul, ce vendredi 5 novembre, je fais beaucoup moins le malin. Il fait froid à Paris, j’ai une polaire oversize beaucoup trop confortable pour être enlevée et une grosse écharpe. J’ai dû quitter mon plaid en laine, ma série Netflix, et en termes de sensation, je me sens un peu comme ce jour de sixième. Je suis dans le car, il est 6 h du mat, j’arrive dans la banlieue de Munich et je m’apprête à découvrir ma famille d’accueil pour une semaine. J’ai envie de rentrer me cacher sous une couette avec un chocolat chaud.
Ça parle de transition devant moi et le videur est sur Grindr. Ça va être une bonne soirée. D’ici TROIS minutes, je serai nu dans un sous-sol.
J’avais échangé un peu avec un des organisateurs la veille de l’événement (coucou Julien). Il m’avait bien prévenu : « Soirée 100 % naturiste, 100 % électro. » Yeah, right, comme si l’électro allait être un frein.
Je m’étais quand même aussi bien renseigné en amont. Parce que la nudité en club à Berlin, ça fonctionne assez naturellement, ils comprennent bien mieux que nous le concept de consentement. Mais en France, à Paris, qu’est-ce que ça allait donner? Quand, déjà tout habillé, tu dois jouer des coudes pour ne pas être frotté dans tous les sens…
La description de l’événement m’avait assez vite rassuré. « Tout comportement à caractère sexuel et contraire aux valeurs naturistes ou allant à l’encontre du consentement entraînera une expulsion immédiate et définitive. No racism. No mysoginy. No homopobia. No transphobia. No ableism. No ageism. No fatphobia, No hate… Just Kindness and party! » Ok, cool. Et puis pour une fois, je suis sur la fameuse liste du physio. Alors rien que pour ça, j’y vais.
Il est 0 h 43 et j’arrive devant la boite. Ark, il y a la queue. On ne panique pas et on se met en rang, comme à l’école. Il y a des gens solos et des petits groupes, des jeunes et des moins jeunes. Une majorité d’hommes, les bears sont à l’honneur. L’inclusivité a ses limites, mais c’est quand même ultra safe. Ça fait du bien. Ça parle de transition devant moi et le videur est sur Grindr. Ça va être une bonne soirée. D’ici trois minutes, je serai nu dans un sous-sol.
Ironie du sort, mes vêtements me rendent inconfortable. L’impression de ne pas fit in au milieu de tous ces corps.
Je descends les marches, rapidement accueilli par deux organisateurs souriants, bienveillants et recouverts de paillettes : « Le vestiaire, c’est par là! » OUI D’ACCORD, je fonce. Pour accéder aux vestiaires, il faut traverser la moitié de la boîte, et c’est là où, ironie du sort, mes vêtements me rendent inconfortable. L’impression de ne pas fit in au milieu de tous ces corps. On te remet un sac réutilisable dans lequel tu mets toutes tes affaires (téléphone inclus, car interdit dans la boite, Berlin vibe). Tu reçois en échange une petite pochette pour ta CB, tes papiers, whatever. Cette pochette te sert aussi de numéro de vestiaire et il te suffit de la remettre en partant pour récupérer ton sac. Assez facile.
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C’est parti, je m’exécute, j’enlève le haut, je le mets dedans. Et puis le bas. L’impression d’être chez le médecin pour une consultation banale mais d’avoir enlevé une couche de trop. L’impression, le temps d’une microseconde, d’avoir fait une bêtise. Tout est dans le sac, ça m’a pris deux secondes, comme un pansement, il faut l’enlever d’un coup. Il ne me reste que mes chaussures, mes grosses Dr. Martens que j’avais choisies avec soin, me disant que c’était la seule chose qui me resterait. Non non, mes vêtements ne me définissent pas, je sais. Mais là, je me rattache à cette petite paire qui m’est chère. Et je me sens bien, très bien. C’était rapide, c’était facile.
Les gens s’écartent quand j’avance. Qu’ils sont respectueux, ces naturistes. Am I slowly becoming one of them?
On va danser? Je remonte à l’étage, la salle n’est pas encore complètement pleine et j’ai l’impression que tout le monde se connait. Je choisis la facilité. On va y aller progressivement et je mets dans un coin. Ouh, comme c’est agréable de danser nu. Dua et Britney sont avec moi. La salle se remplit peu à peu, je ferme les yeux, 15, 30, 50 minutes, aucune idée. Quand je sens mes fesses nues frotter le mur en pierres gelé derrière moi, je me dis qu’il est temps de bouger. Direction les toilettes. Où ça? De l’autre côté de la salle? Oh damn, il faut traverser le dancefloor qui, entre temps, s’est bien rempli. Zone que j’évitais jusqu’à présent de peur de coller des culs, mais pas le choix, il faut que j’aille pisser. Et puis en fait, les gens s’écartent quand j’avance. Qu’ils sont respectueux, ces naturistes. Am I slowly becoming one of them?
Aux toilettes, ça dure aussi deux secondes, du coup, c’est drôle. En fait, tout est assez surprenant. Comme si le fait d’être nu me faisait redécouvrir des choses assez banales que je ne capte plus. Il y a la queue au lavabo. Ici, tout le monde se lave les mains.
Direction le stand de prévention. Des prospectus sur le consentement, le racisme, la kétamine, le GHB. Deux personnes sont présentes si besoin. Quel plaisir de voir ce genre de mesures dans le milieu de la nuit, surtout à l’ère du #MetooGHB.
Je pars à la recherche des autres activités de la soirée. Le photomaton! Et alors que je pensais m’installer tranquillement, solo dans une cabine, je me retrouve en photoshoot avec Goldstein and Ramirez. D’où cette face de fantôme qu’est la mienne.
Je ne sais pas ce qui m’a pris avec cette pose, mais croyez-moi, pendant quelques minutes, j’étais fierce, j’étais confiant, j’étais beau. C’est peut-être ça, l’effet libérateur du naturisme. En sortant, je croise le chemin d’un jeune homme qui renverse la moitié de son verre sur moi. Vodka tonic je dirais, à l’odeur. Avec des glaçons. Je sens le fluide couler sur ma peau et c’est froid, très froid, j’en ai des frissons.
J’ai dansé comme un fou, c’était libérateur.
Il ne me reste plus que le kiosque de bodypainting à checker, mais je n’ai plus aucune idée de l’heure et je commence à avoir des ampoules aux pieds. J’ai dansé comme un fou, c’était libérateur. J’étais seul et j’étais bien. Je récupère mes affaires, me rhabille, prêt à affronter de nouveau le froid des rues de Paris. Je chope une sucette à la fraise au passage, et je rentre à la maison. Demain, mes vêtements ne pueront pas la clope, mais mon corps sentira la vodka.
La prochaine Beautiful Skin, c’est le 11 décembre, allez-y. On s’y croisera peut-être…