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Depuis longtemps, les grands conglomérats de ce monde ont compris que pour réussir, il fallait retenir l’attention des jeunes. À date, peu d’outils ont eu un impact aussi important et une emprise aussi grande sur le cerveau de la jeune génération que TikTok.
L’efficace outil n’a pas seulement conquis le cerveau des jeunes : près d’un adulte sur quatre au Canada utilise TikTok. Mais depuis son implantation, le réseau social chinois inquiète beaucoup d’experts en cybersécurité qui redoutent que les données des utilisateurs puissent être partagées avec le gouvernement de Beijing. L’ancien président américain Donald Trump avait d’ailleurs tenté, sans succès, de mettre en place une loi qui visait à interdire TikTok aux États-Unis.
Cette semaine, le gouvernement canadien a annoncé qu’il interdisait l’application sur tous les appareils gouvernementaux, citant « un niveau de risque inacceptable pour la vie privée et la sécurité ». Très vite, le gouvernement québécois a emboîté le pas, tout comme Hydro-Québec, la Société des Transports de Montréal et d’autres organisations encore. Les États-Unis et l’Union européenne ont aussi mis en place des mesures pour interdire TikTok sur les appareils officiels.
Mais que craint autant l’Occident? Et qu’est-ce que TikTok sait sur nous au point de faire peur aux gouvernements?
C’est quoi le problème?
Le réseau social chinois a créé une petite révolution en modifiant les habitudes de comportement de ses utilisateurs; Instagram, par exemple, utilise l’algorithme pour maximiser votre expérience sur leur plateforme. Du côté de TikTok, l’algorithme est l’expérience en elle-même. En utilisant l’apprentissage machine, l’application analyse un nombre ahurissant de données sur vous, de votre localisation GPS à vos expressions faciales et votre historique d’achat en ligne. Il ne lui faut pas plus d’une heure pour brosser votre portrait.
Selon des experts, la Chine tente de redorer son blason à l’international et surpasser les États-Unis en termes d’influence.
Les contrats d’utilisation des applications étant précisément rédigés pour s’assurer que vous ne les lisiez pas, ByteDance, l’entreprise chinoise qui détient TikTok, y a caché beaucoup de fineprints. Entre autres, si vous avez TikTok, vous consentez alors à partager des données personnelles comme vos contacts, votre agenda, le genre d’appareil que vous utilisez et sa géolocalisation.
Relativement bénin, peut-on se dire; Meta fait la même chose! Mais Bytedance collecte aussi le mouvement et le rythme de vos doigts sur l’écran, l’état de la batterie, les paramètres audio et les appareils audio connectés.
De plus, son intelligence artificielle lui permet de tout identifier – arbres, animaux ou visages humains – dans vos TikTok.
Une surveillance ambitieuse
Les relations de la Chine avec l’Occident ont été particulièrement exacerbées ces dernières années. Entre les théories selon lesquelles la COVID-19 aurait fuité d’un laboratoire wuhanais, les soupçons d’ingérence chinoise dans les élections fédérales canadiennes de 2021, les mystérieux ballons « météorologiques » au-dessus de pays étrangers et les postes de police clandestins dans des villes occidentales, la tension monte.
Selon des experts, la Chine tente de redorer son blason à l’international et surpasser les États-Unis en termes d’influence. Et TikTok pourrait être l’une de ses armes les plus puissantes.
Il faut dire que Bytedance n’est pas non plus la compagnie la plus transparente. Des enquêtes ont entre autres révélé que plusieurs employés de TikTok sont d’anciens employés de différents médias gouvernementaux et que certains maintiennent même les deux postes. De plus, Forbes a découvert que l’entreprise avait espionné plusieurs de ses journalistes qui tentaient d’enquêter sur TikTok et son abus de pouvoir.
Douyin VS. TikTok : deux poids, deux mesures?
La Chine aussi a eu ses propres problèmes avec TikTok. En 2018, le gouvernement a retiré des marchés d’applications certaines des offres de ByteDance, dont Douyin, la version chinoise de TikTok, sous prétexte qu’elles encourageaient des contenus qui ne s’alignaient pas avec les valeurs socialistes de la Nation.
Peu de temps après, le Parti communiste chinois a acquis un lot d’actions privilégiées dans Bytedance, au sein de ce que le gouvernement appelle une « transformation profonde » de la culture chinoise, afin de réaligner les mœurs avec les valeurs socialistes chinoises. Entre autres, des journaux d’État appellent à en finir avec le divertissement salace à l’américaine, de peur que « les jeunes Chinois perdent leurs vibes fortes et masculines, menant à notre perte ». Plusieurs célébrités chinoises ont d’ailleurs été fortement réprimandées pour avoir promu une masculinité trop féminine.
« si vous avez TikTok, vous consentez alors à partager des données personnelles comme vos contacts, votre agenda, le genre d’appareil que vous utilisez et sa géolocalisation. »
Et si la plateforme est maintenant de retour sur le marché chinois, cela vient avec plusieurs restrictions. Un peu comme si le gouvernement chinois avait réalisé tout le potentiel abrutissant de sa plateforme, elle ne laisse pas ses jeunes citoyens l’utiliser pour regarder des trends dangereux ou des unboxing de vêtements. Les jeunes Chinois ont plutôt droit à un algorithme qui leur propose des vidéos éducatives et des expériences scientifiques. De plus, l’utilisation de l’application est limitée à 40 minutes par jour et est bloquée entre 22h et 6h du matin.
Le résultat parle de lui-même : dans un sondage mené chez de jeunes utilisateurs de TikTok, la majorité disait vouloir exercer le métier d’influenceur plus tard. La plupart des jeunes Chinois, eux, répondaient ‘astronaute’. Et ça, c’est sans compter les jeunes Américains décédés à la suite de challenges variés promus sur la plateforme.
Un début de changement?
Si les effets potentiellement néfastes du réseau sur les cerveaux de nos jeunes sont souvent rapportés par nos politiciens et experts, ce sont surtout les enjeux de cybersécurité qui ont poussé les gouvernements de divers pays et les dirigeants de grandes entreprises à bannir TikTok sur leurs appareils de travail.
Mercredi, après que les gouvernements fédéraux canadiens et américains, ainsi que plusieurs États et provinces, aient annoncé leur plan de restreindre l’accès à TikTok, la plateforme a annoncé qu’elle mettrait en place une limite de temps d’utilisation d’une heure par jour pour les usagers de moins de 18 ans. Si cela représente déjà un début, il faudra à TikTok une bonne campagne de nettoyage et nettement plus de transparence si elle souhaite maintenir son titre d’application la plus utilisée au monde.