Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, Paris Hilton a changé le monde à sa manière. Avant même l’avènement de YouTube et Twitter, la riche héritière avait déjà un pied dans le futur et jetait les bases d’une nouvelle célébrité. Une relation avec l’auditoire dictée non pas par la fonction ou par un produit quelconque, mais par la personnalité. C’était les débuts non officiels du phénomène qu’on appelle encore aujourd’hui « les célébrités qui sont célèbres parce qu’elles sont célèbres ».
Comme un peu tout le monde à l’époque, j’ai tout de suite détesté l’idée de Paris Hilton. C’était nouveau oui, mais ça me semblait arrogant et vide. Ce que je n’avais pas encore appris, c’est que toute bonne idée fait son petit bonhomme de chemin dans la culture et mute au gré des innovations créatives et technologiques, et avant même que je le sache, la nouvelle célébrité m’avait rattrapé.
Toute bonne idée fait son petit bonhomme de chemin dans la culture et mute au gré des innovations créatives et technologiques
« Pourquoi tu regardes toujours ces gars-là ? », me demande candidement ma copine en regardant par-dessus son iPad alors que je visionne un épisode de la série Best of the Worst de Red Letter Media sur YouTube. Dans cette série de vidéos, un groupe de rejets de l’école de cinéma se saoule en regardant de vieux films nuls. « Ils racontent rien de spécialement intelligent. Tu les regardes regarder des films. C’est vraiment étrange. »
BOOM. La vérité venait de me frapper en plein visage. Alors que j’avais l’impression de passer un bon moment avec des amis, ma copine venait de me rappeler que j’étais en train de ressentir une chimie avec une bande de gars qui n’ont aucune idée que j’existe et qui font juste le genre d’activités que j’aimerais faire avec mes potes moi aussi. Je vivais une amitié par procuration. Une relation parasociale.
Intrigué par ma propre dérive vers ces relations à sens unique, je suis parti à la recherche de réponse.
C’est quoi ça, une relation parasociale ?
Une relation parasociale, c’est cette drôle d’impression d’intimité qui nous gagne lorsqu’on commence à s’attacher à une personnalité pour son travail dans la sphère publique. Par exemple, lorsque vous écoutez un podcast de semaine en semaine et que vous commencez à comprendre les divers insides et running gags et à sentir que vous faites partie du groupe. Si j’ai l’impression que Mike Stoklasa et Rich Evans sont de vieux amis lorsque je regarde Best of the Worst, c’est mon cerveau qui me joue des tours.
C’est un phénomène qui précède Paris Hilton de plusieurs décennies. Le terme vient des chercheurs Donald Horton et Richard Wohl et date de l’époque de nos premiers rapports avec les médias de masse dans les années 1950.
Ce n’est pas nécessairement quelque chose de mauvais. Chez les enfants, plusieurs études ont observé des tendances à choisir des personnalités publiques (ou parfois des personnages de fiction) auxquelles s’identifier qui possèdes des qualités qu’ils ou elles idéalisent.. Une partie de l’apprentissage chez les jeunes s’effectue par imitation et c’est en se basant sur des modèles auxquels ils ressentent un attachement qu’ils apprennent à se connaître et à développer leur personnalité.
C’est un phénomène qui précède Paris Hilton de plusieurs décennies.
Bien sûr, il y a aussi un côté plus sombre au phénomène. Quand les gens s’attachent aux figures médiatiques de la sorte, ils ont aussi tendance à se sentir trahis et à ressentir des émotions beaucoup trop intenses lorsque ladite figure médiatique ne partage pas leurs opinions. Ça peut mener à toute sorte d’excès et de comportements destructeurs. Par exemple, lorsqu’une personnalité publique se retrouve dans la tourmente, ses proches se retrouvent souvent victimes d’insultes et de menaces.
Ce qui rend la génération qui kiffe Paris Hilton/Kim Kardashian/YouTube/TikTok et compagnie différente des autres, c’est que la relation parasociale n’est pas le résultat d’une activité professionnelle X, elle en est l’essence même. Les nouvelles célébrités existent pour vous faire sentir moins seul.e. Elles sont un peu comme l’ami.e cool au collège, à l’exception près qu’elles ne vous feront jamais sentir rejeté.e parce que 1) elles ne vous connaissent pas et 2) elles ont besoin d’une audience pour gagner leur vie, alors elles la cultivent avec amour et dévouement.
Comment se retrouve-t-on dans une relation parasociale ?
Les relations parasociales ne sont pas un piège qui guette les personnes naïves, solitaires ou tourmentées. C’est simplement un nouveau phénomène social avec lequel on n’est pas encore complètement à l’aise. Avec l’innovation technologique qui progresse à vitesse grand V, on risque tous et toutes de s’attacher à une figure publique plus intimement qu’on ne l’aurait souhaité.
J’ai discuté du sujet avec mon ami Ruchir Pandya, qui étudie les sciences informatiques à l’université Georgia Tech aux États-Unis.
« Je ne suis pas dans le secret des Dieux, mais un algorithme comme celui de YouTube me semble assez simple, indique-t-il. La plupart des engins de recommandations fonctionnent à l’aide d’une matrice : tout ce que vous avez regardé est classé comme un 1. Tout ce que vous n’avez pas regardé est classé comme un 0. L’algorithme essaie tout d’abord de transformer vos 0 en 1, à partir des séries et des créateurs que vous regardez déjà, mais aussi à partir des gens qui partagent les mêmes 1 que vous. »
nos habitudes de consommation guident les algorithmes parce que c’est devenu très facile pour eux d’établir des liens avec les gens qui ont les mêmes habitudes de consommation que nous.
Ruchir m’explique aussi que c’est probablement pas SI simple que ça. Qu’une partie du ciblage se fait à l’aide de métadonnées et potentiellement de renseignements personnels, mais qu’à l’ère de la personnalisation extrême dans laquelle on se trouve, nos habitudes de consommation guident les algorithmes parce que c’est devenu très facile pour eux d’établir des liens avec les gens qui ont les mêmes habitudes de consommation que nous. Au-delà de nous offrir de la publicité ciblée, les algorithmes sociaux sont devenus par la force des choses une sorte d’agence de rencontres pour vous et les personnalités publiques que vous êtes susceptibles d’apprécier.
Non seulement tout le monde est susceptible de développer une relation parasociale, mais le progrès technologique et l’hyperpersonnalisation du contenu qui en découle nous rendra de plus en plus susceptibles de créer ce genre de relation tant via la télé que sur les plateformes sociales. Les tiktokeurs et tiktokeuses incarnent peut-être une nouvelle classe sociale dans la sphère publique, mais ils ne sont qu’une nouvelle itération d’un vieux phénomène.
Au lieu de rouler les yeux devant la consommation médiatique de votre ami.e ou de votre enfant accro à TikTok, interrogez-vous sur votre propre consommation. Ouvrez vos plateformes sociales et observez l’offre qui vous est faite. Vous entretenez probablement vous aussi une relation avec une personnalité publique qui va au-delà d’un rapport commercial ou artistique !