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La musique country est redevenue cool
Il y a une grosse différence entre être populaire et être cool.
S’il est vrai qu’être cool signifie souvent être populaire,on peut cependant être populaire sans être cool. Prenez pour exemple la musique country. Celle-ci a toujours eu un large public. Des artistes comme Garth Brooks et Shania Twain ont dominé les palmarès dans les années 90, mais personne ne se vantait d’avoir leurs albums à la maison. C’était considéré comme kitsch partout dans le monde à l’exception de Nashville.
Les années 90, c’était l’époque du rock alternatif. Il fallait avoir une chemise à carreaux et chanter comme Eddie Vedder pour être considéré cool.
Puis, le rock alternatif a cédé le passage au rock indie au début du millénaire et le hip-hop s’est emparé de la sacro-sainte couronne du cool pendant la dernière décennie. Taylor Swift s’est par la suite pointé le bout du nez et le grand public a subitement réalisé que la pop se mariait vraiment bien avec la musique country !
Luke Combs, Zach Bryan, Morgan Wallen, Kacey Musgrave et compagnie ont par la suite brillé dans son sillage.
Aujourd’hui, le phénomène country pop atteint son apothéose alors que la grande Beyoncé elle-même lance un album influencé par le genre.
Par contre, est-ce que le country pop, c’est de la vraie country ? J’ai exploré la question avec deux artistes country québécois de générations différentes.
La musique du peuple
« La country, c’est une musique qui parle aux familles », m’explique le vétéran de la scène Irvin Blais, qui lancera son quinzième album en août prochain. « On y chante le quotidien en famille, mais ça se transmet aussi de génération en génération. C’est un héritage que les grands-parents et les parents passent à leurs enfants », raconte le gaillard de 57 ans.
Irvin Blais roule sa bosse dans le milieu depuis que je suis haut comme trois pommes. Si son nom ne vous dit rien, c’est parce que les artistes country ont longtemps été boudés par l’industrie de la musique dite conventionnelle, des étiquettes de disque jusqu’aux ondes radiophoniques.
Si Blais se dit heureux de ce renouveau d’intérêt pour la country, cette nouvelle tendance country pop ne risque pas d’affecter sa propre production. Il faisait partie de l’industrie avant ce changement de garde et compte bien encore être là après que l’engouement se soit estompé. Les artistes country se sont toujours débrouillés, avec ou sans aide. Ils ont littéralement créé un réseau de distribution alternatif pour rejoindre leur public.
Matt Lang (alias Mathieu Langevin) voit les choses de la même façon que son collègue. Né au beau milieu des années 90, il a grandi dans une maison où jouaient Dwight Yoakam, Garth Brooks, Alan Jackson, la famille Daraîche, Renée Martel et plusieurs autres. « Ça vient surtout du côté de ma mère. C’était plus ancré dans la musique anglophone. »
Irvin Blais raconte pour sa part que :
« Le public a toujours été au rendez-vous, c’est les médias qui n’y étaient pas pendant un bout. C’était particulièrement difficile avec la radio. Prend ma chanson La foère au camp, par exemple. Ils ont jamais voulu la jouer parce que je dis “tabarnak” dedans ».
Malgré les embûches et l’étiquette kitsch qui leur collait à la peau depuis plusieurs années, les artistes country n’ont jamais abandonné l’idée de rejoindre un jour la culture dite « grand public ». Au contraire, même !
Quand la pop se met au country
Faisant moi-même partie de la sous-culture métal qui se protège farouchement contre l’invasion des intérêts commerciaux pour le meilleur et pour le pire, je me demandais comment Matt et Irvin voyaient la chose.
« Il faut vivre avec notre époque », affirme Irvin Blais à propos d’artistes comme Taylor Swift et Morgan Wallen qui s’éloignent du son country traditionnel. « Avant, il n’y avait pas de drums dans la musique country. Ça a commencé tranquillement avec la caisse claire. Quand j’ai commencé, le trip, c’était d’inclure toutes sortes de guitares et d’instruments provenant d’autres pays. Là, on en est à incorporer la musique électronique. »
Matt Lang abonde dans le même sens:
« La country, c’est large. T’as juste à aller au festival de Saint-Tite pour voir plein de styles : le bluegrass, le country rock, le country pop. On retire juste du positif de cette vague de popularité là. Y a plus de monde à nos spectacles. Le public rajeunit, aussi. Si ça peut plaire à plus de monde, tant mieux ! »
« Y a des gens qui viennent à mon show la première fois pis qui me disent “Irvin, t’es en train de me convertir.” Tu peux pas demander mieux que ça, » ajoute Irvin Blais en riant.
Oui, mais Queen B, elle ?
La popularité grandissante des artistes country, c’est une chose. Toutefois, la popularité du country est rendue à un point tel que des artistes pas country du tout se mettent à incorporer des éléments du genre à leur musique.
C’est le cas de Beyoncé avec Cowboy Carter, un album qui puise dans les racines texanes de la chanteuse. Ce n’était toutefois pas sa première incursion dans le genre puisqu’en 2016, elle lançait l’excellente Daddy Lessons, aujourd’hui jouée plus de 100 millions de fois sur Spotify.
C’est maintenant au tour de Texas Hold ‘Em, le premier extrait de l’album, de faire fureur depuis quelques semaines sur les plateformes de streaming musical.
Irvin Blais voit cette incursion d’un bon œil : « C’est très bon. Elle n’a pas dénaturé le country. Ça sonne pas mal comme ce qui se fait aux États-Unis par les temps qui courent. J’ai beaucoup aimé la chorégraphie des danseurs », me confie-t-il.
« C’est moins mon style. Je ne me verrais pas chanter sa musique à pleins poumons avec une bière dans les airs. Mais comme je disais, la country c’est large. Y en a pour tous les goûts », résume Matt Lang, qui lance lui aussi un nouvel album, All Night Longer, le 9 mai prochain.
À la lumière de mes conversations avec les vétérans du genre, il est maintenant clair pour moi que la country est immunisée contre le feu de paille de l’engouement culturel.
C’est redevenu cool, oui, mais cette étiquette n’est pas si importante pour les principaux intéressés.
Les irréductibles étaient de la partie avant que la culture pop s’emballe et seront du lot quand l’industrie sera passée à un autre appel. Celle-ci aurait cependant beaucoup à apprendre de la maturité des musiciens qu’elle a laissé de côté pendant aussi longtemps.