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La mission impossible de Kendrick Lamar

Le roi du hip-hop est de retour, mais sommes-nous prêt.e.s à le laisser remonter sur le trône ?

Par
Benoît Lelièvre
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Kendrick Lamar a (encore) brisé l’internet dimanche dernier. Ça faisait un petit moment que c’était pas arrivé. Le poète de Compton ne nous avait pas offert de nouvelle musique depuis la chanson thème du film Black Panther en 2018. Sans vraiment crier gare, le simple The Heart Part 5 est arrivé sur les plateformes d’écoute à 20 h (heure de l’Est) et tout le monde est (encore) tombé sur le cul.

Accompagnée par un clip simple, mais férocement efficace, The Heart Part 5 est venue appliquer un baume sur la tourmente culturelle qui ne semble plus vouloir nous lâcher. Portant tour à tous les visages d’O.J Simpson, de Kanye West, de Jussie Smollett, de Will Smith, de Kobe Bryant et de Nipsey Hussle par la magie du deep fake, Kendrick s’est mis dans la peau de ses contemporains sans porter de jugement, en mettant l’accent sur ce qui les rassemble et non sur ce qui les divise. Je ne vous mentirai pas, j’ai eu des frissons en regardant ce clip et encore en lisant les paroles après. C’est du très grand Kendrick Lamar.

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The Heart Part 5 n’est cependant qu’un prélude à son nouvel album Mr. Morale & The Big Steppers, prévu pour parution ce vendredi même. Oui, oui ! Cinq ans après DAMN., Kendrick Lamar est finalement de retour dans un monde quand même très différent de celui où il a régné sur le hip-hop avec l’intégrité et la bienveillance sociale qu’on lui connaît. Peut-il encore être le champion du peuple en 2022 ? Explorons ensemble l’héritage de Kendrick Lamar et les enjeux qui le guettent à l’aube de son retour.

Le rôle social de l’artiste au XXIe siècle

Quand on parle de Kendrick Lamar, l’expression « la voix de sa génération » est employée plus souvent qu’à son tour. On le compare à Kurt Cobain, John Lennon, Bob Dylan et autres figures rassembleuses historiques de l’industrie de la musique. C’est un titre honorifique qui paraît très bien sur un CV, mais qui vient avec son lot de responsabilités.

Le rôle social d’un artiste au XXIe siècle, c’est d’inspirer. Un mot séduisant et facile à utiliser dans une conversation créative, mais qu’est-ce que ça veut dire au juste ? On n’a qu’à regarder la feuille de route de Kendrick pour trouver une litanie de projets et de comportements inspirants : sa performance légendaire aux Grammys en 2016, son implication auprès du mouvement Black Lives Matter, sa curiosité et son intégrité musicale et, bien sûr, l’album To Pimp a Butterfly, un album érudit, inspiré, engagé, militant, mais aussi profondément intense et personnel. Le genre d’album que tou.te.s les musicien.ne.s rêvent d’écrire un jour.

C’est quelqu’un qui possède une humilité et une capacité d’introspection largement supérieure à la moyenne.

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Si Kendrick Lamar est d’office un artiste inspirant, c’est parce qu’il met de l’avant des sujets difficiles à l’intérieur de chansons accrocheuses, et qu’il le fait bien. C’est quelqu’un qui possède une humilité et une capacité d’introspection largement supérieure à la moyenne. On a qu’à penser à sa controversée chanson The Blacker The Berry, où il remet en question la violence et l’hypocrisie qui l’habite avant de juger celle des autres.

« Peu importe à quel point on trouve que je suis un leader, j’ai toujours été sous l’influence de quelqu’un d’autre », racontait-il à un journaliste de NPR lorsque sommé de défendre sa ligne incendiaire à propos de Trayvon Martin. « Cette ligne n’accusait personne, sauf moi-même. C’était le message de cette chanson : je ne peux pas changer le monde avant de me changer moi-même. Je me sens hypocrite de pleurer quand j’ai fait mal à des gens moi aussi. »

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En incarnant cette intégrité politique et créative, Kendrick Lamar a non seulement donné une plateforme à plusieurs messages et idées importantes, mais il a aussi montré que c’était possible d’avoir du succès comme artiste engagé.e si on est prêt.e à défendre ses convictions et si on ne tombe pas dans le piège du besoin constant de validation. Kendrick a été inspiré par Tupac Shakur dans les années 90. Il est lui-même l’extension logique de ses idéaux appliqués à un monde vastement différent. Tupac l’a fait, alors Kendrick l’a fait, et si Kendrick le fait, un.e autre jeune rappeur.euse inspiré.e prendra éventuellement le flambeau.

Ça marche comme ça, l’inspiration. C’est une machine à créer de nouvelles idées pour changer le monde.

2017 vs 2022

Est-ce que c’est plus compliqué d’avoir un impact social aussi fort et pertinent en 2022 que ce l’était dans le monde où la carrière de Kendrick Lamar a connu son essor ? The Heart Part 5 laisse croire que non, que Kendrick a passé ces quatre dernières années à développer des nouvelles manières de communiquer ses idées et surtout, de rassembler les enthousiastes de musique de tous azimuts.

Kendrick est d’abord et avant tout un symbole d’intégrité musicale et artistique avec une discographie quasi-parfaite. Est-ce qu’on est prêt.e.s à accepter qu’il puisse potentiellement se tirer une balle dans le pied ?

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La liste des problèmes sociaux ne s’est pas raccourcie depuis le dernier album de Kendrick : la pandémie, l’instabilité géopolitique, la désinformation, la santé mentale et j’en passe. Les problèmes qui étaient là en 2017 ne sont qu’exacerbés aujourd’hui et de nouvelles sources de détresse s’ajoutent semaine après semaine. Pour quelqu’un d’aussi ambitieux que Kendrick Lamar (on lui a diagnostiqué un complexe du sauveur à maintes reprises), être le militant musical par excellence est devenu un terrain miné. Tout le monde va s’attendre à se reconnaître quelque part dans sa musique.

Si certaines de ses paroles attisent la controverse, que va-t-il lui arriver ? Qui prendra sa place si les critiques le chassent dans l’ombre une nouvelle fois ? Kendrick est d’abord et avant tout un symbole d’intégrité musicale et artistique avec une discographie quasi-parfaite. Est-ce qu’on est prêt.e.s à accepter qu’il puisse potentiellement se tirer une balle dans le pied ?

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Il n’y a pas à dire, les attentes envers ce nouvel album sont extrêmement hautes. Musicalement parlant, mais politiquement aussi. Nous vivons à une époque polarisée où tout nouvel ajout à la culture semble une occasion de diviser le consensus et de fragmenter la conscience populaire. Pour un artiste comme Kendrick Lamar, sortir un nouvel album dans ce climat représente un grand risque et comme tou.te.s les artistes légendaires, il semble plus que prêt à le prendre.

Mr. Morale & The Big Steppers sort ce vendredi. Donnons-nous quelques écoutes et réfléchissons-y quelques jours avant de tirer des conclusions.