Alleluia ! La ville de Saint-Ouen a annoncé au printemps dernier expérimenter la création d’un congé menstruel sans perte de salaire pour ses employées, et la Métropole de Lyon vient tout juste de lui emboîter le pas. Malheureusement, ces initiatives devraient pour l’instant se cantonner à l’échelle locale et être non contraignantes pour le secteur privé. En effet, malgré des propositions de loi déposées par des élu.es écologistes et du PS il y a quelques mois, un rapport sénatorial paru le 28 juin est venu doucher tous les espoirs en écartant cette possibilité pour les femmes qui souffrent de cycles douloureux.
Et si la moyenne d’âge élevée des élu.es de la Chambre Haute (59 ans et 11 mois), ou le fait qu’ils ne disposent pas d’utérus pour la plupart (on compte seulement 35% de femmes au sein de l’institution parlementaire) auraient pu laisser croire que de toute façon les dés étaient pipés d’avance, sachez que la question n’a pas été étudiée par des sexagénaires phallocrates, mais par 4 sénatrices, de différents horizons politiques (Laurence Cohen du PCF, Annick Jacquemet de l’UDI, Marie-Pierre Richer du LR et Laurence Rossignol du PS). Leur conclusion ? Du moins, celle des trois premières, car elle n’a pas fait consensus auprès de l’élue socialiste : les règles douloureuses ne sont pas suffisamment handicapantes pour mettre en place un tel dispositif lorsqu’elles ne sont pas associées à une pathologie invalidante. Le cas échéant, cela nécessite une prise en charge thérapeutique, et non un simple congé.
Pourtant, selon un sondage Ifop paru en mars 2021, les femmes françaises étaient 68% à approuver l’idée d’un congé menstruel généralisé dans toutes les entreprises. Mais la sphère politique fait de la résistance. A la décharge des sénatrices, l’argumentaire de certaines associations féministes (ex : Osez le Féminisme) va dans leur sens. En effet, d’après ces organisations militantes, l’instauration d’un congé menstruel présente trois risques : celui de normaliser les douleurs, qui seraient dans la grande majorité des cas liées à une maladie sous jacente, plutôt que d’investir dans la recherche médicale pour les soigner, d’accroître la discrimination à l’embauche pour les femmes sur un marché du travail encore fortement inégalitaire, et d’augmenter le risque de harcèlement lié au genre en entreprise.
Un raisonnement qui ne fait pas l’unanimité. Primo, car de nouveaux droits ne sont pas nécessairement synonymes de cache-misères politiques. Et en attendant Le Grand Soir Féministe, accorder du repos aux femmes qui souffrent le martyre est une mesure salutaire à moyen terme, qui n’est absoluement pas antithétique avec le renforcement de la prise en charge médicale et des campagnes de sensibilisation nationales pour établir de meilleurs diagnostics.
Secundo, car cela laisse entendre que les souffrances liées au cycles menstruels doivent être d’une intensité à se taper le plancher pelvien contre le parquet pour être de nature à justifier une absence. Pourtant, en France, seulement 10% des femmes souffrent par exemple d’endométriose, qui tend aujourd’hui de plus en plus à être reconnue comme une affection longue durée, tandis que 50% des femmes de 30 à 50 ans souffrent de fibromes utérins pour lesquels une surveillance régulière et un traitement médicamenteux suffisent, quand bien même ils causent parfois des maux de dos terribles.
Tertio, car on ne bâtit pas le progrès social en nivelant tout par le bas. Autrement dit, plutôt que de prétendre garantir l’employabilité des femmes ou leur sérénité au sein de l’open-space en leur retirant la possibilité de prendre de nouveaux congés, on devrait pouvoir consolider l’appareil législatif qui les protège des comportements abusifs et continuer à lutter pour éradiquer toute forme de discrimation liée au genre, tout leur offrant la possibilité de se rouler en boule sous la couette, quand leur utérus se prend pour Dave Grohl.
Alors si dans l’Hexagone, les collectivités territoriales (et aussi quelques entreprises soucieuses du bien-être de leurs employées) sont pour l’instant les seules à avoir pris le problème à bras le corps en lançant ces expérimentations, allons voir si d’autres pays s’en sortent un peu mieux sur le sujet.
JAPON : PIONNIER DU GENRE
Le Japon, qui n’est pourtant pas le premier pays auquel on songe lorsqu’on parle de progressisme sociétal et de parité, a inscrit le droit au congé menstruel dans la loi depuis 1947 (article 68 du Code du travail). Il concerne tous les types de contrats, et il n’existe pas de limite au nombre d’heures ou de jours qu’une employée peut prendre, pour fusionner avec sa bouillotte. Là où le bât blesse, c’est que ce congé n’est le plus souvent pas payé car le législateur nippon s’est arrêté en cours de route et n’a pas prévu d’indemnisation. Par conséquent, selon une étude commanditée par le Ministère du travail japonais et parue en 2020, 30 % des entreprises seulement proposent de rembourser entièrement ou partiellement ces congés périodiques. Cette même enquête révèle également que 0,9 % des employées éligibles déclarent prendre des congés menstruels. Elles étaient pourtant 26% à exercer ce droit en 1965. La faute à la pression sociale, au rythme de travail effréné et aux petites magouilles des sociétés japonaises qui préfèrent donner des primes aux femmes qui n’en font pas la demande.
ESPAGNE : A JAMAIS LES PREMIERS (DE L’UE)
Les député.es espagnol.es ont adopté définitivement en février 2023 un projet de loi créant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses. Les employées ibériques qui souffrent de fortes douleurs menstruelles pourront donc désormais prendre trois jours de congés par mois. Et leur absence pourra être étendue à 5 jours, en cas de maux intenses (très fortes crampes, nausées, vomissements), avec certificat médical.
Décidément, entre ça et la semaine de 4 jours, il fait bon travailler chez nos voisins outre-Pyrénées. En tout cas, le législateur espagnol prend un peu plus au sérieux le bien être des salarié.es que les patrons de start-up qui nous servent de dirigeant.es politiques. Car non, installer un baby-foot dans la salle de pause ne suffit toujours pas à créer des conditions de travail optimales.
CORÉE DU SUD : DOIT POURSUIVRE SES EFFORTS
Depuis 2001 au Pays du Matin Frais, il est possible de demander un jour de congé menstruel non payé. Les entreprises qui ne respectent pas la loi s’exposent à une amende de 5 millions de wons, soit environ 3 750 euros. Mais comme chez son voisin le plus proche, le Japon, entre la théorie et la pratique, il y a parfois un océan de tampons qui empêche le flux des bonnes idées de passer. Ainsi, d’après un sondage effectué en 2018, seulement 19 % des Coréennes déclaraient utiliser ce droit.
Pourtant, selon une étude menée en France en 2021 par l’institut de sondage Ifop, 48% des Françaises, tous âges confondus, confiaient avoir des règles douloureuses. Et elles étaient même 87% à déclarer qu’elles préféraient ne plus êtres menstruées. Si la Corée du Sud n’est bien sûr pas la France, les systèmes reproductifs des femmes sont à peu près faits sur le même modèle partout dans le monde. Il n’est donc pas interdit de supposer que bon nombre de Coréennes qui pourraient rentrer se reposer souffrent en silence sur leurs chaises de bureaux en attendant la fin de la journée. Ou quand la loyauté vis-à-vis de l’entreprise et le stress de mal faire prennent le pas sur la santé gynécologique.
INDONÉSIE : BELLE TENTATIVE, NON SUIVIE D’EFFETS
En Indonésie, une loi adoptée en 2003 durant le mandat de Megawati Sukarnoputri, la première femme présidente du pays, prévoit un ou deux jours de congés payés en début de cycle menstruel, en cas de règles douloureuses. Théoriquement, la loi oblige seulement les employées à notifier la date de prise de ces congés à leur hiérarchie. Mais en pratique, ça se corse, car la mise en œuvre de ce dispositif est laissée aux entreprises et à leurs salariés. C’est donc sans surprise que beaucoup de sociétés s’essuient les pieds sur le bien-être des femmes au travail et n’autorisent qu’un seul jour de congé menstruel, voire aucun, en choisissant délibérément d’ignorer leurs droits.
TAÏWAN : LES CALCULS NE SONT PAS BONS
A Taïwan, on progresse mais on aime quand même bien faire les choses à moitié. Ainsi, si on reconnaît sur l’île le droit au congé menstruel et son remboursement, les employées ne peuvent en faire la demande qu’un jour par mois, et dans la limite de trois jours par an. Chères Taïwanaises, il ne vous reste donc plus qu’à programmer votre cycle une fois tous les trimestres… Cela dit, c’est déjà beaucoup plus que la plupart des autres pays. D’ailleurs, 42,5% des député.es du parlement taïwanais sont des femmes (contre 37% en France au sein de l’Assemblée Nationale) et ça se voit !
ZAMBIE : BRAVO LES ZAMBIENNES
Depuis 2015, la Zambie accorde aux femmes le droit à un congé menstruel qui leur permet de prendre un jour supplémentaire par mois en cas de règles douloureuses, sans préavis ni certificat médical. Un dispositif surnommé pudiquement “fête des mères”, dans une société où la sexualité est encore tabou, et qui offre donc du temps de repos plutôt que des colliers de nouilles à toutes les travailleuses du pays. Bien qu’à ce jour, aucun patron récalcitrant n’ait été puni, la loi prévoit tout de même des amendes, et jusqu’à six mois de prison, pour les employeurs qui refuseraient d’accorder ce congé. Si lors de son instauration, la mesure a fait polémique et certaines entreprises ont brandit la menace d’une baisse de la productivité, grâce au travail des syndicats et des associations qui se battent depuis des années pour faire appliquer la législation en vigueur, les Zambiennes sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à exercer leur droit.