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La matrescence, ou la naissance d’une mère
La matrescence, contraction des mots « maternité » et « adolescence », est un concept théorique qui décrit le choc de l’adaptation à la nouvelle réalité (ou vie?) de mère.
Dans les dernières années, le terme est redevenu à la mode et on en parle pas mal… sur TikTok. Quand on cherche le mot « matrescence » sur la plateforme, on tombe sur des vidéos qui cumulent pas moins de 17,6 millions de vues. Mettons qu’on peut dire que l’idée a fait son chemin.
Une vraiment bonne idée
C’est l’anthropologue américaine Dana Raphael qui introduit le concept en 1975 dans son ouvrage Being female : reproduction, power, and change. On lui doit aussi le mot « doula », d’ailleurs. Une pro des néologismes quoi.
L’idée révolutionnaire derrière la matrescence, c’est de prendre en compte les changements physiques, mais surtout psychologiques, émotionnels et identitaires vécus par la personne qui vient de donner naissance au fil des mois qui suit l’accouchement.
Dans un monde où toute l’attention se retrouve sur le bébé en période de post-partum, considérer que l’adaptation à la nouvelle vie de mère peut être difficile était quand même, à l’époque, un bold move.
En 2017, la journaliste Alexandra Sacks publie un article dans le New York Times intitulé « The Birth of a Mother ». Elle y mentionne la théorie de la matrescence, qui, depuis, telle la toune Running Up That Hill, connaît un revival inattendu, mais finalement bien nécessaire. Alors que le corps médical classe souvent les nouvelles mères dans la case « dépression post-partum » ou bedon « mère contente », la réalité est beaucoup plus complexe.
Devenir mère, c’est aussi faire face à un changement identitaire majeur, et cette transition vers ce nouveau « soi » se fait rarement sans heurts — ou sans deuils. Un peu comme pour l’adolescence, la matrescence se déverse dans toutes les sphères de notre vie : au travail, avec les ami.e.s, avec nos valeurs, dans notre couple…
Des changements palpables
La matrescence s’articule majoritairement autour de quelques points névralgiques :
Changements physiques
Je ne sais pas vous, mais moi, dans les semaines (ok, les mois) qui ont suivi mon accouchement, je me demandais un peu ce qui se passait avec mon corps.
Après des mois de bidou bien rond et ferme, on se retrouve avec un ventre mou, des cheveux qui tombent et un air fatigué au max.
Les études démontrent que les personnes qui ont accouché ont besoin de six à neuf mois pour se remettre complètement de l’expérience de sortie du bébé, qu’elle ait été vaginale ou par césarienne.
Ça, c’est sans parler de l’allaitement! Enfin, note Dana Raphaël, les changements hormonaux qui ont lieu après l’accouchement, qui peuvent nous faire sentir un peu triste ou même en colère, demandent une adaptation supplémentaire qui, tiens tiens, rappelle le malaise constant de l’adolescence.
Ambivalence constante
Devenir mère, c’est souvent vouloir passer tout son temps avec son bébé, mais aussi avoir besoin d’espace (et se sentir mal quand on prend du temps pour soi).
Choc de la réalité
Avant de devenir parent, on a une idée assez fixe de ce à quoi va ressembler notre maternité. En nous comparant à d’autres mères de notre entourage ou sur les réseaux sociaux, on se bâtit une vision claire de notre rapport à la parentalité. Mais une fois que le bébé débarque, on le sait, la réalité est souvent tout autre. C’est généralement à ce moment que peuvent naître de difficiles sentiments de comparaison, de honte et de jugement envers nous-même (le fameux « je ne suis pas assez bonne »).
Réécrire l’histoire
À mon sens, l’un des points les plus intéressants de la théorie de la matrescence est le lien entre l’identité maternelle et le bagage familial de la mère. « Toute maternité est intergénérationnelle », écrit Alexandra Sacks. Ce qu’elle veut dire par là, c’est que notre façon d’éduquer notre enfant est basée sur la manière dont notre propre mère nous a élevé.e, qui, avant nous, a tiré son style d’éducation de sa mère, et ainsi de suite.
On peut vouloir faire tout comme notre mère ou, au contraire, s’inscrire en opposition à certains de ses choix parentaux : peu importe.
Avec un bébé, on a l’occasion de réécrire l’histoire — ce qui, évidemment, amène son lot de questionnements existentiels.
Qu’est-ce que j’ai aimé dans la manière dont j’ai été élevé.e ? Qu’est-ce que je ne veux absolument pas répéter ? Ce faisant, on repasse à travers notre propre enfance… et on débloque parfois quelques nœuds qui devaient être défaits depuis longtemps.
La matrescence est un passage corsé, mais obligé. Et comme pour la puberté, certain.e.s la vivent mieux que d’autres. Reste que tout le monde passe par là — et personne ne considère cette période comme la plus glorieuse de sa vie, même si on en garde, des années plus tard, de tendres souvenirs mêlés à de l’amertume.