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La gifle de Will Smith, entre masculinité toxique et impunité du vedettariat

Le geste de Smith et la réaction du parterre ne sont pas anodins.

Par
Violette Cantin
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Depuis le 24 février dernier, jour du début de l’invasion russe en Ukraine, la violence prend une place omniprésente dans nos écrans. La guerre est partout : à la télévision, sur Twitter, sur Facebook… La violence, à une bien plus petite échelle et de manière beaucoup moins tragique, s’est également invitée dans nos écrans dimanche soir lors de la soirée des Oscars. Will Smith a profité du gala télévisé pour rappeler au grand public que deux des principaux véhicules de la violence, outre la guerre, sont la masculinité toxique et la culture de l’impunité dont bénéficie le vedettariat.

D’abord, rappelons les faits : environ à mi-parcours du gala, l’humoriste Chris Rock s’est amené sur scène pour présenter un prix. Il en a profité pour faire une blague au sujet de la femme de Will Smith, Jada Pinkett Smith, qui souffre d’une condition médicale qui lui fait perdre ses cheveux. D’abord souriant, Will Smith s’est soudainement levé de son siège, est monté sur scène et a asséné une violente gifle à Chris Rock. Il est retourné s’asseoir, sourire en coin, et a hurlé à deux reprises à Rock : « Keep my wife’s name out of your f*cking mouth! » (« Garde le nom de ma femme hors de ta foutue bouche! »)

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Les producteurs ont coupé le son de ce segment aux États-Unis et au Canada, mais certains pays, comme le Japon et l’Australie, ont eu droit à l’altercation intégrale. Chris Rock a repris sa présentation, presque comme si rien n’était arrivé, et quelques minutes plus tard, Will Smith a remporté l’Oscar du meilleur acteur. Bref, une soirée consternante, frustrante et violente.

Possessivité envers les femmes

Le seul fait que Smith ait ressenti le besoin d’aller gifler Rock après que celui-ci ait ri de sa femme constitue une démonstration flagrante de masculinité toxique. Ce n’est pas l’amour qui a fait bondir Will Smith de sa chaise : c’est le sentiment de possessivité qu’il éprouve envers sa femme. Comme si c’était SA responsabilité de préserver la bonne réputation de celle-ci et de défendre son honneur lorsqu’elle se fait attaquer.

« Je l’ai fait par amour », n’est-ce pas l’une des justifications les plus souvent invoquées par des hommes qui font subir de la violence à leur conjointe ?

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Le problème, c’est qu’on n’est plus au Moyen-Âge. D’abord, une femme est très souvent capable de se défendre toute seule. Ensuite, si elle ne s’en sent pas capable, elle peut elle-même demander de l’aide. Et dans tous les cas, venir en aide à une femme, ça peut prendre bien des formes plutôt que de monter sur scène en direct à la télévision pour gifler quelqu’un. Ça peut passer par le dialogue. Par l’éducation. Par la dénonciation. PAS par la violence.

Toute cette scène envoie un message alarmant aux garçons qui y ont assisté. Comme quoi la meilleure manière de régler ses conflits demeure la violence, et que c’est la responsabilité des hommes de protéger les femmes. L’homme chasseur, la femme chassée.

Une manière de penser à laquelle semble adhérer Will Smith, comme il l’a illustré dans son discours de remerciement après avoir reçu l’Oscar du meilleur acteur. Un discours qui, espérons-le, passera à l’histoire comme un condensé des arguments et des justifications les plus fréquemment utilisés par les hommes violents.

« Love will make you do crazy things » (« L’amour fait faire des choses folles »), a-t-il notamment affirmé.

J’imagine que bon nombre de spectateurs et spectatrices n’en ont pas cru leurs oreilles. « Je l’ai fait par amour », n’est-ce pas l’une des justifications les plus souvent invoquées par des hommes qui font subir de la violence conjugale à leur conjointe ? L’amour ne justifie pas la violence. Prétendre le contraire relève de la manipulation émotive.

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Dès le début de son discours, toutefois, Smith n’a pas hésité à tomber dans la victimisation pour justifier son acte violent. « Je me sens submergé par ce pour quoi Dieu m’a envoyé sur Terre », a-t-il commencé, avant d’ajouter sous les applaudissements de la foule qu’en faisant le film pour lequel il a été récompensé, King Richard, il devait « protéger » les actrices membres de la distribution.

Smith ne doit protéger personne. Croire le contraire, et invoquer Dieu pour le justifier, relève d’un complexe narcissique qui nécessite une assistance professionnelle. En étant témoin de ce discours, lors duquel l’acteur paraissait troublé et instable, on se dit que ce dernier gagnerait à être dans le bureau d’un.e thérapeute plutôt que sur la scène du Dolby Theatre.

Smith ne doit protéger personne. Croire le contraire, et invoquer Dieu pour le justifier, relève d’un complexe narcissique qui nécessite une assistance professionnelle.

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Dans une perspective plus globale, cette soirée en dit long sur l’industrie aux valeurs répugnantes qu’est Hollywood. Voir le parterre de vedettes applaudir Smith avec enthousiasme et voir ses amis acteurs venir « le consoler » après son acte de violence était tout simplement consternant. Constater que le gala a suivi son cours comme si de rien n’était relève de l’aberration. Will Smith n’est pas un héros, et encore moins une victime.

Cette altercation établit également un dangereux précédent pour les humoristes. Est-ce à dire qu’on peut se lever et aller frapper un.e humoriste sur scène lorsque celui-ci ou celle-ci lance une blague qui nous déplaît ?

À voir la réaction du reste de l’industrie, on comprend mieux comment un prédateur sexuel comme Harvey Weinstein a pu agresser et violer des femmes pendant des décennies. Les hommes connus et puissants ont droit à tout. À absolument tout. Et le reste de l’industrie se ferme les yeux, préférant applaudir leurs réussites professionnelles avec enthousiasme plutôt que d’assainir un milieu qui en a urgemment besoin.

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Une impression de déjà-vu

Les hommes violents et connus sont pleins de ressources et adorent tordre les faits.

Cela dit, Will Smith ne l’a pas toujours eu facile. Il a notamment dévoilé que son père battait sa mère, et on se doute qu’en tant qu’homme noir dans l’industrie du showbiz, il a dû subir un nombre incalculable d’attaques racistes. Et rappelons qu’ici, il n’est pas question d’une agression sexuelle ou de violence conjugale, mais bien d’une gifle assénée à un autre homme.

Cela n’excuse toutefois pas son geste violent. Et encore moins la réaction complaisante d’un parterre de vedettes qui devrait pourtant avoir tiré de douloureuses leçons du #MeToo.

La moindre des choses, ce serait qu’avant de réengager Will Smith sur un plateau, les producteurs et les productrices exigent qu’il suive une thérapie.