Logo

La France dans le viseur du rapport 2020 sur l’islamophobie en Europe

On vous explique pourquoi.

Par
Amélie Tresfels
Publicité

Le 30 décembre dernier, je suis tombée sur un tweet de la journaliste et militante anti-raciste Sihame Assbague qui mentionnait la publication d’un nouveau rapport sur l’évolution de l’Islamophobie en Europe en 2020. Et la petite surprise (ou pas), c’est que notre président Emmanuel Macron était en couverture ! J’avais donc une preuve de plus, en cette fin d’année, que notre réputation de « pays des droits de l’Homme » ne s’exportait plus très bien à l’international…

Comme le rapport est en anglais, j’ai tenté de trouver une traduction en français dans les jours qui ont suivi, en vain. De même pour un article ou une mention dans les media nationaux : rien du tout. Donc sans Twitter, ou plutôt sans le travail d’information gratuit et quotidien que fournissent les militant.e.s de ma timeline, je serais passée à côté de ce rapport qui est pourtant, je pense, essentiel pour prendre conscience de l’ampleur de la situation et agir contre cette islamophobie généralisée et institutionnalisée.

Publicité

Le 6e European Islamophobia Report rassemble donc 37 universitaires, expert.e.s et militant.e.s. Ils et elles couvrent l’évolution de l’islamophobie au sein de 31 pays, la plupart européen, à travers divers sujets allant des médias aux réseaux sociaux, en passant par la politique et le système judiciaire, et proposent des recommandations concrètes pour contrer cette islamophobie d’État grandissante.

Dans cette dernière édition, on apprend que « l’état de l’islamophobie en Europe non seulement ne s’est pas amélioré, mais a empiré, voire a atteint un point de basculement » en 2020, et que « les musulmans français et autrichiens ont été laissés aux mains d’une violence d’État brutale, légitimée au nom des lois antiterroristes », selon les deux chercheurs qui ont co-édité le rapport, Enes Bayrakli et Farid Hafez. La France apparait donc depuis 2020 comme « l’exemple le plus inquiétant d’islamophobie d’État » particulièrement depuis les répercussions de l’assassinat du professeur Samuel Paty, à travers notamment l’utilisation du concept de laïcité « pour cibler directement l’Islam ».

« Dans l’espace euro-atlantique, la France est devenue la capitale de l’islamophobie. »

Publicité

Le choix de couverture du rapport ne « surprend pas » Rafik Chekkat, auteur, militant et ancien avocat, engagé contre l’islamophobie et son institutionnalisation en France depuis plusieurs années. Elle illustre plutôt selon lui « une idée dont de plus en plus de personnes sont aujourd’hui convaincues : dans l’espace euro-atlantique, la France est devenue la capitale de l’islamophobie. » En effet, le gouvernement d’Emmanuel Macron est présenté dès l’introduction comme ayant été l’un des principaux acteurs de l’institutionnalisation de l’islamophobie et celui qui a « inquiété les gens du monde entier en 2020 » alors qu’il représente un courant plutôt « centriste et mainstream » de la politique, prouvant que l’islamophobie s’est peu à peu propagée sur le spectre politique français.

Inconséquence progressiste et léthargie politique

Mais le parti d’Emmanuel Macron et l’extrême-droite ne sont pas les seuls responsables selon Rafik Chekkat qui rappelle que « si le gouvernement peut mener aussi facilement son entreprise de démantèlement des structures musulmanes, c’est bien parce qu’il dispose de tout l’espace pour le faire » et dénonce « l’inconséquence des progressistes » et une « léthargie » de la part de toute la classe politique ainsi que des media « face au racisme ».

Publicité

De son côté, le gouvernement français n’a pas vraiment apprécié la démarche. Le Comité Interministériel Prévention Délinquance Radicalisation (CIPDR) a réagi avec virulence quelques jours après la sortie du rapport dans une série de tweets datant du 4 janvier (sans citer directement la source critiquée), où il accuse « ces véritables militants islamistes ou identitaires » de propager « leurs thèses séparatistes » et faire « passer leurs diatribes pour des « études » et « travaux de recherches » » et conclut en rappelant que « la France continuera à combattre, avec la plus grande détermination, tous les acteurs cherchant à salir et détruire ce qu’elle est : la nation des droits de l’Homme et des libertés. », le tout accompagné d’un montage photo « choc ». 2022 démarre sur les chapeaux de roues !

Publicité

Le rapport définit l’islamophobie comme « un racisme antimusulman, qui fonctionne par le biais de la construction d’une identité “musulmane” statique, désignée par des termes négatifs et généralisés à tous les musulmans ». Côté chiffre, l’Observatoire national de lutte contre l’islamophobie a enregistré 235 actes islamophobes du 1er janvier au 31 décembre 2020 (contre 154 pour l’année 2019), soit une augmentation de 53%. Néanmoins, l’Observatoire souligne que ces chiffres ne reflètent pas la réalité car de nombreuses victimes de racisme ne portent pas plainte.

La pandémie, qui a marqué l’année 2020, aurait aussi exacerbé les occurrences d’actes ou de discours islamophobes, principalement en ligne, sur les réseaux sociaux mais aussi à travers les média. Lors du premier confinement, certains d’entre eux ont relayé des discours stigmatisant les musulman.e.s et les populations issues de l’immigration insinuant que ceux-ci ne respectaient pas les mesures mises en place par le gouvernement et participaient donc activement à la propagation du virus ou encore que certaines de leur pratique religieuses mettaient en danger les autres citoyens.

Publicité

Les discriminations liées au port du voile ont, elles aussi, persisté en 2020, particulièrement dans le domaine de l’éducation. Que ce soit à l’école, lors de sorties scolaires ou bien à l’université, les musulmanes continuent d’être discriminées depuis la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques. Le rapport revient aussi sur l’attaque au couteau subie par deux femmes qui portaient le voile le 18 octobre 2020 à Paris quelques jours après le meurtre de Samuel Paty. Elles avaient été traitées de « sales arabes » par deux autres femmes et l’une d’elle avait fait référence au voile d’une des victimes en lui disant d’enlever ce « truc […] sur la tête ».

Mais selon Chafika Attalai et Dahina Moussi, chercheuses françaises, anciennes membres du Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) et responsables de la rédaction des 50 pages du rapport sur la France, le pilier de cette institutionnalisation de l’islamophobie récente, c’est la mise en place de la Loi « confortant le respect des principes de la République », anciennement appelée « loi contre le séparatisme », qui n’était alors qu’un projet de loi en 2020.

Publicité

Avec la Coordination contre la Loi Séparatisme (CCLS), l’ancien avocat Rafik Chekkat et d’autres personnes musulmanes de tous horizons (juristes, activistes, journalistes, etc) ont « mis en commun leur force et leur moyens pour lutter contre l’adoption de cette loi « attrape-tout » et liberticide ». Depuis, et malgré les nombreuses manifestations contre celle-ci, la loi a fini par être adoptée par le Parlement le 23 juillet 2021 et validée, hormis deux points, par le Conseil constitutionnel.

Depuis l’assassinat de Samuel Paty et l’accélération de la lutte contre “la radicalisation” et le “séparatisme” enclenchée par le gouvernement, Chafika Attalai et Dahina Moussi dénoncent donc « une véritable chasse aux sorcières », en mentionnant les nombreuses perquisitions, fermeture de dizaines d’établissements et d’associations musulmans considérés comme une menace nationale ou un « ennemi de la République », en particulier la dissolution du CCIF et de l’ONG BarakaCity. Une manière pour le gouvernement français de « museler tout discours mettant en cause son efficacité, voire son implication dans l’islamophobie en France », selon les autrices.

Publicité

Pour 2021, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur , à l’initiative de la loi contre le séparatisme, a annoncé le 13 décembre dernier que les actes anti-religieux avaient baissé dans leur ensemble, à l’exception des actes anti-musulmans qui ont augmenté de 32%, un chiffre qui vient donc confirmer les craintes soulevées par le rapport un an plus tôt. Depuis 2020, les chiffres annuels du CCIF ne sont, eux, plus disponibles compte tenu de la dissolution de l’association. Pour Chafika Attalai et Dahina Moussi, cela est problématique car les données de l’Observatoire National contre l’Islamophobie et celles qui ministère de l’intérieur ne seraient que « la partie émergée de l’iceberg ». Elles déplorent « qu’aucune donnée détaillée sur l’islamophobie classée par catégorie et par nature avec des analyses précises, comme celles fournies par le CCIF annuellement, [ne soit] disponible à l’heure actuelle pour la France – le pays le plus islamophobe d’Europe ».

Face à cette islamophobie d’Etat grandissante, les musulman.e.s de France ont heureusement pu compter sur le soutien de la communauté internationale. Les ONG Amnesty International et Human Rights Watch ont récemment dénoncé les nouvelles mesures mises en place pour combattre le terrorisme car elles craignent que celles-ci « bafouent les principes de non-discrimination, de non-refoulement et le droit à la liberté d’association ». D’autre part, 2020 a vu naître la coalition internationale contre l’islamophobie » qui regroupe plus de soixante associations internationales dont l’objectif premier est de « préparer des plans et des stratégies pour lutter contre l’islamophobie d’État en France et mettre fin aux abus contre les musulmans français. »

Publicité

Autre initiative plus récente, et cette fois-ci en France : le militant Rafik Chekkat a conceptualisé islamophobia.fr, une plateforme en accès libre « dédiée comme son nom l’indique à la question de l’islamophobie » qui sera lancée ce mois-ci. Podcasts, vidéos, documentaires mais aussi une revue, Conditions, animée avec le chercheur Hamza Esmili, ainsi que des rencontres pour fournir « les outils essentiels à la compréhension du phénomène islamophobe ».

Depuis le début de l’année 2022, la France a entamé sa présidence de l’Union Européenne pour 6 mois. Un article du média anglais The Guardian datant du 3 janvier met en avant les appréhensions d’une partie de la population musulmane européenne qui craint que les mesures autoritaires et liberticides prises à l’encontre des musulmans en France soient étendues et plébiscitées par Emmanuel Macron au niveau européen. Une crainte que Rafik Chekkat trouve « légitime » . Selon lui, « l’exécutif va certainement vouloir exporter le variant français de l’islamophobie » et relève que « la concomitance de cette présidence et des échéances électorales nationales, moments privilégiés de surenchère et de démagogie, n’augure rien de bon. »

Publicité

Keneth Roth, directeur exécutif de Human Rights Watch, a lui-même réagi à l’article de The Guardian sur Twitter où il évoque le « virage à droite » d’Emmanuel Macron, « alors que ses rivaux politiques diffusent une rhétorique anti-musulmane » et « les craintes [qui] s’intensifient de voir Macron laisser cette islamophobie contaminer ses projets européens. »

Quand on vous dit que la France rayonne à l’international…

https://twitter.com/RimSarah/status/1480533869438906368?t=sF19oyb0gK2AU1KsfEbL3w&s=03