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La country, ce n’est pas que de la musique de Blancs

Alors que le genre célèbre ses 100 ans, le public redécouvre son réel passé.

Par
Billy Eff
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Je me souviens d’une époque où les gens se plaisaient à dire qu’ils écoutaient « de tout, sauf de la country ! ».

En tout cas, cette ère semble bien révolue. On assiste, depuis la dernière décennie, à une réelle résurgence du country dans le mainstream. En regardant les line-ups des gros festivals de musique country et les statistiques de streaming, ou même en interrogeant les adeptes du genre, on pourrait facilement en venir à la conclusion que la country est un style de musique et une culture appartenant aux Blancs des États du Sud.

Pourtant, lorsqu’on se penche sur l’histoire de la country, on constate que le genre a fortement été influencé par les musiques noires américaines, comme c’est le cas pour la plupart des genres musicaux des États-Unis. Alors qu’on célèbre son centenaire, on peut se demander : où sont passés les artistes country de couleur? Et comment en est-on arrivé au préjugé que le country, c’est de la musique de Blancs ?

Jason Aldean et la country comme plateforme haineuse

Si vous suivez un tant soit peu l’actualité musicale, il y a de bonnes chances que vous ayez entendu parler de la saga de Jason Aldean, le chanteur country dont la chanson « Try That in a Small Town » (Essaie ça dans une petite ville) a été décriée pour ses propos racistes. Alors qu’Aldean réfute ces accusations, sa chanson a clairement trouvé son public dans les franges les plus extrémistes de la droite américaine, qui en ont fait leur hymne de l’été.

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C’est vrai que le stéréotype du fan de country redneck et quelque peu xénophobe perdure.

C’est aussi vrai qu’en grande majorité, les électeurs républicains écoutent surtout de la country et que le genre est devenu une plateforme propice aux chansons nationalistes et populistes, avec des sous-propos teintés de racisme, de valeurs chrétiennes et d’une bonne dose de « c’était mieux avant ! ».

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Ce genre de climat dans l’industrie du country a fait en sorte que, lorsque Lil Nas X est sorti de nulle part, en 2019, avec « Old Town Road », clairement une chanson country, personne ne savait dans quelle catégorie la mettre. On avait peu d’exemples modernes d’artistes country de couleur, et le fait que la chanson soit créée par un homme noir homosexuel et teintée de drums 808 a incité les labels à la classer plutôt dans le rap ou la pop.

Mais surtout pas dans la country, où l’éternelle image du vieux cowboy all-American et son banjo règne.

D’une musique rurale à l’autre

La contribution des artistes de couleur au country commence avec son instrument le plus emblématique : le banjo. En effet, cet instrument à cordes est inspiré de l’ekonting, un luth ouest-africain fabriqué à partir de gourdes, qui a été reproduit par les esclaves arrivés dans le Sud américain. Ils l’ont utilisé pour développer la hillbilly music, qui sera plus tard rebaptisée « country ». La dissémination du style chez un public blanc se fait à travers les tournées de « minstrel shows », ces spectacles où des acteurs blancs pratiquaient le blackface, en incarnant des personnages noirs, qui « apparaissaient généralement comme ignorants, stupides, superstitieux, joyeux et doués pour la danse et la musique ».

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Rappelons-nous qu’à cette époque, les États-Unis sont encore profondément ségrégués. Toutefois, la musique est surtout consommée sur des vinyles et à la radio et les artistes noirs comme blancs peuvent collaborer.

Plusieurs des standards du country moderne, comme « Blue Yodel No. 9 » ou « This Land is Your Land », étaient déjà de grands hits dans les communautés noires du Sud.

Mais dans l’entre-deux-guerres, les maisons de disques se sont mises à séparer la hillbilly music, avec des versions dites « white-washed » et la race music, c’est-à-dire la même musique, mais faite par des Noirs. On croyait alors que les gens achetaient la musique en fonction de leur ethnicité.

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Alors que les grands centres urbains ont commencé à se développer, les populations noires du sud des États-Unis se sont mises à migrer vers le nord, pour tenter leur chance à New York, à Chicago ou encore à Montréal, où elles se sont mises à construire, à partir de leur héritage de hillbilly music et de blues, les fondations de ce qui deviendrait le jazz. C’est à ce moment, alors que l’idée du Sud rural devient de plus en plus nostalgique, que l’on se met à appeler cette musique « country » (campagne), que des musiciens blancs formés par des Afro-Américains, comme Hank Williams et Johnny Cash, deviennent les figures de proue du genre et que les musiciens noirs se mettent à le délaisser pour en créer de nouveaux.

Reprendre sa place sur la scène

Si vous êtes vous-même fan de country, vous savez probablement que la communauté noire n’est pas complètement absente de la scène, avec les chansons tantôt suaves, tantôt bad boy de Kane Brown. La superstar américaine est métisse, un fait qui, énonce-t-il, lui était inconnu jusqu’à l’âge de 7 ou 8 ans.

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La chanteuse Madeline Edwards, également métissée, sera aussi de la partie et sa musique vaut la peine d’être entendue. Sa chanson « Mama, Dolly, Jesus » connait un succès considérable ces jours-ci. Ces artistes de couleur demeurent tout de même une exception sur la scène country, bien que les choses changent.

Si vous pensez que vous n’êtes pas fan de country, il y a tout un monde que vous devriez vraiment découvrir. Entre autres, la Montréalaise Allison Russell, plusieurs fois nommée aux Grammys, est un grand nom du country folk américain. Je suis biaisé, mais sa chanson « Montreal », tirée de son premier album solo Outside Child, est particulièrement magnifique.

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Grâce à la porte qu’a ouverte Lil Nas X, des artistes comme Willie Jones et Rvshvd se taillent aussi une place dans le country, tout en rejoignant un public qui ne s’était pas intéressé au genre depuis l’album de Ray Charles, Modern Sounds in Country and Western Music, paru en 1962.

Beaucoup de gens sont surpris d’apprendre que la country jouit d’une grande popularité à l’extérieur de l’Occident aussi. En Afrique, notamment, plusieurs pays ont des styles régionaux de country. La compilation Like Nashville in Naija explore l’histoire d’amour entre les Nigériens et le country, tandis que le chanteur George Sibanda est une véritable légende au Zimbabwe. Vecteur de changement, le country rock de Jess Sah Bi et Peter One a créé une révolution socioculturelle en Côte d’Ivoire.

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Alors que le style célèbre ses 100 ans, il vaut la peine de se pencher sur le cas de la country comme musique identitaire. Le genre musical redevient un sujet socioculturel chaud, à mesure que l’on dénoue les tensions entre les stéréotypes de blancheur que l’industrie a forgés et l’histoire diverse, complexe et ignorée de la country.