.jpg)
« La chute de la maison Usher » : la série qui voulait être toutes les séries
Mike Flanagan est un créateur visionnaire et ambitieux.
Avant qu’il ne se risque à adapter le roman de Shirley Jackson The Haunting of Hill House en minisérie Netflix en 2018, personne d’autre que lui n’avait envisagé que les classiques de l’horreur étaient quelque chose qui pouvait intéresser les gens au XXIe siècle. Ce risque calculé lui aura donné une carrière et aura révélé au monde un raconteur polyvalent et original qui n’est jamais tombé dans le panneau des grandes productions Hollywoodiennes comme plusieurs de ses contemporains.
Les séries de Mike Flanagan sont devenues une sorte de tradition annuelle sur Netflix.
L’an dernier, on a eu droit au très polarisant Midnight Club, l’année d’avant c’était l’excellente Midnight Mass et avant, c’était The Haunting of Bly Manor. Cette année, Flanagan a jeté son dévolu sur l’œuvre d’Edgar Allan Poe, plus précisément sa célèbre nouvelle La chute de la maison Usher, publiée en 1839… en tout cas, c’est le titre de la série, mais ce qui s’y passe a peu à voir avec l’histoire originale.
En théorie, l’idée est encore une fois géniale. En pratique, la nouvelle série de Mike Flanagan couvre la majorité des grandes nouvelles de Poe à raison d’une par épisode .Elle comporte aussi de nombreuses similarités fortuites avec la série Succession où des gosses d’ultrariches se battent pour hériter de la compagnie de leur père distant et sadique. La série est aussi truffée de commentaires sociaux aussi redondants qu’inutiles dans le contexte d’une série d’horreur. Bref, c’est très confus.
C’est pas nécessairement mauvais, mais après toutes ces années sans fausse note, Mike Flanagan a peut-être finalement péché par excès d’ambition.
Trop, c’est comme pas assez. Tout, c’est comme rien
À la base, La chute de la maison Usher est une nouvelle de vingt-six pages à propos d’un frère et d’une soeur, seuls survivants d’une famille affligée par « une malédiction » qui sous-entend un brin d’amour incestueux. Du moins, c’est ce que l’histoire laisse planer.
Puisque La chute de la maison Usher n’est qu’une nouvelle, il n’y a pas exactement matière à écrire huit épisodes et Mike Flanagan prend énormément de libertés créatives avec les personnages. Le Roderick Usher de la série (joué par l’excellent Bruce Greenwood) est ici un magnat de l’industrie pharmaceutique qui a fait sa fortune avec l’invention du ligodone, l’alter ego fictionnelle de l’oxycodone, un opioïde qui créé une dépendance tyrannique chez ses utilisateurs. Il a aussi une chiée d’enfants gâtés, tous aussi insupportables qu’inintéressants, tous morts dès le premier épisode. La chute de la maison Usher de Mike Flanagan, c’est beaucoup plus leur histoire à eux que celle de Roderick.
C’est là que ça se corse et que La chute de la maison Usher commence à ressembler à tout et à rien. Dans un soucis d’inclure l’inspecteur Dupin (autre personnage iconique d’Edgar Allan Poe) dans l’histoire, la série le transforme en assistant au procureur général et s’ancre autour d’une histoire de poursuite judiciaire visant la compagnie familiale Fortunato, à propos de la production de ligodone. Ceux et celles qui ont suivi les séries Painkiller et Dopesick reconnaîtront sans doute cette poursuite, à la différence près que dans ces séries, on s’attaque à la vraie de vraie crise des opioïdes.
Je précise, c’est le fun de discuter de problèmes sociaux dans une série, mais il faut toujours se poser deux questions quand on le fait: 1) est-ce qu’on dit quelque chose qui n’a pas déjà été dit 1000 fois ? et 2) est-ce que c’est pertinent à l’histoire qu’on raconte ou au sentiment qu’on essaie d’évoquer ? Malheureusement, la réponse aux deux questions ici est non.
L’exploration de l’univers thématique d’Edgar Allan Poe fonctionne un peu mieux, mais c’est mêlant, même on s’y connaît.
J’ai consacré beaucoup de temps à étudier Poe pendant mes études universitaires, et bien que je voyais les parallèles avec plusieurs de ses récits, je ne comprenais pas toujours où Mike Flanagan voulait en venir. Je n’imagine même pas essayer de comprendre pourquoi il y a un maudit gorille dans l’histoire si je n’avais pas lu au préalable Double assassinat dans la rue Morgue. Pas que je veuille être « ce gars-là », mais c’est sûre que ça aide d’avoir lu Poe avant de regarder La chute de la maison Usher.
Gothique contemporain
Ceci dit, j’ai un faible pour les adaptations contemporaines de l’imaginaire gothique. Entre autres, la fascination du genre pour l’architecture labyrinthique se transpose facilement avec une époque de développement urbain effréné et la colonisation du territoire par les ultrariches et l’extrapolation du romantisme propre à la littérature gothique traditionnelle en sexualité débridée et conquérante faite par Flanagan fonctionne parfaitement.
Au-delà des moments d’horreurs pure, La chute de la maison Usher se démarque par le sentiment inhérent de tragédie qui traverse à la fois le texte et la mise en scène.
Même sans la première scène où Roderick Usher nous raconte que tout se terminera très mal, la série elle-même laisse planer un nuage sombre sur le destin de ses personnages. Un ton et une atmosphère souvent subtils, mais fidèles à l’esprit des nouvelles de Poe.
Il faut comprendre que Mike Flanagan est un raconteur gothique à la base. Ses histoires sont hantées par des endroits reclus ou maudits (parfois les deux) et ses personnages portent le poids d’un passé inguérissable et d’un présent inaccessible sur leurs épaules. Malgré leur petit côté dérivatif et l’intrigue rapiécée dans laquelle ils évoluent, les personnages de La chute de la maison Usher sont à la hauteur de leurs prédécesseurs à leur manière.
Devriez-vous regarder La chute de la maison Usher ce week-end ou d’ici Halloween ?
Mmmmoui ? Peut-être ? Si ce que vous cherchez, ce sont des monstres grotesques qui sortent à toute vitesse de la pénombre pour surprendre les personnages dans un moment de vulnérabilité, vous serez sans doute déçus. Il y en a, mais pas tant que ça. Si ce qui vous intéresse, c’est la connexion émotionnelle avec des personnages forts comme nous y a habitué Mike Flanagan, vous allez peut-être être déçus aussi. C’est moins facile d’aimer des vieux pets riches et fendants. On y arrive éventuellement, mais ça prend beaucoup de bonne foi. Il y a aussi cette histoire de parallèle avec Succession qui est un brin gênante.
Venez pour Flanagan, mais restez pour Poe, je suppose ? C’est de loin son projet le plus décousu depuis des années, mais c’est quand même du Mike Flanagan ! C’est probablement meilleur que ce que vous regardez en ce moment.