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La balle est dans notre camp

« Ne laissons pas les Premiers Peuples se battre seuls. »

Par
Dominique Charron
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Ce texte a d’abord été publié sur la page Facebook de l’autrice, nous le reproduisons avec son autorisation.

Ça doit faire une dizaine d’années que je prends la parole publiquement pour des questions autochtones. Je ne sais pas toujours comment faire pour ne pas sonner comme celle qui fait la morale. Je ne sais pas non plus ce que les gens à qui je parle savent ou comprennent. Des fois, souvent, à défaut de trouver les mots, je me tais. Je sais que la ligne est mince, qu’on peut vite taper sur les nerfs et sonner comme un vieux disque usé. Je pense aussi que la parole appartient d’abord et avant tout aux Autochtones, alors j’essaie d’amplifier leurs voix plutôt que de faire entendre la mienne.

Dernièrement, avec l’enquête de la coroner sur la mort de Joyce Echaquan et la découverte de 215 petits corps d’enfants enterrés sans amour et sans dignité humaine, je me sens dans une position particulière. J’ai plusieurs ami.e.s et connaissances autochtones. Je suis aussi abonnée à plusieurs comptes de médias, d’organismes et de regroupements autochtones de toutes sortes. Dans ce réseau, les messages de deuil, de sympathie, de colère, de tristesse et d’information abondent. Impossible de ne pas savoir ce qui se passe. Pour elleux, les dernières semaines (que dis-je, les derniers siècles) ont été d’une lourdeur, d’une douleur et d’une tristesse sans nom.

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Si je choisis de prendre la parole aujourd’hui, en mon nom, c’est pour leur dire que je les entends, et peut-être aussi pour leur donner un peu de répit, pour prendre le relais de leur parole quelques instants, en espérant la porter là où elle n’est pas déjà entendue.

La honte et la culpabilité ne sont d’aucune utilité ici.

J’ai aussi plusieurs ami.e.s allochtones. De ce côté, c’est pas mal le silence. On y parle de déconfinement, d’arbres en fleurs, de vaccins, de hockey. Comprenez-moi bien, je ne pointe personne du doigt. Je ne cherche pas à culpabiliser qui que ce soit. La honte et la culpabilité ne sont d’aucune utilité ici. Peut-être que vous avez vu passer les infos et que vous avez choisi de vous taire, que vous préférez laisser la parole aux Autochtones, ou que vous ne savez simplement pas quoi dire ou quoi faire. Peut-être que votre vie est assez difficile comme ça ces temps-ci et que vous n’avez juste plus d’espace pour la souffrance des autres. Peut-être aussi que vous faites toutes sortes de choses, mais que vous n’en parlez pas sur Facebook. C’est correct. Je sais que je parle à des gens majoritairement de gauche et militants pour toutes sortes de causes.

Il y a bel et bien eu un génocide au Canada. On vient de retrouver les corps de 215 de ses victimes.

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Ce qui me frappe, c’est à quel point la balle est dans notre camp, nous, les allochtones. Les questions rhétoriques et un peu démagogiques du genre « Et si vous aviez vécu en Afrique du Sud pendant l’apartheid, qu’auriez-vous fait ? », ben c’est pas si démagogique que ça quand on parle des enjeux autochtones au Canada.

Il y a bel et bien eu un génocide au Canada. On vient de retrouver les corps de 215 de ses victimes.

Il y a encore en vigueur au Canada une loi qui considère les “Indiens” comme d’éternels mineurs. Ils et elles vivent sous la tutelle de l’État toute leur vie parce qu’on juge que leur sang est celui d’une sous-race d’humains incapables d’autodétermination.

Les croyances et préjugés qui ont permis ces atrocités, on se les transmet encore à différents degrés entre allochtones. Des fois, c’est juste des petites blagues mesquines, d’autres fois, c’est beaucoup plus grave, mais le fond de racisme est encore là. C’est comme ça que des femmes autochtones meurent ou disparaissent sans que la police trouve important de mener des enquêtes complètes, que des femmes autochtones se font stériliser par des médecins qui pensent savoir mieux qu’elles si elles sont aptes à avoir des enfants, que du personnel hospitalier insulte, ignore, maltraite et possiblement tue des Autochtones qui demandent de l’aide et des soins, que des lois protégeant la langue française sont proposées sans même penser aux langues autochtones (des langues d’un héritage millénaire!) en danger de disparition imminente, que des enfants autochtones sont arrachés à leur famille et à leur culture et qu’ils sont surreprésentés dans le système de protection de la jeunesse… et je ne parle là que d’exemples vus récemment dans les nouvelles.

Les pensionnats autochtones ont été fermés, mais le racisme qui leur a donné naissance est encore là, dans notre Constitution, dans nos lois, dans nos esprits.

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Nous avons hérité de ce système. Les pensionnats autochtones ont été fermés, mais le racisme qui leur a donné naissance est encore là, dans notre Constitution, dans nos lois, dans nos esprits. Je sais que j’ai appris très jeune à me dire « Ah bof, c’est juste les Autochtones. C’est normal avec eux autres. » J’attrape encore cette petite voix en moi des fois. Je la déteste, elle me parle de moins en moins, mais elle est là. C’est sûrement la même chose pour vous. Nous avons hérité de ce système, de ses conséquences et de toutes ses laideurs, un système conçu pour nous élever. C’est si facile de ne pas s’en mêler.

Qu’aurions-nous fait en Afrique du Sud pendant l’apartheid ? Ce qu’on aurait pu, sans doute. Des gestes à notre hauteur. Dans ce cas-ci, être allochtone, ça ne veut pas dire être tout puissant, avoir une énergie inépuisable et des moyens illimités. On ne peut pas toustes être le personnage héroïque du film.

On va faire des erreurs. On va s’élancer avec conviction et tomber en pleine face, ou se heurter à la violence de celleux qui ne veulent pas céder un iota de pouvoir et de privilège. Ça vient avec. C’est le seul chemin.

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Mais n’en faisons pas moins que ce qu’on peut, sous prétexte que c’est trop gros et complexe de toute façon, ou que cette souffrance ne nous appartient pas. Elle nous appartient, on en a hérité. La balle est dans notre camp. Faisons taire la petite voix qui nous dit de s’en foutre. Ne laissons pas les Premiers Peuples se battre seuls. On ne réussira jamais à passer à la prochaine étape, sinon.

Vous ne savez pas par où commencer ? Quelques pistes ici :