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Jet de peinture, attaque au hachoir et entartrage : un siècle de scandales dans le monde de l’art
Quand certain.es profitent des veilles de jours fériés pour se mettre au vert, d’autres préfèrent prolonger leur week-end en garde à vue. Dans la journée du 7 mai, un visiteur de l’exposition Ma pensée sérielle au Palais de Tokyo, a aspergé de peinture mauve la toile Fuck abstraction ! Un amoureux de l’action-painting façon Pollock ? Non, plutôt un vandale du dimanche – et un ancien élu FN – qui avait dissimulé le liquide dans une fiole de médicaments. Il faut dire que l’œuvre de l’artiste suisse Miriam Cahn suscite la polémique depuis plusieurs semaines.
Accusée de banaliser la pédocriminalité en représentant une scène de fellation pratiquée sur un adulte par un enfant entravé, la toile a fait l’objet de vives critiques au sein de la fachosphère et d’une saisine du tribunal administratif de Paris par six associations de défense des droits de l’enfant pour obtenir son décrochage. Cette action en justice n’a pas abouti, mais les gouttelettes de peinture ont, quant à elles, bien atteint leur but. Pourtant, bien que difficile à regarder et brutal, le dessein du tableau est clair : dénoncer les exactions commises par les troupes russes dans la ville de Boutcha, lors de l’invasion ukrainienne au printemps 2022.
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Mais l’intention manifeste de l’artiste et la contextualisation de l’œuvre n’auront pas suffi à apaiser les esprits et à empêcher cette dégradation. En accord avec la peintre, le Palais de Tokyo a toutefois décidé de laisser l’œuvre telle quelle, jusqu’à la fin de l’exposition le 14 mai prochain. Gageons que ce nouveau look attirera encore davantage de curieux. Mais les scandales et dégradations d’œuvres qui ont agité le monde de l’art ne datent malheureusement pas d’hier. Voici de quoi se rafraîchir la mémoire.
VANDALISER POUR ALERTER
Le 9 mars 1914, la suffragette canadienne Mary Richardson lacère à coups de hachoir le postérieur de La Vénus au miroir du peintre Diego Velazquez, pour alerter sur la mise en détention et le gavage forcée de la militante féministe Emmeline Pankhurst, attirer l’attention de l’opinion publique sur la question du suffrage féminin, et obtenir l’égalité des droits. Elle sera condamnée à 6 mois de prison ferme (la peine maximum encourue à l’époque pour ce type de délits) et sortira au bout de quelques semaines après avoir entamé une grève de la faim. Lors de son arrestation, elle aurait déclaré : «Je suis une suffragette. On peut remplacer des tableaux, mais pas des humains. Ils sont en train de tuer Madame Pankhurst.» mais aussi : « la justice est un élément de la beauté plus encore que les couleurs ou les dessins sur une toile ». Et on aurait aimé qu’elle se souvienne également de cette affirmation avant de rejoindre un parti fasciste en 1934…
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Toujours est-il que ces coups de hachoir n’étaient pas des coups d’épée dans l’eau puisque après des années de mobilisation (et une guerre mondiale), les femmes britanniques obtiennent partiellement le droit de vote en 1918. Il faudra toutefois attendre 1928 pour que ce droit soit étendu à toutes les femmes. Autre époque, autres revendications, mais même type d’actions coups de poing : des collectifs militants écolos font parler d’eux depuis quelques années en s’en prenant à des chefs d’œuvre du patrimoine mondial pour dénoncer l’inaction des politiques face à la crise climatique. De la purée sur un Monet ou de la soupe à la tomate sur un Van Gogh : la méthode fait débat. Mais si les tableaux s’en sortent sans dommage (les activistes ont choisi à dessein des œuvres recouvertes par des vitres), la planète, quant à elle, continue de brûler…
UN MOMENT D’ÉGAREMENT
Tenter de percer le mystère de l’insondable rictus de la Joconde peut vous mener tout droit à l’infirmerie du Louvres. Tarte à la crème (en 2022), bombe de peinture (en 1974) ou encore jet de mug (en 2009), rien n’aura été épargné au chef d’œuvre de Léonard de Vinci. Mais le sourire en coin de Mona Lisa n’est pas le seule à avoir subi le coup de folie d’un visiteur. Ainsi, en 1972, la Pietà de Michel Ange est sévèrement mutilée par Laszlo Toth, un Australien en plein délire mystique qui se prend pour Jésus, et qui ne se trouve probablement pas assez gaulé sur la sculpture.
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Un quart de siècle plus tard, le néerlandais Gerard Jan van Bladeren, lui-même artiste, larde de coups de cutter la toile Cathedra du peintre Barnett Newman. Le criminel – qui avait en horreur l’art abstrait – trouvait la toile trop bien ordonnée face au chaos du monde. Et il n’en était pas à son coup d’essai puisqu’il avait déjà été incarcéré durant 5 mois quelques années auparavant, pour avoir fait subir le même sort à une autre toile du même peintre (Who’s Afraid of Red, Yellow and Blue III). Un épisode de crise causé par l’apparence trop lisse, l’ordre, et l’harmonie d’un tableau ? Attendez un peu que Gerard découvre le compte Instagram de Marie Kondo…
LES RÉACS CONTRE ATTAQUENT
En 1987 l’artiste Andres Serrano mélange un peu de son sang avec une pinte d’urine tiède et immerge un petit crucifix en plastique dans ce cocktail détonnant, avant de le prendre en photo. Son but ? Engager une réflexion sur l’adoration des reliques, et les profits engrangés par des institutions milliardaires qui se réclament de la parole de Jésus. Levée de boucliers des catholiques les plus fervents, des militants d’extrême droite et du fan-club du messie, qui jugent l’œuvre blasphématoire. Ils tentent à plusieurs reprises de la détruire comme en 1997 à Melbourne, ou en 2007, dans une galerie d’art suédoise. La dernière attaque remonte à 2011, lors d’une exposition dans un musée d’Avignon. Après plusieurs menaces de mort à l’encontre des organisateurs de l’exposition et une manifestation devant l’établissement pour demander le retrait de la photo, trois hommes s’introduisent dans le musée et se la jouent Basic Instinct en frappant l’œuvre à coups de marteau et de pic à glace. Ils avaient dû sauter le passage de la Bible qui parle de tendre l’autre joue…
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Autre œuvre polémique, mais mêmes détracteurs : Tree, l’arbre de Noël gonflable de 25 mètres très suggestif, installé par l’artiste Paul McCarthy sur la place Vendôme à l’occasion de la 41ème édition de la FIAC. Le sex-toy géant érigé dans le très chic 1er arrondissement n’aura pas fait long feu face aux identitaires du Printemps Français, et aux cathos tradis qui n’ont pas vraiment goûté la plaisanterie et ont sorti leur sac à sapin avec deux mois d’avance. Il aura fallu seulement trois jours pour que la sculpture soit sabotée et s’affaisse, et que l’artiste (également agressé lors du montage) renonce à l’installer à nouveau. Même ire des fachos contre Dirty Corner, l’installation monumentale de l’artiste britannique Anish Kapoor évoquant un vagin. La gigantesque trompe en acier est souillée à deux reprises avec des tags antisémites et royalistes, par des individus qui jugent obscène son exposition dans les jardins de Versailles. Le plasticien décidera finalement de laisser les insultes, pour rendre visible la haine et l’intolérance que suscite son travail. Qu’on trouve toutes ces œuvres génialement provocatrices ou tout simplement de mauvais goût, l’histoire retiendra une seule chose : les réacs feraient peut-être mieux de s’occuper de leurs culs que de plug anal.
ENVIE PRESSANTE ET GESTE ARTISTIQUE
A priori, rien de plus banal que de pisser dans un urinoir. Sauf lorsqu’on se soulage dans la Madone des toilettes : la Fontaine en porcelaine de Marcel Duchamp (et qu’on décide de lui administrer un petit coup de marteau au passage). Alors, happening pour dénoncer l’insuffisance de chiottes publiques dans l’espace urbain ? D’après l’auteur du délit – l’artiste Pierre Pinoncelli – il s’agissait plutôt d’un hommage rendu au père fondateur de l’art contemporain. Son objectif : respecter la volonté de Duchamp en désacralisant l’objet, et redonner sa fonction première à l’œuvre exposée en vidant sa vessie dans une cuvette estimée à plusieurs millions d’euros.
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Même logique chez David Datuna en 2020, qui ne fait qu’une bouchée de la banane scotchée au mur par l’Italien Maurizio Cattelan à la galerie Emmanuel Perrotin de Miami. Il érige sa bravade en performance artistique qu’il nomme Hungry Artist, et répond aux journalistes qui l’interrogent sur son acte que le fruit était absolument délicieux. Malheureusement, respecter les recommandations de l’OMS en matière de fruits et légumes n’aura pas porté chance à l’artiste farceur qui est décédé en 2022. Quant à la collectionneuse américaine qui avait fait l’acquisition de l’œuvre pour la bagatelle de 120 000 dollars, l’histoire ne dit pas si elle continue d’apprécier les natures mortes.