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Jérémy Moritz, dessinateur de lumières

Par
Antoine Irrien
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De Man Ray à Picasso, le light painting fascine. À Brest, Jérémy Moritz en est un passionné. Tous les soirs, il arpente le béton mouillé avec son appareil photo et de drôles de lampes torches dans sa besace.

Le soleil se couche sur Brest. Les lumières de l’hôpital de la Cavale-Blanche, au nord-ouest de la ville, se mettent à scintiller. Non loin de l’entrée des urgences, les murs humides du fort du Questel apparaissent dans la pénombre. Cet ouvrage fait partie des nombreuses fortifications imaginées par Vauban pour protéger l’important port militaire pendant l’Époque moderne. L’endroit, propriété de la municipalité, est lugubre. Lieu de balade aujourd’hui apprécié des habitants, peu de promeneurs décident de s’y aventurer la nuit. Le pont-levis est abaissé. L’entrée principale est effrayante. De chaque côté, des couloirs plus obscurs les uns que les autres attirent le regard.

Droit devant, la cour centrale est tapissée d’une herbe bien verte. Le gazon grimpe un peu partout sur les blocs de pierre. « Tu peux venir, je suis là ! », lance une voix qui semble provenir d’une galerie souterraine. L’immense monument est truffé de souterrains, d’escaliers, d’escarpes et de contrescarpes. Une lampe est placée sur l’une des marches qui mènent un peu plus bas.

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Au niveau inférieur, une silhouette humaine fait petit à petit son apparition. Les murs et le plafond arrondi sont revêtus de très vieilles pierres. « Salut, enchanté, et bienvenue au Questel », indique Jérémy Moritz, qui dispose des bougies de part et d’autre du sol poussiéreux. Elles finissent par former les contours d’une croix semblable à la configuration d’une église. Un rite satanique ? « Rien de tout cela, assure le Brestois, en se marrant. On pourrait le croire, mais les passants sont plutôt curieux et viennent me demander ce que je suis en train de faire ». Plus loin, un appareil photo l’attend, bien fixé à son trépied.

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Une minute la prise

Jérémy Moritz, entièrement vêtu de noir, y a pris ses habitudes. Il a découvert le light painting il y a un an. Il s’agit d’une technique de prise de vue photographique qui consiste à utiliser un temps d’exposition long dans un environnement sombre en y déplaçant une source de lumière ou en bougeant l’appareil. Le cliché obtenu révèle alors toutes les traces lumineuses réalisées dans le champ de l’objectif pendant la prise.

Depuis quelques mois, le néo light painter ne peut plus s’en passer. « En ce moment, je peux en faire jusqu’à deux heures par jour. Il y a pas mal de friches et de bâtiments anciens à Brest. C’est satisfaisant de pouvoir mettre en lumière des lieux historiques comme celui-ci ». Jérémy Moritz fouille son sac. Un tas de matériel déborde. « J’ai tout un tas de lampes. La plupart d’entre elles, je les bricole avec des leds multicolores. J’y attache même des ficelles pour les faire tourner dans tous les sens. J’en achète des plus spécifiques sur des sites de light painting ».

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Il finit par choisir deux lampes rectangulaires aux néons bleus et verts. L’artiste déclenche son appareil. Il se met soudain à réaliser de grands gestes dans le vide. Le clic sonne la fin de sa chorégraphie. « Ce soir, je pars sur une minute de prise, pour avoir une image claire. Je veux que les lampes ne causent pas de surexposition. Il faut sans cesse essayer de créer un équilibre dans l’image ». Le résultat tombe sur l’écran LCD. La surprise est épatante. Une sphère bicolore apparaît au fond du chemin de bougies. Les traits qui la forment sont parfaitement symétriques. « Il faut être précisément aligné. Je pars d’une base, au sol, puis je remonte à chaque fois en changeant d’angle. Il faut être très précis. Sinon, c’est loupé. » Chose surprenante, Jérémy n’apparaît jamais sur ses photos. « Je suis constamment en mouvement. Je suis comme une ombre », sourit le light painter.

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Tout feu tout flamme

Lors de cette session, le Brestois enchaîne les allers-retours entre son appareil, son sac, et son espace scénique. Dans sa tête, les idées fulminent. En moins d’une minute, il dessine des vagues, des courbes, des clés de sol, des fleurs, et même un cygne. Il va même jusqu’à se caresser de la fibre optique sur le corps. Le but est de redessiner sa silhouette. Sur le cliché, il est transparent, comme un spectre. On ne voit que les pointillés de lumière qui façonnent les contours de sa tête, de ses bras, de ses jambes, et de ses pieds. Pendant cette session, un peu moins d’une quarantaine de mises en scène ont été réalisées.

Mais le clou du spectacle, Jérémy Moritz le préfère avec des étincelles. Avec son briquet, il allume de la paille de fer accrochée au bout d’un manche. Il met sa capuche, « par mesures de précaution », dit-il. Un instant, on dirait vraiment un ninja ou un Sith, tout droit sorti du côté obscur. D’un seul coup, il prend la ficelle et tire la matière enflammée. Il se met alors à effectuer de grands cercles, tout en reculant. Les étincelles partent dans tous les sens, tapent dans les murs, et dégringolent du plafond arrondi. Les crépitements détonnent. C’est impressionnant. Quelques secondes plus tard, des cercles de feu jaillissent les uns après les autres sur l’écran, offrant une belle profondeur de champ. « Il faut rester un peu plus longtemps pour que le dessin face une trace nette, indique Jérémy, un brin perfectionniste. L’intérêt de la longue exposition, c’est que je peux intervenir trois fois sur ma photo si j’ai envie, y ajouter des choses, d’autres couleurs. Il faut surtout qu’il y ait de la profondeur. Une galerie souterraine comme celle-ci est parfaite. Tout est humide, donc il n’y a pas de danger ». Le Brestois n’a pas vraiment peur de l’endroit où il se trouve. Il vit pourtant sa passion seul, dans le noir, tous les soirs, avant de commencer sa nuit à la réception d’un hôtel. « Je n’ai pas la frousse. Je suis tellement concentré dans ce que je fais que j’en oublie que ça fout les boules ici. L’hiver, je viens en début de soirée. Je n’ai jamais eu de problèmes avec qui que ce soit. »

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S’il parcourt les rues de Brest à la recherche de la perle rare, le fort du Questel reste son spot fétiche. Le light painting en extérieur demande beaucoup plus de techniques et de réglages. « Il faut gérer les couleurs extérieures et le temps brestois qui changent toutes les cinq minutes. Même la nuit, avec les nuages. Dehors, le temps de prise est de vingt secondes maximum. Il faut constamment s’adapter aux lumières de la ville. Les soirs de pleine lune, j’aime bien me balader du côté de Recouvrance, près de la Tour Tanguy. Depuis sa reconstruction, Brest a toujours été très photographiée. La ville est un spot à ciel ouvert pour tout light painter. »

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Une histoire d’artistes

Jérémy Moritz semble déjà maîtriser son art à la perfection. Pourtant, le réceptionniste de métier cherche sans cesse à progresser. « Ce que je préfère, c’est dessiner des formes. J’ai découvert le light painting par le biais d’internet, pas spécialement pour le goût de la photo. Je n’en avais quasiment jamais fait avant. Il a bien fallu que j’apprenne à me servir du mode manuel de mon appareil en mode, reprend l’artiste, qui voit dans le light painting une façon de faire apparaître un imaginaire féerique dans un endroit où une simple photographie ne fait que capturer une image fixe. « Je me suis motivé à devenir une sorte de dessinateur photographe. Ça change des photos de paysages, des portraits. Avec la lumière, on peut tout faire. »

Le Brestois souhaite un jour pouvoir vendre ses compositions. Car ses clichés de light painting se sont fait une belle place sur son disque dur. « J’ai un peu plus de 1500 photos à mon actif. Pourquoi pas organiser un jour une expo. Récemment, je suis intervenu auprès d’un club photo d’une commune voisine. » Le light painting intéresse ses amis photographes. Ils l’accompagnent parfois. Il est l’unique light painter de la ville, depuis que Jérôme Héliès, qui a pratiqué et fait découvrir la discipline pendant quelques années dans une maison de quartier, a cessé l’activité pour se consacrer à sa vie de famille.

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Il faut dire que le light painting est encore assez méconnu. Néanmoins, il a ses adeptes depuis des lustres. Cette discipline existe depuis la création de la photographie. En 1882, Étienne-Jules Marey s’est amusé à signer son nom avec une boule blanche en se déplaçant devant un mur sombre. Il a enregistré toute l’opération avec son appareil. Le célèbre Man Ray s’y est mis en 1937. Même Pablo Picasso a réalisé une série de clichés en collaboration avec le photographe et cinéaste américain Gjon Mili, en 1949. Les images présentent des écritures issues d’un rapide crayonné dans l’air. L’artiste français Georges Mathieu et le Suisse Jacques Pugin ont aussi pratiqué la discipline au siècle dernier. Plus récemment, une ligue francophone a été fondée en 2015. Elle recense plus d’une centaine de light painters à travers le monde. En France, Jadikan fait office de figure dans le milieu, tout comme la franco-américaine Chanette Manso, qui s’est installée à Nice. Jérémy Moritz a donc de quoi s’inspirer.

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