Sandrine Joineau, créatrice du blog « Au bonheur des Working Mums », vient de sortir un livre Le jour où j’ai coupé l’oreille du doudou de mon enfant ! aux éditions Kiwi. Elle y aborde le burnout maternel avec humour et bienveillance . Dans ce guide pratique écrit comme une trousse de secours, elle propose 34 commandements pour s’apprécier en tant que maman travailleuse et se rassurer : faire de son mieux, c’est déjà parfait. Pour URBANIA, elle a bien voulu nous raconter sa réalité avec ses hauts et ses bas de working mum, sans langue de bois. On lui laisse la parole ici.
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Je n’ai jamais voulu avoir d’enfant. Quand mes amies me disaient : « Je suis enceinte », je me disais dans ma tête : « Ma pauvre ! » Quand elles me disaient : « J’attends le deuxième », je me disais : « Toutes mes condoléances ! » Quand j’ai rencontré l’amour de ma vie, devenir mère n’était pas du tout une priorité.
Puis, il y a eu le déclic. La trentaine à peine passée, je voulais un mini-lui, un mini-moi, je voulais un mini-nous. Je désirais avoir un enfant et je me suis lancée dans une quête obsessionnelle pour avoir cet enfant. Il m’a fallu environ trois ans pour avoir ma fille, entre tentatives infructueuses et fausses couches. Désormais, je jalousais celles qui avaient le privilège de porter la vie. Quand je voyais d’autres femmes enceintes, je me demandais : « Pourquoi elles y arrivent et pas moi ? »
« J’ai eu ce qu’on pourrait appeler une grossesse de merde »
Et puis à 34 ans, je suis enfin tombée enceinte de ma fille Pauline et là, j’ai vite déchanté. La grossesse n’avait rien de ce qu’on nous vend dans les magazines. Contrairement à mes copines qui nageaient dans la béatitude et exposaient leurs bidons à tout va, j’ai eu ce qu’on pourrait appeler une grossesse de merde. J’ai eu la grossesse à la Florence Foresti pendant laquelle j’ai eu la gastro pendant six mois. J’avais des jumeaux, puis au bout de deux mois, il y en a un des deux qui a dit : « Non, moi, je me casse, je laisse ma place à Pauline. » J’étais tétanisée par l’angoisse de perdre ce bébé tant désiré. Puis est venue la menace d’un accouchement prématuré, je suis restée deux mois alitée avant qu’on ne me déclenche, en urgence, une césarienne.
J’ai accouché et j’ai enfin rencontré ma fille, cet instant qu’on nous présente comme idyllique dans les magazines. Je l’ai vue et je l’ai trouvée moche. J’ai dit à mon mari que je préférais Fosette, ma chatte qui, elle, était belle. J’étais plus là à me dire : « Qu’est-ce que j’ai mal après la césarienne » plutôt que « Super, je suis maman ! ». J’ai dû attendre le troisième mois pour avoir le coup de foudre. Il s’est passé un truc. Elle m’a regardée, elle m’a souri et je me suis dit : « Je suis sa mère, je dois prendre soin d’elle, c’est mon bébé. » C’est important de dire ça aux mamans, parce qu’on est tout le temps sous le diktat : c’est beau d’être mère, tout est magique, c’est l’épanouissement extrême ! Mais quand ça ne te concerne pas, tu te dis : « Où j’ai merdé ? Quel manuel, ai-je oublié de lire ? » Mais malgré ces premiers mois difficiles pendant lesquels je ne pouvais pas allaiter : j’ai fini par craquer pour elle. À partir du moment où j’ai craqué, la petite pression est arrivée : celle d’être la maman parfaite.
La Wonder Womanite aiguË
Le cap des trois mois a aussi été celui de la reprise du travail. Je voulais être ce que j’appelle une « Working Mum ». Une contraction de Working Girl comme dans le film avec Mélanie Griffith où elle assure au travail et être une maman au top. Je m’attendais à quelque chose de facile et naturel. La société nous pose un masque social à la naissance. Parce que nous sommes femmes, nous devons être parfaites et faire plaisir à tout le monde, quitte à nous oublier complètement au passage. Je voulais aussi être la femme sexy qui désirait toujours son mari, l’amie à l’écoute, la fille unique proche de ses parents… Je voulais être la même avec l’aspect super maman. Mais avec tout ça, il y a un truc que je n’étais pas : Sandrine.
Au boulot, j’étais l’employée parfaite, à toujours arriver en avance et à laisser la porte ouverte si mes collaborateurs avaient un problème. Quand ma fille avait 4 ans, je gérais une équipe de 12 personnes dans une chaîne de restauration rapide, un poste ô combien stressant. Je n’arrivais pas à imposer mes limites, je rentrais du boulot insatisfaite, énervée et stressée, pour commencer ma deuxième journée, celle de maman. Mon mari était là mais je ne lui laissais pas de place. J’avais tellement envie d’être la maman omniprésente, la maman parfaite, que je voulais tout faire. C’était comme si j’étais un hamster qui tournait dans sa roue toute la journée. Je faisais tout en mode pilote automatique. J’avais l’impression que ma vie était une succession de to do list. Mes tâches n’avaient aucune saveur parce que j’étais en permanence dans l’exigence et le contrôle.
Le jour où j’ai coupé l’oreille du doudou de ma fille
Le point de rupture a été quand ma fille n’a pas voulu mettre immédiatement la robe que j’avais choisie pour elle.
- – Pauline, tu mets ta robe. Tout de suite !
- – Non, maman, moi, je joue.
- – Pauline, tu mets ta robe, tout de suite ! Sinon, je coupe l’oreille de Doudou !
- – Vas-y maman, a-t-elle dit sous le ton de la provocation.
J’ai coupé l’oreille. Ma fille a fondu en larmes. À ce moment-là, je me suis sentie dépassée par la situation et je me suis effondrée sur le sol tandis que j’entendais ma fille tomber dans les bras de son papa.
Couper l’oreille du doudou de ma fille m’a empêché d’aller vers le burnout parce que ça m’a permis de prendre conscience qu’il y avait un truc qui clochait. Comment en étais-je arrivée là ? Ce n’était pas normal que je donne cette version si désagréable de moi à ma fille. Quand j’étais avec elle, j’étais toujours au boulot. Je laissais mon portable allumé, j’étais toujours en train de vérifier mes courriels. Elle me disait, alors qu’elle n’avait que 4 ans : « Maman, on est en train de jouer toutes les deux, ne regarde pas ton téléphone! », « Maman à quoi tu penses ? ». Les enfants ont un gros besoin d’attention, quand on ne leur porte pas cette attention, ils te pourrissent la vie. Tant et si bien que j’en suis venue à me dire que ma fille était un boulet dans ma vie. J’avais beau l’aimer plus que tout, j’avais ces pensées-là.
Devenir sa meilleure amie
Après cet épisode, j’ai entamé un coaching dans le cadre de mon travail qui m’a beaucoup appris sur moi-même.
Au boulot, ça a été une révélation. Au fil des séances, j’ai pris conscience que je me prenais pour Wonder Woman : pour moi, la norme, c’était la perfection. Alors que, qu’est-ce la perfection ? Je me suis rendu compte qu’à vouloir être parfaite, je me mettais une pression de dingue sur les épaules. Je me disais que tout ce que j’avais à l’intérieur, il fallait que je le verbalise. Ce n’est pas le comportement de ma fille qui m’agaçait, ce n’était pas le fait d’avoir un boulot stressant, c’était la pression que je me mettais à moi-même à vouloir être au top au boulot et en tant que maman.
J’ai compris que j’avais le droit de me planter de faire des erreurs ou de crier sur ma fille. Ça ne faisait pas de moi une mauvaise mère. J’ai compris que je faisais un refoulement d’émotions. J’ai le droit d’être imparfaite, j’ai le droit d’être moi. J’ai appris à me connaitre, à m’aimer et surtout à m’autoriser à être moi, avec mes bons jours et mes mauvais jours. J’ai appris à l’accepter.
J’ai commencé à investir mon domaine de vie personnelle, sans ma fille, mon mari, mes amis.e.; moi seule : bouquiner, regarder Netflix, danser, faire des conneries, m’acheter des cadeaux, me rendre importante. J’ai aussi appris à me détacher du regard des autres. Maintenant, ma philosophie, c’est : je veux plaire à qui j’ai envie de plaire. Le regard de l’autre appartient à l’autre. Je ne pourrais pas avoir l’approbation de tout le monde. Ce qui est important, c’est de se respecter soi-même. Le message que je voudrais faire passer, c’est qu’il faut se réintégrer dans son équation de vie et moins se prendre la tête avec ce que les autres pensent de nous.
Aujourd’hui, j’ai quitté mon travail qui n’était pas assez épanouissant pour moi. J’ai créé mon blog Au bonheur des Working Mums parce que j’ai voulu aider d’autres personnes à ne pas faire comme moi. J’ai changé d’attitude. J’ai fait ce guide car je voulais laisser une trace. Je le vois comme une tablette de chocolat. Quand ça ne va pas, mes lectrices cassent un carré, en lisant un texte et se disent : « Wow, je ne suis pas anormale. Je ne suis pas une mauvaise mère parce que, ce matin, j’ai crié sur ma fille parce qu’elle m’a mise en retard. »
Je suis une maman imparfaite, mais je suis parfaite dans mon intention d’être maman. Moi, je merde un jour sur deux avec ma fille, mais ce qui est hyper important, c’est que je vais en discuter avec ma fille. Depuis cet épisode du doudou, on a beaucoup discuté elle et moi. Je lui ai dit pourquoi j’avais fait ça. Je lui ai expliqué que je n’allai pas bien, que quand je rentrais du travail, j’avais tellement de choses dans la tête que ça parasitait ma présence auprès d’elle. Et elle, elle m’a dit avec ses mots d’enfant ce qu’elle avait ressenti, elle m’a dit qu’elle avait eu peur, qu’elle avait été triste pour Doudou parce qu’elle avait eu peur qu’il ait eu mal, qu’elle avait été triste pour moi car elle ne m’avait jamais vu dans cet état. On a tout verbalisé. Même si les enfants sont petits, ils comprennent énormément de choses.
Aujourd’hui, je fais de mon mieux et quand je n’y arrive pas, elle vient me voir et me dit : « C’est pas grave, t’es ma maman . » J’apprends à être maman tous les jours, ma fille me fait grandir aussi en tant que mère. Regardez-vous avec le regard de vos enfants. Portez sur vous-même un regard bienveillant, vous le méritez. Dites-vous merci.
Propos recueillis par Jade Le Deley.