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Je suis devenu juge à la coupe du monde du pâté en croute

Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités.

Par
Billy Eff
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Laissez-moi vous raconter l’histoire d’une recette qui n’en est pas vraiment une. C’est (comme la nourriture en général), élastique, en permanente mutation, seules les règles de bases s’appliquent et on en retrouve des variantes un peu partout dans le monde. Au fond, c’est plus un concept qu’une recette à proprement parler.

Comme une pizza ou un sandwich, le pâté-croûte n’a, à première vue, rien de bien exceptionnel: il s’agit d’un pâté fait de morceaux de viande (ou pas), de légumes (ou pas), dans une farce liante, moulé et chemisée d’une abaisse de croûte. Assez simple, non ?

Pas tellement, comme peut vous le confirmer quiconque a déjà eu à en préparer ! Si les chefs ont l’habitude de demander aux nouveaux cuisiniers de préparer une omelette parfaite pour juger de leurs talents sur une recette simple, faire un pâté-croûte, c’est un peu le boss final des cuisiniers en devenir.

J’étais donc à la fois ému et honoré qu’on m’invite à réaliser un rêve que j’entretenais depuis longtemps : non seulement d’assister à la compétition nord-américaine du Pâté-Croûte, mais aussi de déguster, d’évaluer et de noter les entrées au concours. Dans la salle de réception du luxueux et tout-nouveau Hôtel Honeyrose, des chefs provenant de l’ensemble du continent américain, du Québec au Chili, étaient réunis pour nous présenter leur itération de ce monument de la gastronomie française. Et on a eu droit à tout : des préparations plus simples, axées sur la lisibilité des goûts de cochonnailles et de foie gras, à des pâtés tout à fait audacieux, comme celui à la viande de phoque.

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À l’issue de notre jugement, un.e finaliste se rendra début décembre à la capitale mondiale de la gastronomie, Lyon, pour tenter de devenir champion du monde.

Une compétition culinaire hors-norme

Lorsque j’arrive au Honeyrose, je n’ai pas une seconde à perdre : on m’indique la table des médias, on me sert un verre de Champagne et au travail ! Nous avions 16 pâtés à départager, et ce n’était pas une mince affaire. Mais il n’y a rien que je ne ferais pas pour vous (et pour des pâtés en croûte).

Mais qui donc a pu avoir une idée pareille, de créer un championnat mondial pour ce qui a longtemps été une tradition bien française ?

« Tous nos copains cuisiniers se targuaient de faire le meilleur pâté-croûte. Donc, on s’est mis à les départager comme ça, et on s’est dit : pourquoi pas en faire une vraie compétition ! C’est une technique française ancestrale, qui est assez utilisée partout dans le monde, maintenant. Ç’a pris une ampleur mondiale, et on en est ravis! », me raconte Arnaud Bernollin, un des cofondateurs du concours, qui existe depuis 2009. Il n’exagère pas quand il dit que le concours a une ampleur mondiale: les trois dernières éditions ont été gagnées par des cuisiniers japonais.

Les juges officiels dégustent le pâté d’un des participants.
Les juges officiels dégustent le pâté d’un des participants.
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On m’explique que nous aurons à juger les pâtés selon des critères pré-établis : l’aspect visuel de la tranche de pâté, le goût de l’aspic, la cuisson de la pâte, et le goût de l’ensemble.

Petite leçon de cuisine et d’histoire : ce sont ces paramètres qui font du pâté-croûte un tel défi !

Réinventer un monument

La préparation de pâtés, qu’on appellerait aujourd’hui terrines, remonte à l’époque de l’antiquité. Ç’a toujours été un bon moyen de ne rien gaspiller, après qu’on ait abattu cochons et volailles. On hache les parures, on y ajoute une bonne dose de gras, quelques épices, du sel, et le tour est joué. Ça permet de conserver plus longtemps la viande, ce qui est nécessaire, vu qu’à l’époque, le réfrigérateur n’existe pas.

On croit que c’est au début du Moyen-Âge que la croûte est venue s’ajouter à l’équation. À ce moment, elle n’est toutefois pas comestible; ce n’est qu’un moyen additionnel de conserver le pâté. Il faudra attendre l’époque d’Antonin Carême, et, surtout Brillat-Savarin pour que le pâté gagne réellement ses lettres de noblesse, et que l’on puisse en manger la croûte.

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C’est d’ailleurs Brillat-Savarin qui nous a donné la recette de ce qui reste de nos jours le pâté en croûte le plus iconique : l’Oreiller de la Belle Aurore. Une offre gargantuesque, un pâté rectangulaire et farçi de « perdrix rouges, bécassines, cailles, pics-verts, râble de lièvre, poulets, canards, chair de veau, de porc, foies blonds de poulets et poulardes de Bresse, ris de veau, moelle de bœuf, champignons, pistaches, panade, porto et de truffes noires ».

Un travail d’orfèvre

Ce qui rend la préparation de ce plat en apparence si simple aussi difficile sur le plan technique, c’est la combinaison de trois métiers distincts: celui de boucher, pour ce qui est de la découpe des viandes et l’équilibre de la farce; pâtissier, pour la préparation de l’abaisse de croûte qui entoure le pâté; et celui de cuisinier-saucier pour la préparation de l’aspic, ce jus de viande assaisonné et gélatineux qui est censé créer une couche de séparation entre la farce et la pâte.

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Une farce trop grasse? Le gras fondra et votre farce manquera de tenue, à la découpe. Une pâte mal abaissée créera des fuites, et votre aspic sera raté. Une pâte pas assez cuite, c’est un crime! Lorsqu’on élabore sa recette, tous ces éléments sont à prendre en considération. Mais une fois qu’on a la base, c’est le moment de s’adonner au freestyle! Comme je vous le mentionnais plus tôt, c’est avant tout une recette d’anti-gaspi, censée changer avec les saisons, les gibiers et les légumes. Il n’y a donc pas de règle, il suffit d’être aussi créatif que technique.

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D’ailleurs, on peut dire que les compétiteurs du Pâté-croûte Americas ont été très créatifs. Dès que je prends place à la table, des pâtés se mettent à arriver à un rythme effréné, me laissant à peine le temps de terminer de juger un pâté avant que le prochain arrive.

Ça n’a pas été une tâche facile de les départager, mais certains se détachaient du lot. Je ne vais pas vous cacher qu’arrivé au dernier pâté, j’étais assez content de pouvoir respirer un peu. Vous l’avez sans doute compris, mais un pâté en croûte, c’est énormément de viande, de sel et de gras. Mais il n’y a rien que je ne ferais pas pour vous raconter une bonne histoire.

Prendre son job au sérieux

Mon préféré, auquel je pense avec beaucoup d’émotions depuis, était le Pâté en Croûte de cochon laineux, dont la farce était composée de viande de cochon (laineux, évidemment), d’oreilles de porc, d’un genre de boudin agrémenté de pruneaux, de châtaignes pochées au sirop d’érable, de jarret de jambon, avec en son centre un torchon de foie gras, et hermétisé d’un aspic aux champignons. Rien qu’à la présentation de ce pâté, on voyait une nette différence avec les précédents: un travail méticuleux de décoration avait été effectué et qui s’est confirmé à la découpe.

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Chaque morceau de viande y était divisé en une strate claire, un boudin fort goûteux, une gelée magnifiquement aromatisée, et un torchon de foie gras en guise de soleil, auréolé de tranches d’oreilles de cochon. On retrouvait dans ce pâté-croûte toute l’ingéniosité paysanne permettant de ne perdre aucun morceau de l’animal, et un grand raffinement, tant au niveau de l’équilibre des saveurs que de sa décoration, le tout en une cohésion totale.

c’est avant tout une recette d’anti-gaspi, censée changer avec les saisons, les gibiers et les légumes. Il n’y a donc pas de règle, il suffit d’être aussi créatif que technique.

D’autres pâtés, comme Hommage à nos îles et aux produits du terroir, composé de viande de phoque des Îles de la Madeleine, de cassis de l’Île d’Orléans, de caribou et d’épices boréales, démontraient une créativité qu’on aurait cependant voulue un peu plus aboutie dans l’assiette. Il en va de même pour le Pâté-Croûte de Canard et Porc aux 5 épices Chinoises, dont l’utilisation d’intestins, de pieds et d’oreilles de porc, combiné à un foie gras, aurait pu décrocher beaucoup plus de points si les goûts avaient été magnifiés et que l’exécution avait été mieux maîtrisée.

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Dans l’ensemble, on ne peut pas dire qu’il y ait eu de réels ratés, mis à part des pâtes sous-cuites ou des aspics inexistants. Toutefois, il y avait une grande différence entre les cinq pâtés les mieux notés et les onze autres. « Ce soir comme tu as pu constater, il y avait beaucoup de pâtes qui n’étaient pas assez cuites », me fera remarquer Arnaud Bernollin.

On vient récolter nos notes pour les comptabiliser et, une trentaine de minutes plus tard, les 16 compétiteurs s’approchent du podium. Les compétiteurs chiliens, mexicains, américains puis canadiens se voient tous nommés en premier, ce qui signifie qu’ils ne se rendront pas à la finale, et ce sont finalement deux québécois qui accèdent aux qualifications. La première place revient à Félix Duquet, sous-chef au Renoir Sofitel et à Mathieu Couture, chef des banquets du Fairmont Reine-Élizabeth, au centre-ville de Montréal.

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J’aimerais bien pouvoir vous dire quelles étaient précisément leurs recettes pour épater vos proches, mais cela est gardé confidentiel, puisque ce sont les mêmes pâtés qui devront être dégustés à l’aveugle par les juges à l’occasion de la finale mondiale, à Lyon. Je me plais donc à penser que c’est eux qui ont fait mes deux pâtés préférés.

C’est pas tous les jours qu’on a la chance de réaliser ses rêves : en fait, je ne pensais même pas que c’était vraiment possible, de devenir juge de pâté-croûte. Pour moi, c’était un rêve abstrait, comme devenir invisible, ou soudainement hériter de millions de dollars. Mais j’ai pu le faire, bien qu’à grand frais pour mon foie. Je suspecte qu’après des agapes de la sorte, il ne soit devenu aussi gras que celui d’un canard gavé. Et c’est pour une bonne cause; qui sait, peut-être bien que le prochain champion mondial de pâté-croûte sera Québécois !