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Je suis autiste Asperger

Don’t worry, be Aspie !

Par
Lali Dugelay
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Vous ne me connaissez pas, je me fais invisible depuis que je suis née. Ou plutôt, depuis la première fois que je suis née. Je vous passerai les détails de toute ma biographie, mais oui, je suis née deux fois. Le 11 janvier 1977, gros bébé chevelu de 4,2 kg (pardon, maman, pas pour les cheveux, mais de t’avoir imposé l’épreuve de force d’accoucher d’un sumo). Puis je suis de nouveau née en mars 2020, le jour où j’ai reçu mon diagnostic, après des années à m’accrocher coûte que coûte à un monde de neurotypiques où je me suis toujours douloureusement sentie à côté de la plaque et qui m’a souvent rejetée parce que j’avais l’air bizarre, timide, effacée, fantaisiste… licorne ascendant clown dans un monde de costards-cravates.

S’il existait un diplôme de la dissimulation du handicap, je serais major de promo. Comme un certain nombre des 600 000 personnes qui portent le même handicap que moi en France.

Je suis autiste. Et dans les 50 nuances de bleu qui composent l’autisme, j’ai gagné l’option Asperger, dit de haut niveau, et comme 80% des personnes vivant avec un handicap, le mien est invisible. Vous noterez d’ailleurs que j’emploie le verbe « vivre avec un handicap » et non pas « porter un handicap », terme parfois plus consacré, mais qui ne correspond pas à ce que j’ai choisi d’en faire. J’ai décidé que mon handicap ne serait pas un fardeau, de ne pas le subir, de ne pas le porter… en tout cas le moins possible. J’ai choisi de l’apprivoiser, de vivre avec, de toute façon je n’ai pas le choix, ce n’est pas une maladie, ça ne se soigne pas, alors autant faire avec. Nous sommes ensemble depuis toujours, mon handicap et moi.

Mon handicap, c’est le regard des autres et le fait que la société ne soit pas aussi inclusive qu’elle le pourrait.

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Pour autant, le terme de handicap invisible n’induit pas qu’il soit facile à vivre. Finalement, l’invisibilité nécessite d’avoir à se justifier tout le temps (« t’es sûre que t’es autiste ? t’as pourtant l’air normale ») quand je ne souhaiterais n’avoir qu’à expliquer en quoi consiste mon syndrome et en quoi il me limite au quotidien. Bien sûr, j’ai la chance d’avoir toute mon intégrité physique (bien que, dyspraxique, le cumul des mois passés à porter des attelles, bandages et plâtres se compte en années). Non, je ne souffre pas de déficit cognitif. Eh bien alors, c’est quoi le problème avec moi ? Justement, de mon point de vue, il n’y a pas de problème ! Mon handicap, c’est le regard des autres et le fait que la société ne soit pas aussi inclusive qu’elle le pourrait. C’est bien cela que je suis : une personne comme une autre, avec ses propres spécificités. Une personne unique. Comme vous. Je suis Lali Dugelay. Point barre. Ce n’est pas mon handicap qui me définit.

Je suis donc autiste de haut niveau (Asperger, Aspie… peu importe). Je ne peux pas m’exprimer au nom de tous les autistes : il existe autant de personnalités et de spécificités autistiques qu’il existe d’autistes.

La vraie vie, ce n’est pas une armée de clones comme dans Star Wars ! Pourquoi vouloir absolument « être ou faire comme tout le monde » ?

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Ce diagnostic a été une re-naissance. Littéralement. J’ai appris ce jour-là que je suis neuro-extraordinaire. Je ne suis pas ordinaire. Je suis unique. Comme chacun de vous ! Comme chaque personne de cette Terre. Mais avec mes spécificités qui sont différentes des vôtres, que vous soyez autiste ou non. La vraie vie, ce n’est pas une armée de clones comme dans Star Wars ! Pourquoi vouloir absolument « être ou faire comme tout le monde » ?

L’une des difficultés, particulièrement en France, c’est de pouvoir se faire diagnostiquer. Surtout quand on est adulte, et de surcroît quand on est une femme, trop habituées que nous sommes à donner le change, simuler, endosser le rôle de la super-nana menant de front vie de couple, vie de mère, vie professionnelle, à gérer les activités extrascolaires, les RDV à la crèche, à l’école, chez le médecin… Imaginez quand en plus de cela, vous êtes autiste et que chaque acte de la vie, naturel pour tous, devient un enfer. Il ne se passe pas un instant où l’on se demande si nos réactions sont appropriées, si l’on a bien compris, si on se tient comme il faut, si on a dit un truc qui peut sembler étrange… Aucune interaction sociale n’est facile.

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Il existe peu de centres de diagnostic. Après des années sur liste d’attente auprès des deux hôpitaux parisiens qui proposent des diagnostics, je me suis adressée au Centre Ressources Autisme d’Île-de-France qui a su m’orienter vers des praticiens spécialisés en TSA (troubles du spectre autistique), une spécialité médicale extrêmement rare, qui venaient juste d’ouvrir leur cabinet privé. Coup de bol, il restait encore des places pour une nouvelle patiente.

Ce diagnostic a été un déclencheur : j’ai enfin appris qui EST Lali Dugelay. Et j’ai décidé qu’à compter de ce jour, je porterais mon handicap avec joie, fièrement et la tête haute.

Ce diagnostic a été un déclencheur : j’ai enfin appris qui est Lali Dugelay. J’ai décidé qu’à compter de ce jour, je porterais mon handicap avec joie, fièrement et la tête haute. J’ai choisi de ne plus être dans un processus constant d’intégration, mais dans un processus d’inclusion. C’est-à-dire que je ne devrais plus être la seule à faire cet effort de m’adapter aux gens et à mon environnement, mais que ces derniers devraient aussi faire cet effort.

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J’ai décidé de ne plus me justifier sur le fait que j’ai l’air trop normale pour être autiste, mais d’expliquer ce qu’est l’autisme et comment il se manifeste chez moi : incompréhension de l’implicite, des non-dits, malhabiletés – voire maladresses – sociales, incapacité à me fondre dans le moule. Je vois le monde à travers une boule à facettes pailletée qui m’interdit de traiter l’information comme tout le monde. Je suis toujours à côté de la plaque. Ajoutez à cela que je suis HPI, dyspraxique, prosopagnosique (comme Brad Pitt et Thierry Lhermitte, par exemple), bourrée de tics et plein de trucs en –ic… genre fantastique, au sens premier du terme (oui, j’y reviens souvent, à ce côté littéral du mot, c’est une spécificité autistique). Car je comprends le sens premier des mots : cela fait partie des limites. Si un terme n’est pas précis, si tune situation ne me semble pas logique, je vais bugger et tourner en boucle jusqu’à ce je comprenne. Je reprends donc souvent les gens pour leur faire expliciter leurs propos. Cela peut énerver, surtout mes ados qui pensent que je les reprends par malice ou certains adultes qui se demandent pour qui je me prends à les reprendre sur leur lexique… L’approximation et la médiocrité sont exclues de mon schéma intellectuel, simplement parce que ce sont des façons de fonctionner que je ne comprends pas. Un mot est un mot. Un engagement est un engagement. Comme la plupart des autistes, je fonctionne en mode mission : j’effectue tout avec un objectif d’excellence, sans m’arrêter jusqu’au résultat final. C’est épuisant, propice à l’effondrement psychique et physique parfois.

Quand la société aura compris que la diversité doit devenir la norme, nous y aurons tous gagné.

Malgré tout, j’ai décidé d’être heureuse, de porter avec joie ce qui fait ma différence, et de ne pas m’excuser d’être handicapée. Ceux que cela dérange n’ont qu’à passer leur chemin. Nous ne choisissons pas d’être handicapés, et je suis convaincue que cela nous confère une force mentale, quel que soit le handicap, car nous avons à nous battre pour trouver notre place dans un monde stéréotypé. Quand la société aura compris que la diversité doit devenir la norme, tout le monde y gagnera. Je constate avec joie que nous progressons doucement dans cette voie : je suis de plus en plus sollicitée par des entreprises, des institutions, des médias qui souhaitent que je témoigne de mon parcours personnel et professionnel pour briser le tabou du handicap. Je le fais dans l’espoir que ce message soit essaimé au maximum. Merci à URBANIA de donner la parole aux minorités, votre prise de position pour un monde résolument diversifié y participe pleinement.

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J’aime porter ce message d’hymne à la joie de l’inclusion. Je suis Lali Dugelay. Je suis moi. Je suis unique, comme chacun de vous. Point.