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40 jours sans téléphone, pour moi c’est comme quarante jours sans sexe : pas certaine que j’y arriverais. Au début de la fac, mon meilleur ami et moi nous étions lancés dans ce défi, inspirés par le film 40 jours et 40 nuits. Un très mauvais film et un très mauvais timing ; gonflés d’hormones et de fantasmes, nous n’avions pas fait long feu.
Chaque jour, je perds trop de temps sur mon iPhone. Généralement, la démarche est honnête, je veux répondre à un mail ou lire des actus, quand mon attention bifurque sur les réseaux sociaux. Ceux-ci avalent mon temps autant que je les consomme. Œil pour œil, dent pour dent. Je sais qu’ils me rapportent autant qu’ils me nuisent, mais j’y retourne quand même. Victime consentante. Je brandis ma quête avide d’informations comme prétexte, mais je retombe toujours dans leur piège. Ils commencent à me connaître, et moi, je me laisse avaler par leurs algorithmes, taillés sur mesure pour mes goûts.
Cette semaine, comme un ovni dans cette mer de contenu et de vacuité, et pourtant porté par elle, CE TEXTE DE MANUEL LANGLOIS QUI DÉNONCE MON VICE.
Manuel a 21 ans. Il est pratiquement né avec un téléphone dans les mains, mais il est parti en voyage durant 40 jours en laissant l’objet derrière lui. Volontairement. Le défi surprend, fait sourire, suscite des réactions. J’aimerais juger « son exploit » avec le regard sévère de celle qui a le double de son âge et qui en a vu d’autres, mais la vérité, c’est que, même si j’ai connu les périples précédant l’avènement de cette technologie, je n’ai jamais tenté une telle déconnexion depuis que j’en possède un. J’aurais même du mal à l’envisager. Pas parce que je ne peux m’imaginer ne pas partager mes vacances sur les réseaux sociaux, mais à cause de tout ce que je fais grâce à mon téléphone : enregistrement pour les vols, réservations d’hôtels et de restaurants, itinéraires, notes et commentaires sur les diverses attractions, traduction, calcul de conversion des devises, etc. Et ça, c’est sans parler de tous les outils pratiques qu’il comporte : alarmes de réveil, appareil photo, GPS, lampe de poche… avec mes cartes bancaires enregistrées, il n’est pas rare que je parte uniquement avec mon téléphone.
J’ai lu le texte de Manuel jusqu’au bout, avec un mélange de curiosité et d’admiration.
En toute honnêteté, je suis nostalgique de mes premiers voyages en solo. On s’organisait différemment. Les guides de voyage, tout comme les dictionnaires de traduction, étaient reliés et s’achetaient en librairie en format poche. Les chambres d’hôtel possédaient des téléphones, sinon on en retrouvait dans les espaces publics, un peu partout entre les parcs et les métros. Les entrées des auberges étaient affublées d’ordinateurs où on pouvait consulter nos mails, sinon on trouvait facilement des cybercafés qui nous permettaient de donner des nouvelles à nos proches contre une poignée de monnaie. Les temps ont bien changé. L’argent liquide est en voie de disparition, les menus sont devenus des QR codes, les billets de train ou de spectacles sont envoyés en format virtuel. Comment naviguer dans le monde d’aujourd’hui sans les outils qui y sont associés ?
Comme pour les réseaux sociaux, je me sais dépendante de mon téléphone, mais je peinerais à me priver de ses avantages pour me débarrasser de ses inconvénients. Pourrais-je faire vœu d’apostasie technologique, le temps d’un voyage au moins, question de voir ce que la vie mettrait sur mon chemin – non googlé ? Je tergiverse. Car si l’aventure est séduisante, une partie de moi la redoute. Ma dépendance est-elle si grave ? Si oui, ne serait-il pas urgent de m’en sevrer, justement ?
Plusieurs heures après ma lecture, les mots de l’adolescent m’habitent toujours.
« Si ça vous intrigue, ne doutez pas trop longtemps et voyagez old school. Essayez-le par vous-même. Vous verrez qu’à lui seul, le sourire intrigué des gens en vaut largement la peine. Et plus encore quand on leur dit que, de cette manière, on a pensé que ce serait plus drôle. »
Je ne sais pas si j’aurai son cran, mais j’envie sa désinvolture. Je me dis que je devrais prendre des vacances plus souvent, ici, dans ma propre ville. Déposer le téléphone, cesser de le croire plus intelligent que moi. Le débranchement me ferait du bien, il me semble, ne serait-ce que pour apercevoir le sourire intrigué des autres. S’ils daignent lever les yeux de leur écran, il va sans dire.