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Je n’arrive pas à sortir du chemsex

Si je replonge, je pense que je vais mourir.

Par
Anonyme
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Prendre des drogues pour démultiplier les sensations sexuelles : cela s’appelle le chemsex. Le phénomène, majoritairement présent dans la communauté gay, se termine souvent par une addiction au(x) produit(s). C’est ce que vit Mikael*, 21 ans. Il n’arrive pas à s’en sortir. Il a bien voulu nous raconter son quotidien. On lui laisse la parole ici.

J’ai découvert le chemsex à 17 ans. C’était en soirée avec un couple gay d’une quarantaine d’années. Ils m’ont proposé de prendre de la 3MMC. Je ne savais pas du tout ce que c’était mais comme j’aime bien essayer de nouvelles choses, j’ai testé. La “3” c’est une drogue de synthèse, un stimulant, donc ça te booste énormément, ça te donne confiance en toi, ça te donne l’envie de faire de l’amour. Niveau sensations, c’est incomparable, et en même temps ça te pose, ça te détend, ça retarde l’éjaculation: tu peux durer des heures, même tout un week-end, ça retarde la fatigue et la faim… Tu peux la prendre de différentes façons, moi je la sniffais.

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Vu le plaisir que ça m’a procuré, j’ai recommencé. D’abord tous les trois mois, puis tous les deux mois, puis tous les mois. J’allais sur Grindr, je trouvais des soirées à Orléans, les gens en prenaient, et voilà. J’ai fini par trouver un dealer.

Deux ans après ma première soirée chemsex, je suis allé plus loin : j’ai commencé à prendre de la “3” en me piquant. C’était aussi avec un couple. Ils m’ont proposé de me faire une injection. J’ai accepté. Et là… Boom… Encore tellement plus puissant qu’en sniffant. C’est dingue. L’effet est immédiat, on atteint des sommets très, très, très vite. Comment tu veux avoir des rapports sexuels sans drogue après ça ? C’est impossible.

J’ai continué à consommer, toujours plus régulièrement. Les jours entre chaque prise se réduisaient. Surtout que j’ai commencé à commander la drogue sur Internet. C’est hyper simple à trouver et c’est livré par UPS. Ouais, UPS… Donc j’avais du produit quand je voulais. Je me sentais bien, je me sentais heureux. Je me droguais même au taf car je me trouvais plus efficace. Là on est au printemps 2019, ça fait trois ans que j’ai découvert le chemsex, j’ai 20 ans. Je commence à plonger mais je ne suis absolument pas inquiet.

Quelques mois après, tout a empiré.

Donc je doublais, je triplais, je quadruplais les doses, dans ma chambre, avec mes parents à côté. C’est tragique mais je m’en foutais. J’en avais tellement marre.

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En novembre, je suis parti deux semaines en vacances, à Narbonne. Là-bas j’étais beaucoup sur Grindr et tout le monde prenait des trucs: donc tous les jours, pendant quinze jours, je prenais de la 3MMC. Le problème c’est qu’après ces vacances, mon corps avait besoin du produit donc j’ai commencé à en prendre quotidiennement, seul, chez moi. Je suis devenu accro, un vrai toxico. Et d’ailleurs je n’allais même plus aux soirées chemsex ! C’est devenu un cauchemar. Au bout de 3-4 jours de consommation, je vomissais, j’avais des symptômes d’arrêts cardiaques. Je voulais appeler le SAMU mais je n’osais pas car j’étais chez mes parents, qui ne savaient pas que je me droguais.

Et les descentes: impossible de les gérer. La fin du monde, une fatigue intense, parfois des idées suicidaires. J’en avais tellement marre que je voulais mettre fin à mes jours, clairement. Je me disais “c’est pas la peine”. Donc je doublais, je triplais, je quadruplais les doses, dans ma chambre, avec mes parents à côté. C’est tragique mais je m’en foutais. J’en avais tellement marre. À la fin, je me disais “vaut mieux que je m’endorme”. Je suis même tombé dans les pommes en me piquant. Et malgré ça, le corps en redemande… Tu ne peux pas l’arrêter.

J’ai demandé à retourner en HP. C’était quand même horrible, j’avais rien à y faire, mais au moins ils me donnaient des médicaments, je pouvais me reposer.

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Alors à la fin de l’année dernière, j’ai décidé de faire une cure de désintox. J’en ai parlé à mes parents. Ils n’arrivaient pas à y croire. Ma mère pensait que j’étais “seulement” en dépression car j’avais perdu beaucoup de poids. En fait, c’est le produit qui me coupait totalement la faim. Je ne mangeais quasiment plus: un repas par semaine, et encore. Je pesais 60 kilos, pour 1m90. On voyait mes os. Je ne sortais plus du tout. Mais vraiment plus du tout.

J’ai passé Noël en cure, c’était dur, et ça a été un fiasco. J’ai tout fait pour partir alors ils m’ont mis dans un hôpital psychiatrique, que j’ai finalement quitté au bout de quelques jours. J’étais pas à ma place là-bas. J’avais rien à y faire, mais au moins ils me donnaient des médicaments, je pouvais me reposer. J’ai quand même réduit ma consommation après tout ça, mais j’ai repris encore plus fort. Alors en février, j’ai refait une cure et ils m’ont viré car ils pensaient que je n’étais pas prêt. J’ai à nouveau plongé…

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La bonne nouvelle dans tout ça, c’est que je n’avais plus du tout d’argent. Je venais de dépenser 5000 euros en quatre mois. Tout ce que j’avais mis de côté. L’autre bonne nouvelle c’est qu’il y a eu le confinement. Je suis resté bloqué chez mes parents, à la campagne, sans soirées chemsex et sans argent pour acheter de la drogue. Ça m’a fait du bien. Jusqu’à juin, je n’ai rien consommé. Encore une bonne nouvelle : je me suis trouvé un travail après le confinement. Alors au début, c’était cool. Avoir un taf, c’est aussi penser à autre chose, c’est ne pas penser au produit toute la journée, ça permet de se libérer. Mais, j’ai quand même recommencé à consommer dans les soirées chemsex, grâce aux autres gars, comme je n’avais pas d’argent.

Honnêtement, je pense que c’est impossible d’éviter ça. Même si j’en ai envie, je n’arrive pas à rencontrer des gens qui ne consomment pas. C’est tellement présent dans le monde gay. C’est inévitable. Je me renseigne tout le temps, je lis les dernières études, je sais que beaucoup de gens sont dans mon cas: que le sexe sans drogue, une fois que tu y as goûté, c’est même plus la peine.

Ce produit, il me procure du plaisir, il me fait du bien. Même si ce bien c’est le mal, je l’aime toujours.

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Au moins, depuis juin, je prends de la drogue uniquement dans un contexte sexuel. C’est déjà ça. Je dis ça mais au fond… Je sais que quand je vais toucher ma paie, je vais replonger direct. D’avoir de l’argent pour m’acheter de la “3”, j’en rêve depuis tellement longtemps. Toutes les nuits j’y pense. Quand je vois un camion UPS dans la ville où je bosse, ça me fait limite mal. En fait, pour parler franchement, je n’ai pas vraiment l’espoir de m’en sortir. J’aimerais bien pourtant, j’en ai envie. Mais les cures, je n’ai plus envie d’y aller, je n’ai plus l’énergie pour. J’en ai marre. Ouais, j’en ai marre. Je me sens épuisé, lassé. Je pourrais au moins essayer d’arrêter de me piquer et me contenter de sniffer, mais même ça, c’est dur…

Le pire c’est que je me dis que si je replonge vraiment, à en reprendre seul chez moi, ce sera la fin. Parfois, je me dis que je vais faire une nouvelle cure, que je vais m’en sortir, mais me connaissant et connaissant mon lien avec le produit, je me dis surtout que, finalement, ça risque de me tuer, qu’il n’y a plus de solution, que ce n’est plus la peine. Ce produit, il me procure du plaisir, il me fait du bien. Même si ce bien c’est le mal, je l’aime toujours. Ce qui me fait chier, c’est pour mes proches, mais bon… Si je replonge vraiment, je pense que je vais mourir. Et je pense que je vais replonger.

*Utilisation d’un pseudonyme

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-Si vous êtes concerné(e) directement ou indirectement par une consommation de drogues, n’hésitez pas à appeler Drogues info service au 0 800 23 13 13, ou rendez-vous ici.

L’association AIDES a également mis en place un numéro d’appel d’urgence (01.77.93.97.77) et un groupe de discussion privé sur Facebook.