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Je n’ai pas touché une autre personne depuis deux mois

C'est pourtant un besoin essentiel.

Par
Ann Julie Larouche
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Il y a cette anxiété inconnue que je vis depuis quelques semaines, et qui me réveille toutes les nuits. Dans l’ancien monde d’il y a quelques mois, rien ne pouvait me tirer de mon sommeil profond. Maintenant, je sens constamment une carence insidieuse qui s’est imposée partout dans mon corps. Ma peau a terriblement besoin de toucher. Et d’être touchée.

Un réveil difficile

J’ouvre mes yeux vers 8h30, dans une autre semaine sans jour, toujours un peu gommée, la tête vertigineuse. Physiquement, c’est la même sensation que de regarder une bonbonne d’air vide en plongée alors qu’on se trouve à 30 mètres de profondeur. Un genre de peur diffuse. J’ai besoin de contact physique.

Je ne parle pas nécessairement d’un toucher à caractère sensuel ou sexuel, mais d’un besoin assez viscéral qui est de masser l’épaule d’une amie, faire un high five à mes partenaires de foot après une victoire, être bras dessus et dessous sur une terrasse. Ce n’est pas un ennui du coeur, mais du corps. Un besoin essentiel qui n’est pas comblé. Un genre de sucre granuleux qui circule dans mes veines, qui se cristallise. Mon corps n’arrive plus à se lubrifier.

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Cet inconfort survient pourtant après des mois de distanciation sociale très sociale.

Des soirées Zoom qui s’éternisent. De longues marches avec les amis. Des visites surprises pour aller porter mes essais culinaires. Des samedis soirs dans des parcs mais à distance.

Si le film Into the Wild m’a enseigné que le bonheur n’est entier que s’il est partagé, ma sensation de joie, elle, disparaît tranquillement dans cette ère de boycottage sensoriel. J’en suis venue à penser qu’un moment partagé avec un individu de proximité n’a plus de valeur si je ne peux pas, spontanément, dénouer ses cheveux mêlés.

Le toucher, la proximité, ça libère de l’ocytocine dans le cerveau. L’hormone de l’amour, comme on aime l’appeler, parce que c’est celle qui est sécrétée en grande quantité lors de l’orgasme. Au quotidien, elle amène du bonheur, du bien-être, du plaisir, un sentiment de sécurité et du réconfort.

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Le toucher, la proximité, ça libère de l’ocytocine dans le cerveau. L’hormone de l’amour, comme on aime l’appeler, parce que c’est celle qui est sécrétée en grande quantité lors de l’orgasme. Au quotidien, elle amène du bonheur, du bien-être, du plaisir, un sentiment de sécurité et du réconfort. C’est physiologique. «Le réconfort du toucher, c’est presque magique», me confirme la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec Dre Christine Grou. «Quand on tombe à vélo, quand on se fait mal, qu’est-ce qu’on va chercher ? Des bras de quelqu’un de connu. Quand on a de la peine? Encore des bras réconfortants».

Je ne savais pas que le besoin de toucher est fondamental, mais je l’ai appris à mes dépens. Je l’ai vécu depuis deux mois, ce manque, comme probablement plusieurs autres célibataires vivant seuls dans leur 2 pièces. En entrevue à la BBC*, le professeur et psychologue à l’Université d’Oxford Robin Dunbar, indique que d’être privé de contact physique affaiblit nos relations étroites avec nos amis et notre famille. «Non seulement un geste plus intime, comme poser un bras autour de l’épaule nous amène à nous rendre plus heureux, satisfait, mais a aussi un impact sur notre confiance face aux autres», affirme-t-il.

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Dans le Time, la professeure de psychologie Dacher Keltner de l’Université de Berkeley, en Californie, va plus loin: la privatisation de ce type de contact amène son lot de conséquences psychologiques et physiques. Le toucher amical, familial, calme entre autres notre réponse au stress. Elle dit: «Le toucher positif active un gros faisceau de nerfs dans notre corps qui améliore notre système immunitaire, régule notre digestion et nous aide à mieux dormir. Ça nous aide à être plus empathiques, aussi.»

Donc si je me réveille aux deux heures, c’est normal ?

Dre Christine Grou, est catégorique: dans les différents types de réactions qui peuvent survenir en temps de pandémie, l’anxiété trône comme une reine au sourire malicieux. «Ce qu’on a encodé comme humain, c’est que le toucher nous calme et nous fait du bien. En général, on éprouve de l’affection pour les gens qu’on touche. Si on en est privé, ça crée une plus grande émotivité, une plus grande irritabilité, aussi», souffle-t-elle.

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L’isolement involontaire

L’humain n’est pas conçu pour vivre isolé. Le toucher ne nous éloigne pas seulement du stress ou de symptômes dépressifs: il aide aussi les athlètes dans leurs performances sportives. Une étude de l’Université de Berkeley, en Californie, a démontré que les joueurs de basket-ball de la NBA qui se touchent davantage gagnent plus de matchs et jouent de manière plus coopérative que les équipes qui ne le font pas. Parce qu’un high five ou une accolade peut communiquer toute une gamme d’émotions, souvent plus justes que les mots, assure le journaliste du NY Times Benedict Carey

Un high five ou une accolade peut communiquer toute une gamme d’émotions, souvent plus justes que les mots.

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Le toucher, c’est le Saint Graal des sens. Il est le premier à se développer dans l’utérus et le dernier à disparaître lorsqu’on meurt. Il nous a munis du plus grand organe du corps – la peau – qui est une barrière et un pont, tout comme un transporteur de douleur et de plaisir.

Les contacts physiques ne sont pas de retour sur la table avant… on ne sait quand. Devant ma voix chevrotante, Dre Grou se veut rassurante et me rappelle l’aspect temporaire de la crise. D’être plus souple, plus indulgente. Parce que oui, tout est temporaire.

Merci Dre Grou. Ma bouteille de rouge était déjà ouverte.

Il est 17h15.