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Jane par Charlotte, Charlotte par Laïma

Rencontre avec Charlotte Gainsbourg.

Par
Laïma A. Gérald
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On a rencontré la mythique Charlotte Gainsbourg pour discuter avec elle de son premier long-métrage à titre de réalisatrice, Jane par Charlotte.

Dans ce magnifique documentaire, la chanteuse et actrice tend le micro à sa tout aussi iconique maman, Jane Birkin. Au fil des discussions tantôt douloureuses tantôt lumineuses, mais toujours intimes et profondes, c’est la toile complexe des relations filiales qui se tissent sous nos yeux.

J’ai eu la chance de m’entretenir (un tout petit peu) avec Charlotte Gainsbourg, l’une des artistes les plus importantes pour moi.

Jane par Charlotte

Petite mise en contexte avant d’aller plus loin. Charlotte Gainsbourg est la fille de l’actrice et chanteuse Jane Birkin et de l’auteur-compositeur-interprète Serge Gainsbourg, mort en 1991. Jane Birkin, d’origine britannique et établie en France depuis la fin des années 1960, a eu trois filles de trois pères différents : Kate Barry, qui s’est enlevé la vie en 2013, Charlotte Gainsbourg et Lou Doillon, également autrice-compositrice-interprète. De tout temps, cette famille fascine et inspire.

Charlotte Gainsbourg a commencé à filmer sa mère, Jane Birkin, pour la regarder comme elle ne l’avait jamais fait.

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Revenons au documentaire. Charlotte Gainsbourg a commencé à filmer sa mère, Jane Birkin, pour la regarder comme elle ne l’avait jamais fait. La pudeur de l’une face à l’autre n’avait jamais permis un tel rapprochement. Mais par l’entremise de la caméra, la glace se brise pour faire émerger un échange inédit, sur plusieurs années, qui efface peu à peu les deux artistes et les met à nu dans une conversation intime et universelle pour laisser apparaître une mère face à une fille.

Charlotte par Laïma

Je suis assise dans le lobby de l’hôtel où l’on a donné rendez-vous aux médias. C’est la première fois que je participe à un press junket, c’est-à-dire une journée où les journalistes rencontrent les un.e.s après les autres une personnalité, généralement en campagne promotionnelle. Je me sens comme Hugh Grant qui se fait passer pour un reporter pour revoir Julia Roberts dans le film Notting Hill. Je hais pas ça.

Je me sens comme Hugh Grant qui se fait passer pour un reporter pour revoir Julia Roberts dans Notting Hill.

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On m’indique que je pourrai monter dans quelques minutes. Mon coeur bat vite, vite, vite. L’entretien que j’attends impatiemment depuis des jours est sur le point d’avoir lieu. Charlotte sera-t-elle avenante ? En décalage horaire ? Insupportable et capricieuse (même si je suis sûre que non) ? Je suis impatiente de le découvrir, ma feuille de questions soigneusement préparées dans une main, ma bouteille d’eau dans l’autre.

J’entre dans la chambre d’hôtel réservée pour l’occasion. Charlotte est là, le regard doux et le sourire aux lèvres. Elle porte un pantalon en velours côtelé, un pull qui a l’air doux et des baskets blanches. Même si je suis impressionnée d’être dans la même pièce qu’elle, elle ne m’intimide pas.

Je m’assois.

Je lui dis que me renverse toujours de l’eau partout et que si c’est le cas pendant notre entretien, elle verra forcément à travers Mon t-shirt blanc. Oui, j’ai vraiment dit ça.

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« Mais comment vous buvez là-dedans ? », me demande une Charlotte Gainsbourg sincèrement intriguée en apercevant ma très grosse gourde déposée sur la table à café. Je lui réponds que je n’aime pas les grosses bouteilles non plus, que je me renverse toujours de l’eau partout et que si c’est le cas pendant notre entretien, elle verra forcément à travers le t-shirt blanc que je porte sous mon veston. Oui, j’ai vraiment dit ça.

La glace est brisée, comme on dit.

Je me lance avec ma première question. Je n’ai que 13 minutes après elle.

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La question qui mène le documentaire est la pudeur que votre mère et vous ressentez l’une en face de l’autre, sans savoir « d’où elle sort ». Comment votre mère a-t-elle réagi quand vous lui avez parlé du projet de la filmer ? Lui avez-vous proposé une intuition ou une idée plutôt claire au départ ?

Rien n’était clair. En fait, ce n’était ni une intuition ni une idée, c’était plutôt un élan. J’étais tellement troublée par les concerts de ma mère. Troublée dans le bon sens, j’en étais profondément émue. Elle interprétait toutes les chansons qui retracent l’histoire d’amour de mes parents, avec un orchestre symphonique.

« Ce n’était ni une intuition ni une idée, c’était plutôt un élan. »

J’habitais à New York à cette époque-là [Charlotte Gainsbourg a déménagé aux États-Unis après la mort de sa soeur Kate]. J’imagine que la distance me faisait ressentir beaucoup de culpabilité de m’être éloignée de ma mère. Tout ça fait que j’ai eu un élan vers elle, j’avais envie de la filmer.

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Le projet a commencé au Japon, que nous adorons, alors que ma mère y donnait des concerts. J’ai vite compris que je m’y prenais très mal, parce qu’elle a très mal vécu le démarrage du projet. Pas que je filme le concert, mais les premières entrevues. Elle a détesté et elle voulait tout arrêter.

Au départ, je pensais que ma sincérité était suffisante mais ça ne l’était pas. Je pensais que je devais entrer dans le vif du sujet, mais c’était la chose à ne pas faire (rires). Je devais d’abord la mettre en confiance. Vous, les journalistes, vous savez qu’il faut faire ça, mettre en confiance avec une entrevue.

Oui. Avouer que je me renverse de l’eau sur moi, c’est ma technique, personnellement ! (rires)

Mais en même temps, ce début de processus très chaotique, et qu’elle veuille arrêter, apporte quelque chose au documentaire. On commence avec un truc très bancal ou on comprend le malaise qu’il y avait.

Et ce malaise, c’était important de le montrer selon vous ?

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Oui. C’est d’ailleurs pour ça que le documentaire commence directement dans le vif du sujet. Yvan [Attal], mon compagnon, m’a aidée à comprendre qu’on devait ouvrir le film avec un sujet très personnel [la pudeur] et que l’on sente le côté bancal et maladroit. Il existe, donc je le montre.

Après toutes ces entrevues, ces visites, ces rencontres, lorsque vous avez vu la version finale du film, y a-t-il une « histoire dans l’histoire » qui s’est révélée ? Avez-vous appris des choses en voyant votre propre film ?

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Complètement. J’ai surtout compris ce que ma mère m’a dit : « Tu n’as pas fait un portrait de moi, tu as fait un portrait de toi, aussi ! Tu as fait le portrait d’une fille qui regarde sa mère, qui cherche sa mère. »

« en voyant le film, je comprends qu’il s’agit d’une recherche sur ma mère et, je l’espère, une déclaration d’amour. »

Pourtant, je commençais sincèrement en me disant que je réalisais un portrait d’elle. Je voulais la montrer aujourd’hui, sans archive. Je voulais être au plus près d’elle et de ce que je vois d’elle, avec toutes ses blessures et ses drames, mais aussi sa drôlerie, son originalité. Faire un portrait le plus complet possible.

Et aussi, le COVID a malgré nous tout resserré la vie sur nous deux. Et comme on voit ma fille Joe, qui avait 8 ans à l’époque, ça donne effectivement un portrait en trois générations. C’est devenu un film de filles.

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Donc en voyant le film, je comprends qu’il s’agit d’une recherche sur ma mère et, je l’espère, une déclaration d’amour.

Ce qui m’a beaucoup touchée, c’est que les gens me disent que ça résonne pour eux et que ça les renvoie à leur relation avec leur mère.

Justement, est-ce qu’en arrière-plan, il y avait une volonté consciente que cette démarche, ce film si personnel touche une fibre universelle ?

« Mon point de départ est toujours intime. »

Non, pas consciemment. Mais je suis sûre qu’inconsciemment, oui. Tout ce que je fais depuis que j’ai commencé comme artiste est personnel. Mon point de départ est toujours intime. Même dans les personnages de fiction que j’ai joués, je suis toujours à la recherche de qui je suis, moi. Comme actrice, je ne me fais pas confiance pour construire un personnage de toute pièce, je ne suis pas allée à l’école pour ça. J’y vais toujours avec mon vécu et mon bagage. Je touche du bois, mais jusqu’à maintenant, ça a marché et ça touche les gens, à travers les films.

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Donc même si le point de départ est très égoïste, ça peut s’adresser aux autres.

Quel paradoxe intéressant : ce que vous considérez comme égoïste, moi, je le reçois comme quelque chose de très généreux.

Je me sens égoïste dans la manière de faire. Je ne me dis jamais : « Qu’est-ce qui pourrait intéresser un public ? » ou « Qu’est-ce qui pourrait faire un succès ? ». J’adorerais être engagée et parler des grandes causes, mais non, je n’y arrive pas. Moi, j’ai besoin de parler de mon tout petit monde. Ça part de ce que j’ai dans le ventre. Et je suis quelqu’un d’égoïste, je dois l’avouer.

Pourtant, j’ai vu ma mère être impliquée dans plein de causes, de trucs caritatifs. Et moi, je suis dans mon petit monde. Être à ce point emmerdée par son corps, être complexée, renfermée, ça rend égoïste.

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Est-ce que vous pensez que pour provoquer toutes ces conversations avec votre mère, il fallait une caméra ? La caméra a-t-elle été l’élément déclencheur de toutes les confidences ?

« Mon père aussi avait besoin d’une chanson, d’une interview, d’un film, de prétextes pour balancer des fleurs ou des compliments. »

Pour poser mes questions, il me fallait une caméra. Je pense que j’étais trop timide pour le faire ça, paradoxalement. On a eu bien sûr des conversations jusque-là. Mais pour ce qui est de lui faire une déclaration d’amour, parce que ça en est une vers la fin, il me fallait une caméra. J’ai eu besoin d’artifice.

En ça, je suis proche de mon père. Je m’en suis rendu compte après, mais mon père aussi avait besoin d’une chanson, d’une interview, d’un film, presque des prétextes pour balancer des fleurs ou des compliments.

***

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Je remercie un peu maladroitement Charlotte, à qui j’aurais eu tellement d’autres choses à dire. J’aurais aimé lui dire que j’ai écouté son album Rest en boucle pendant des mois, qu’elle m’a fait pleurer en concert, que j’ai l’impression de la connaître tellement je connais de choses sur elle et sa famille.

Dans l’ascenseur qui me ramène au lobby, les mains tremblantes, je prends une grande gorgée d’eau et en renverse sur mon t-shirt blanc.