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J’ai réappris à pleurer à 31 ans, comme un homme

Déconstruire 14 années de blocage émotionnel, une nouvelle larme à la fois.

Par
Vincent Descôteaux
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Pendant l’enfance, les garçons et les filles pleurent sensiblement autant. Mais une fois l’adolescence entamée, les garçons pleurent de moins en moins. Et une fois qu’ils sont arrivés à l’âge adulte, c’est encore plus rare de les voir verser une seule larme. Dans certains cas, les hommes peuvent même ne jamais pleurer. Ça a été mon cas entre 17 et 31 ans.

Il y a énormément de théories disponibles détaillant pourquoi les hommes pleureraient moins que les femmes. Au cas où vous souhaiteriez passer un moins bon après-midi, je vous invite humblement à googler la question comme moi je l’ai fait, accompagné d’un ami médecin. Nous sommes tombés sur :

– Des articles expliquant que les hommes pleuraient moins parce que les canaux lacrymaux masculins étaient plus étroits que ceux féminins. (Mon ami médecin m’a confirmé que c’était scientifiquement faux.)

– Un blog nous informant que la présence de testostérone poussait les hommes à se fâcher plutôt qu’à pleurer en raison de leur instinct animal protecteur de mâle alpha. (Le même médecin m’a répondu que les femmes ont aussi de la testostérone et que mes recherches le rendaient de plus en plus triste.)

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– Un site de coach de séduction affirmant que c’était un signe de puissance sexuelle de ne jamais pleurer… (À ce moment-là, mon ami médecin a simplement quitté la pièce.)

Bref, c’est à travers ces tristes théories que j’ai quand même trouvé la réponse à la question : pourquoi les hommes pleurent moins souvent que les femmes?

Le commencement

Avant toute chose, revenons-en un peu sur mon parcours. J’ai un souvenir très vif d’une époque prépubère durant laquelle ma voix était plus aiguë et où je pleurais pratiquement tous les jours. À 12 ans, ça a fini par me valoir une réputation de maillon faible. Je me suis donc adapté pour survivre.

– À l’âge de 13 ans, j’ai appris à me retenir quand j’avais envie de pleurer.

– À 15 ans, j’étais devenu excellent dans cette discipline.

– À 17 ans, j’avais déjà oublié comment on pleurait.

– Pendant les 14 années qui ont suivi, je n’ai pleuré qu’une seule fois.

J’ai été très longtemps fier de cela, mais je constate aujourd’hui que c’était toxique autant que néfaste.

Surtout que le fait de pleurer sans complexe m’aurait vraiment été bénéfique pendant ma vingtaine parce qu’entre 21 ans et 31 ans, je me suis fait diagnostiquer pas moins de cinq dépressions cliniques distinctes, toutes causées par une accumulation de tristesse que je n’étais simplement plus outillé à exprimer.

C’est entre autres pourquoi, depuis 2 ans, je réapprends à pleurer; un processus long, extrêmement personnel et pour lequel je ne crois pas être en mesure de vous offrir un mode d’emploi.

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Cependant, si c’est une chose que vous aimeriez entreprendre, je vais commencer par dire que je suis fier de vous et qu’en parler peut vous aider à décomplexer le processus général. Voici donc le mien.

La solution classique de la thérapie

La première fois que j’ai pleuré après cette longue pause, c’était pendant une séance de thérapie.

Ce n’était ni la première thérapeute que je voyais dans ma vie, ni la première séance avec cette thérapeute. D’ailleurs, il faut savoir qu’un intervenant en santé mentale ne peut pas te faire pleurer par lui-même, à moins qu’il soit insultant. Si c’est le cas, changez de thérapeute.

Je n’ai pas énormément pleuré, ce jour-là, mais je ne peux toujours pas à ce jour décrire le bien que ces quelques onze larmes m’ont fait. Bien que ce barrage que j’ai mis 14 ans à construire entre moi et mes émotions ne se soit pas tout de suite écroulé, je vois ce moment comme une légère fissure à travers laquelle j’ai pu commencer à laisser passer un peu de lumière et enfin croire que tout était possible.

Je ne suis pas de ceux qui pensent que tout le monde ait besoin de thérapie, mais je crois fondamentalement que tout le monde devrait essayer.

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La thérapie ne m’a pas appris à pleurer, mais j’y ai réalisé que c’était quelque chose de généralement possible, même s’il m’aura fallu beaucoup de temps avant d’être capable de le faire ailleurs.

Trouver son sanctuaire

La raison principale pour laquelle les hommes ne pleurent pas souvent est sociale. On a longtemps inculqué à ma génération et à celles précédentes que pleurer, ce n’était pas un comportement de mâle… La sentez-vous, ma rancune ?

On nous a conditionné à montrer nos émotions le moins possible à cause de la masculinité toxique, ce qui nous donne une peur du jugement qui, même si on réussit à la rationaliser, reste internalisée.

L’internalisation de ma masculinité toxique n’a donc pas disparu à la seconde où je l’ai comprise. Je dirais donc que les 12 mois suivant la fameuse séance de thérapie durant laquelle j’ai pleuré, j’ai continué à le faire seul et à l’abri des regards.

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Certaines choses peuvent aider, comme se trouver des sanctuaires. En ce qui me concerne, je suis quelqu’un qui est très sensible à certaines formes d’art, surtout la musique et le cinéma. J’ai donc pleuré de plus en plus souvent au cours de marches nocturnes passées à écouter des chansons datant de l’époque à laquelle je pleurais sans complexe.

Il n’y a rien de mieux que la bande sonore du Roi Lion pour ouvrir les valves.

Un autre sanctuaire pour pleurer a été les salles obscures du cinéma . Pendant les six premiers mois suivant les premiers sanglots, j’étais exclusivement capable de pleurer là-bas.

L’idée du sanctuaire est récurrente auprès de ceux qui, comme moi, sont dans cette démarche de réappropriation des larmes. C’est en effet une béquille symbolique dont certains d’entre nous auront besoin pendant un certain temps.

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Comme se déconstruire est souvent difficile, il faut prendre toutes les opportunités et facteurs aidants disponibles, car plus ça arrive, plus ce sera rapidement normalisé dans notre inconscient.

Dernière étape : pleurer avec des gens

J’aurais sans doute dû écrire cet article dans un an, car, en toute transparence, mon processus n’est pas encore terminé. Mais je suis quand même très heureux d’avoir entamé la dernière étape (selon ma psy) qui est de pleurer sans honte avec des gens.

La première fois (sur deux) où j’ai pleuré avec quelqu’un, c’était au ciné (eh oui) avec ma conjointe. Nous étions là pour voir le film The Whale de Darren Aronofsky dont le sujet me touche particulièrement.

À mes yeux, ce film représente particulièrement bien à quel point nous sommes plus près qu’on ne le pense d’échapper notre propre existence, mais qu’il n’est jamais trop tard pour la rattraper. De cette même manière, je pense aussi qu’on peut échapper une bonne partie de notre vie en se refusant le droit d’exprimer notre tristesse.

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J’ai pleuré seul la première fois que je l’ai vu, puis une deuxième fois avec ma conjointe, même si je connaissais déjà tous les punchs du film.

J’ai pleuré à côté de ma conjointe qui a des canaux lacrymaux aussi grands que les miens. J’ai larmoyé mon existence malgré les briques de testostérones que je suis censé avoir dans le corps.

Pleurer librement n’enlèvera jamais rien à la personne que vous êtes.