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J’ai passé une soirée BDSM avec une domina et son soumis
Corset, chaussures à talon épais et… C’est tout. Voilà dans quelle tenue m’accueille Isadora. Inhabituel pour une première rencontre ? Tout dépend. Si, comme moi, vous vous tenez face à l’une des plus fameuses domina du milieu BDSM français, il n’y a rien là d’extraordinaire. Ça met dans le bain, mettons. Mais pour quoi faire exactement ? Eh bien, assister à une séance de domination orchestrée d’une main de fer par Madame – ou plutôt, Maitresse – Isadora.
Tandis que cette étoile noire des nuits parisiennes me fait une tournée visite, de mon côté, les questions fusent. Oui, nous sommes à son domicile. Oui, elle exerce majoritairement sur place et non, les voisins ne posent pas problème. « On pense souvent qu’il y a forcément des cris, des hurlements, pendant nos sessions, mais pas du tout », s’amuse mon hôte. À la vue de la déco’ cosy de l’appartement, je réalise, aussi, qu’il n’est nul besoin d’un sinistre environnement style donjon moyenâgeux pour s’adonner à la domination. L’image d’Épinal trasho-glauque que je me faisais du BDSM en prend un coup – tant mieux.
Installé dans le salon, je fais la rencontre d’Orava, un type plein de bonhomie dont j’aurai tôt fait de comprendre qu’il est à la fois l’un des soumis d’Isadora, et son « boyfriend » à la ville. Original. Après m’avoir poliment proposé un verre d’eau, le couple orbitant autour de la trentaine qui, notons-le, « fait des soirées Netflix, comme tout le monde », évoque son entrée dans l’univers BDSM. Orava estime avoir toujours « eu ça » en lui ; Isadora confie être « fascinée » depuis l’enfance par les figures de femmes fortes. Salomée, Circée, Médée… Au point d’avoir tôt voulu incarner, à son tour, une « toute-puissante ». Laquelle aspiration l’a conduite, après s’être effeuillée dans le milieu du cabaret burlesque, puis des soirées BDSM, à enfiler le costume d’une domina.
En parallèle d’un travail « pas hyper épanouissant », elle reçoit désormais environ deux « soumis » par semaine pour des sessions tarifées à 300 euros l’heure. Avec des profils variés, allant du « stéréotype de l’homme d’affaires jupitérien » dans la trentaine triomphante aux septuagénaires retraitées. Et toujours, question déroulé de la séance, un programme « sur mesure » ménageant à la fois le respect des limites stipulées en amont par le client, et la créativité d’Isadora. Bon. Mais concernant notre séance, à quoi m’attendre ? Pour y voir clair, reste à « entrer dans le dur ». Si j’ose dire.
« À genoux »
Changement de ton. Jusqu’alors franchement mignon (ils s’excusent lorsqu’ils se coupent la parole et tout), le couple bascule vers un registre beaucoup plus… Rigide ? De tandem sur pied d’égalité, le binôme tourne maîtresse-esclave. Chacun son rôle. À partir de maintenant, Isadora dicte sa loi, et donne le tempo. « Reste ici et déshabille-toi », balance-t-elle à son partenaire sur une note péremptoire qui, déjà, ne souffre plus de répliques, tandis qu’elle m’entraîne vers sa chambre. Un lieu à l’ambiance élégamment feutrée peuplé d’outils reconnaissables pour certains (plugs, gode ceinture…) et beaucoup moins pour d’autres, aux yeux du néophyte que je suis. « Ça c’est une fuck machine, et ça une milking machine », me détaille Isadora, enjouée, avec force explications pédagogiques. All right.
Après cette parenthèse éducative, notre domina allume une enceinte. « J’adore jouer sur du blues », glisse-t-elle. Et d’ajouter une savoureuse anecdote : « je veille toujours à mettre mon portable en mode avion depuis qu’une fois mes parents m’ont appelée en pleine séance – ça avait un peu cassé l’ambiance ». On imagine. Sans déployer son habituelle armada de bougies (« il fait trop chaud pour ça »), Isadora m’indique que la séance va débuter. Elle quitte la chambre, impérieuse. Impériale. Moi je reste vissé sur une chaise en fond de pièce, statique. Un peu intimidé. Et avec la légère impression d’être un touriste – un voyeuriste ? – à pénétrer ainsi dans l’intimité de ce couple.
Mais bref. « A genoux », que j’entends au loin. Silence. « Suis-moi ». Orava entre nu et à genoux, donc, dans l’espace à coucher. Celle pour qui il m’expliquait il y a quelques minutes, non sans romantisme fleuri, avoir eu un « coup de cœur » lors de leur rencontre dans un cadre BDSM, lui caresse les cheveux. Délicatement, sensuellement. Puis lui pince l’extrémité des tétons et l’enjoint à s’allonger sur le dos, au sol. « On va commencer par te faire sentir à ta juste place, sous mes pieds », lâche-t-elle en usant de ses talons pour presser son thorax. Elle lui ordonne de lécher sa semelle. « Oui Maîtresse ». Il s’exécute. Avec appétit. Goulûment. Avisant l’érection du soumis, Isadora lui écrase le sexe. À peine Orava a-t-il le temps de s’excuser qu’elle l’insulte de « petite limace » puis assène du talon de légères tapes sur ses testicules. Difficile de dire si les gémissements du persécuté expriment de la souffrance, ou du plaisir. La distinction a-t-elle seulement encore un sens ? Allez savoir.
Pas de fouet sans postcare
Claquement de doigts sec. Isadora commande au soumis de se relever, puis l’attache fermement à une croix de Saint-André, visage contre la structure en « X », poignets et pieds liés. Le martinet dont elle vient de s’emparer s’écrase sur le dos du supplicié. Une fois, deux fois. Après l’avoir enlacé avec une tendresse qu’on n’attendait plus, elle fixe des poids aux testicules de son partenaire. Aïe pour lui, bien sûr.
Passage à la vitesse supérieure. Isadora s’arme d’un fouet puis s’approche, féline, d’Orava. Tandis qu’un refrain – de jazz, toujours – résonne (« Love me all night looooong »), le premier coup part. Orava sursaute de douleur, se crispe. Sentant poindre à l’horizon le point-limite du soumis, peut-être, Isadora marque une pause. Et se colle à lui, peau contre peau, en exécutant des ondulations languissantes. Lui savoure, mutique. Mais pas pour longtemps.
Isadora annonce cinq coups de fouet à venir, et contraint le soumis à les compter lui-même. La cruelle. À Orava de serrer les dents, endurer et dénombrer. Isadora, soudain devenue « dresseuse » d’homme, inflige sa punition avec une précision chirurgicale – professionnelle, quoi. Langue de feu contre corps d’argile spasmodique. Une fois le cinquième coup asséné, à l’impitoyable de lâcher : « C’est fini, c’est fini, je suis fière de toi » dans des intonations attendries. Maternelles, presque. En guise de récompense (sans doute), elle enfile un masque à gaz sur son souffre-douleur, doigte son anus, puis lui fait renifler ce que je suppose être du poppers. « Ça va ? », demande-t-elle, sincèrement soucieuse, avant de virer de registre en l’insultant de « petite chienne qui mouille ».
Aussitôt, elle se munit d’un gode-ceinture puis sodomise son partenaire maintenu immobile, toujours sur la croix. Après quelques minutes particulièrement intenses, elle s’extrait, le libère de ses liens et lui impose d’aller sur le lit. Il s’y rend – toujours docile, toujours dévoué – et attend patiemment la suite en regardant sa Maîtresse avec un respect mâtiné de fascination. Au même moment, Isadora passe à côté de moi et s’excuse de devoir me déranger. Troublant.
Happy ending pour la torture du pénis
Une fois les poignets du soumis fixé au sommet du lit, Isadora enlève ses chaussures, piétine à nouveau sa poitrine. L’insulte de « larbin », exige qu’il renifle la voûte de ses pieds. Puis va chercher un attirail d’instruments dont l’aspect chirurgical n’aurait pas déplu à Cronenberg. Elle use de pinces pour stimuler les tétons d’Orava, et compresse grâce à un savant jeu de cordes son sexe et ses testicules. Clairement, ça fait mal. Effet des neurones miroirs ou simple élan de compassion devant cette séquence “torture du sexe”, je me surprends à me crisper, moi aussi, lorsqu’Orava sombre en convulsions de douleur. J’en viens à prier secrètement pour lui que cela cesse. Précaution inutile : il est en transe. Tout son corps paraît traversé par un fourmillement électrique de plaisir devenu frisson, devenu brasier. Dans l’abîme de sa déchéance, Orava découvre un joyau d’extase – la lueur de ses yeux en atteste. Et ce n’est pas près de s’arrêter.
Après avoir coupé les liens qui l’entravaient, Isadora lui ordonne de s’allonger sur le sol et jette : « Tu as été torturé, mais pas assez souillé », avant de lui cracher dessus. Transporté par une vague d’euphorie, la chair comme saturée de joie, Orava laisse filtrer un éclat de rire cristallin. À Isadora de recadrer le jeu à coup de pieds, puis en lui intimant de lécher les crachats laissés sur le parquet avant d’annoncer, cinglante : « Après t’avoir utilisé comme évier, tu vas me servir de toilettes ». Séquence urophile incoming. L’inexorable Maîtresse urine dans la bouche d’Orava en lui interdisant d’en perdre « la moindre goutte ». Il s’agit de tout avaler, donc. Condition sine qua non pour qu’elle autorise le malheureux à éjaculer.
« Idiot », « pute à baise » et caetera, les insultes vont bon train. Une humiliation ponctuellement accompagnée de moqueries cérébrales. « Pauvre puceau, tu te masturbes parce que t’es incapable de faire autre chose de ta queue avec une fille », est l’un des punchlines qu’Isadora assène à son martyr par grande lampée. Lui glousse de plaisir comme un enfant qu’on gâterait. Et atteint un palier d’excitation tel qu’il demande – poliment, bien sûr – la permission de spermer. Pause. « Oui ». Orava décroche enfin le feu vert et éjacule dans un râle de plaisir guttural. Fin de partie ? Pas tout à fait.
Isadora lui intime de manger son sperme. Ce qu’il fait, aussi discipliné en ouverture qu’en fin de séance. Alors seulement, assise sur le lit, cette inflexible le laisse s’approcher d’elle. Et poser sa tête sur ses genoux. « Meilleur moment », souffle un Orava solaire, toujours perché au 7e ciel. Elle lui caresse délicatement le crâne, lui répète à l’envie qu’il « adore » cette sensation. En fond sonore, un solo de guitare hurle à la nuit. Tous deux rient, complices. Comblés.
« On n’est pas là juste pour casser des gueules »
Passé cette virgule de tendresse, Isadore ordonne – ou invite ? on ne sait plus trop – son partenaire à se laver. J’en profite pour lui demander comment elle se sent. « Hyper excitée et assez épuisée », répond-elle en retournant dans le salon, la mine fourbue. « C’est un exercice très fatiguant car il faut être en alerte non-stop vis-à-vis des réactions de l’autre pour être certain de ne pas aller trop loin », explique-t-elle « on est pas là juste pour casser des gueules. L’intérêt n’est pas tant de causer la douleur que d’organiser un système où la souffrance devient plaisir ». Exemple : si Orava encaisse une grappe de coups de fouet, c’est parce qu’il sait qu’Isadora l’enlacera ensuite, m’explique-t-elle. À chaque punition endurée, récompense accordée. Brutalité, douceur, brutalité, douceur…
Grosso modo, une séance BDSM n’a rien à voir avec un déchaînement de violence aveugle. Il s’agit plutôt d’un jeu d’équilibre subtil. Un challenge de funambule côté dominant – frapper, humilier, avilir, oui, mais jusqu’où ? – et véritable « exutoire » côté soumis, selon l’expression d’Orava qui s’estime « apaisé » post-séance et insiste, une fois sorti de la douche, sur l’aspect « lâcher prise » de la soumission. Comme si le dépouillement de la volonté propre ouvrait les portes d’un champ d’émancipation.
Étonnant paradoxe : ce serait précisément dans l’entrave (extrême) que le soumis ferait l’expérience (extrême) de sa liberté. Après tout, ce n’est pas tous les jours qu’on s’abandonne aux bras, fouets et talons d’un autre. Au diable les conventions, au placard la bienséance. À genoux, Orava, comme tant d’autres aficionados de soumission, se déleste des pesanteurs du code social. Et s’ouvre à l’autre dans une forme de dénuement total, de vulnérabilité absolue.
Un trésor de confiance dont Isadora n’a cessé de prendre soin – quoique d’une manière atypique, peut-être. Une authentique preuve d’amour ? Grave. Ici pas de « freaks » aux pulsions monstrueusement débridées. Juste un duo d’amants, de joueurs, s’offrant une excursion enchantée vers leurs rivages sexuels chéris. Des contrées pleines de latex, tintements métalliques, et injures crasses. Avec un riche éventail de pratiques allant de la privation sensorielle à la féminisation en passant par l’animal play, si l’on en croit le site d’Isadora.
« J’espère que la séance t’a plu », glisse Orava depuis le canapé qu’il partage avec sa partenaire. Pour sûr, que ça m’a plu. Tout d’abord pour le côté claque esthétique (à quand des spectacles de domination, comme on peut assister à des show de shibari ?), mais aussi et surtout parce qu’être ainsi accueilli dans l’ultra-intimité d’inconnus c’est pas banal. J’en ressors un peu ému. Bouleversé, même. Vrai de vrai.
Tandis que je plie bagage, Orava se dirige vers la chambre, serpillère à la main. « Tu vois l’envers du décor maintenant », plaisante-t-il. La suite du programme pour la nuit ? « On sait pas trop, on est un peu crevé », répond de concert le couple. Compréhensible, après un peu plus d’une heure d’érotisme cravaché. Nota bene : même les noirs héros du BDSM ont leurs accalmies. Alors que je les salue, au-dehors, des feux d’artifice rehaussent la nuit d’un éclat bigarré. Nous sommes le 13 juillet. Ce soir-là, c’est fête.