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J’ai gagné le droit d’acheter des sneakers
Ce matin en ouvrant ma boîte mail, j’ai eu la bonne surprise de découvrir que j’avais gagné une paire de sneakers. Enfin non, le terme « gagné » n’est pas correct, puisque j’ai plutôt gagné le droit de les acheter. Et si, comme ma collègue Marie-Luce, vous n’êtes pas habitué.e à cette pratique, vous devez aussi vous dire que c’est vraiment étrange. Étrange, certes, mais tout à fait commun.
Bienvenue dans le monde (pas si) merveilleux des tirages de sneakers.
La loi de l’offre et la demande
Si porter des sneakers est particulièrement à la mode en ce moment, en obtenir peut s’avérer plus compliqué que ce que l’on pourrait penser. Quand je suis tombée dans l’univers des sneakers, j’ai découvert que si je voulais me procurer certaines paires, en particulier celles en éditions limitées, je n’avais d’autre choix que de participer à un tirage au sort en ligne. Mon achat dépendait donc de la chance : mon intérêt bien que réel et intense ne changerait rien à l’issue.
Les raffles ont été lancées en 2010 au Japon par Nike afin de lutter contre les insécurités et les débordements liés aux camp-out.
Prononcée /ˈræf.əl/, les raffles ont été lancées en 2010 au Japon par Nike afin de lutter contre les insécurités et les débordements liés aux camp-out, cette pratique consistant à faire la file durant des heures, voire des jours, afin d’obtenir le précieux sésame. Ici, on récompensait les passionné.e.s de toujours sur un principe de « premier arrivé, premier servi ».
C’est à partir de 2015, lors de la sortie des Yeezy Boost d’Adidas en collaboration avec Kanye West, que les raffles se sont popularisées. On s’inscrit gratuitement… et on espère obtenir la chance d’acheter la paire désirée. Il existe plusieurs façons de participer, les plus communes étant les applications natives des marques, comme SNKRS de Nike, ou sur les sites de boutiques partenaires.
Généralement, les raffles sont réservées à des paires dites rares. Cela peut concerner des paires avec des coloris ou formes exclusifs, mais aussi des paires réalisées en collaboration avec des designers ou autres créatifs. Sur le plan artistique, je trouve l’idée géniale puisque les collaborations permettent de médiatiser des artistes qui n’ont plus rien à prouver dans le milieu des sneakers, et plus généralement de la mode. Je pense par exemple à Salehe Bembury ou Joe Freshgoods, qui ont su imposer leur style et rendre leurs collaborations attendues et incontournables. Peu de chance que je les connaisse si je ne m’étais pas autant intéressée à ce milieu.
Est-ce que c’est vraiment juste pour tout le monde ?
Si, sur papier, le principe des tirages semble juste (on donne la chance à tout le monde de participer et d’avoir peut-être la chance d’acheter la paire) on voit rapidement les limites, voire les dérives de ce système.
Rien de surprenant, cette pratique est victime, ou bénéficiaire (ça dépend du point de vue), de la culture mainstream et d’une certaine hype. Il ne suffit plus d’être passionné.e pour s’inscrire à ces tirages au sort. Les raffles sont démocratisées et l’on est de plus en plus nombreux et nombreuses à y participer à chaque fois, ce qui amène son lot de frustrations.
La rareté étant inhérente aux raffles, on crée une certaine demande avec peu d’offre.
Les marques l’ont bien compris et jouent même sur cette privation pour en faire une stratégie marketing. La rareté étant inhérente aux raffles, on crée une certaine demande avec peu d’offre. L’engouement et la spéculation boostent la valeur des produits et donc, le marché étant ce qu’il est, on voit des paires prendre de la valeur avant même qu’elles ne soient sorties, ou d’autres atteindre des montants qui dépassent les quatre chiffres. Je pourrais débattre longuement sur le marché du resell (revente), mais ça nécessiterait un autre article et surtout beaucoup de calme.
À cela s’ajoute un nombre de sorties impressionnant : si l’on pouvait patienter des mois pour participer pour une certaine paire, il est désormais coutumier de jouer plusieurs fois par semaine. J’aime énormément les sneakers, mais il m’arrive de passer mon tour. Je me retrouve vite noyée sous les informations et j’en suis rendue à parfois perdre de l’intérêt. Dommage.
Sans oublier le fait que la hype autour de certaines collaborations a rendu des paires cools inaccessibles. C’est par exemple le cas des Nike Dunk avec Travis Scott. Récemment, dans la communauté, on a tous et toutes été surpris.es de voir que le prix de la Air Force 1 avait augmenté, mais surtout, qu’elle était accessible par tirage. Sérieux, qui va payer 150e pour tenter de gagner des Air Force 1 ? Sans mauvais jeu de mots, Nike, vous forcez.
Le culte de la consommation
Vous me direz : « Mais tu apprécies vraiment ça, au final ? » Oui, car quand on aime les sneakers, on sait que la frustration fait partie du jeu ; c’en est même l’une des principales caractéristiques. Certes, cette culture a pris un nouveau tournant, les réseaux sociaux ayant une responsabilité dans cette nouvelle façon de consommer que l’on pourrait appeler « le culte de la consommation ».
Je pense à ma boss qui, comme moi, a « gagné » une paire après maints échecs. Pour célébrer ça, on s’est tapées dans les mains.
Mais on relativise : c’est un milieu riche, en mouvement et qui transgresse les règles. Qui aurait pensé, il y a des années, que l’on verrait des collaborations entre marques de sport et marques de luxe ? Même s’il y a une part d’opportunisme du côté de la haute couture, Virgil Abloh est la preuve que l’on peut mélanger deux mondes opposés et marquer ces industries à tout jamais.
J’aime l’art sous tous ses angles : à mes yeux, les sneakers en sont une forme et je suis prête à jouer le jeu, tant que cela ne m’affecte pas négativement! Car oui, j’ai gagné le droit d’acheter des sneakers et ça m’a rendue heureuse. C’est ce que je retiens au final.
Je pense à ma boss qui, comme moi, a « gagné » une paire après maints échecs. Pour célébrer ça, on s’est tapées dans les mains. Parce que oui, malgré toute la frustration que peuvent amener ces raffles dans la communauté des sneakers, on reste solidaires. Je citerai même mes ami.e.s de chez CaminoTv, le média lifestyle référence pour les sneakers : « On est ensemble ! »