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J’ai essayé de saboter mon algorithme Facebook pendant une semaine

...et il s'est passé des choses étranges.

Par
Benoît Lelièvre
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Comme un peu tout le monde qui possède une connexion internet et un abonnement à Netflix, j’ai regardé le documentaire Derrière nos écrans de fumée (The Social Dilemma) quelque part entre le 9 septembre dernier et aujourd’hui.

Une personne peut-Elle s’affranchir de l’influence des réseaux sociaux de par sa seule volonté ou Doit-on légiférer pour s’assurer de conserver notre liberté?

Même si certains experts l’ont critiqué pour son approche mélodramatique et unidimensionnelle, les dangers qu’il souligne sont bien réels. Ça fait sept ans que je travaille comme professionnel des réseaux sociaux, disons que je suis en première ligne pour en témoigner. Ces problèmes, je les ai vus se développer au fil des années: la polarisation, les fake news, l’éclatement même du concept de vérité.

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Derrière nos écrans de fumée (The Social Dilemma) a cependant soulevé une question que je n’avais pas encore considérée: sommes-nous prisonniers de nos réseaux sociaux? Une personne peut-elle s’affranchir de leur influence de par sa seule volonté ou doit-on légiférer pour s’assurer de conserver notre liberté?

Pour le fun et sans prétention scientifique, j’ai décidé de tester quel était mon champ d’action en tant qu’utilisateur. J’ai choisi Facebook pour les fins de ma petite expérience puisqu’il s’agit de la plateforme que j’utilise le plus.

Ce que je n’ai pas fait

La solution facile aurait été de fermer mon compte.

Quand je dis qu’il s’agit d’une solution facile, c’est qu’elle aurait réglé le problème pour moi seulement. Les réseaux sociaux auraient peut-être disparu de mon quotidien, mais pas de la société. L’autre problème, c’est que je pourrais retourner à mon compte quand je veux, puisque Mark Zuckerberg le garde au chaud juuuuuste au cas où je changerais d’idée. Je ne règlerais donc pas le problème de l’influence de mon compte Facebook sur mon comportement, je l’éviterais tout simplement pendant une période de temps donnée. En fait, ce que je voulais savoir, c’est si je peux avoir le meilleur des deux mondes : avoir accès à la plateforme, en étant le moins possible la cible de l’algorithme.

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L’autre chose que je n’ai pas faite, c’est de me servir des fonctionnalités fournies par Facebook pour essayer de contrôler mon niveau d’exposition à la pub. C’est une démarche un peu… diy?

Mon processus

C’est simple: j’ai décidé d’enlever systématiquement à mon algorithme Facebook le plus de variables possible dans son processus décisionnel.

J’ai donc commencé à unliker toutes les pages auxquelles je m’étais abonné depuis la création de mon compte en 2005 pendant exactement une semaine. J’ai aussi minimisé mes interactions à un strict minimum professionnel. Si je donne moins d’indices à Facebook pour l’aider à détecter ce que j’aime ou ce que je déteste, dans quelle mesure sera-t-il en mesure de me proposer du contenu adapté à mes goûts?

L’idée derrière ça était d’essayer de retrouver un espace virtuel me permettant uniquement de connecter avec mes proches. Au départ, c’était ça Facebook. Du moins, c’est ça que Mark Zuckerberg nous a promis.

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Ce qui s’est passé

Constat No.1 – La qualité de la pub a chuté en flèche

Après environ 24 heures d’unliking intense, mon algorithme a commencé à tirer dans tous les sens.

C’est comme si Facebook se rappelait qu’elle me connaissait, mais qu’elle ne savait pas exactement qui j’étais et où elle m’avait rencontré.

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C’est drôle, parce que la dernière chose que j’ai achetée par le biais d’une pub Facebook, c’est un t-shirt. Facebook s’en rappelait clairement. La plateforme se rappelait aussi que j’étais fan de basketball (probablement parce qu’il me restait plusieurs pages liées à la NBA). C’est comme si Facebook se rappelait qu’elle me connaissait, mais qu’elle ne savait pas exactement qui j’étais et où elle m’avait rencontré.

Constat NO. 2 – C’est pas si cool que ça de connecter avec ses proches

Sans médias, personnalités publiques ou équipes de sport sur mon fil d’actualité, c’est vite devenu chiant.

On a cette vision idyllique d’une plateforme où on a des discussions passionnantes (et respectueuses) juste avec des gens qu’on aime. On aime se dire que ce sont les médias, la publicité et le putain d’algorithme qui ruinent tout. Mauvaise nouvelle : nos amis et notre famille ne sont pas si intéressants que ça. Voici un inventaire des sujets qui ont béni mon fil d’actualité depuis une semaine.

– Commentaires découragés au sujet des anti-masques.

– Commentaires découragés au sujet du port du masque.

– Commentaires découragés au sujet de 2020.

– Photos de fleurs ou de rénos.

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– Demandes de liker la page d’un petit commerce situé à l’autre bout de la terre

– Demandes de liker la page du blog de voyages de la cousine d’un ancien collègue à qui je n’ai pas parlé depuis 6 ans.

– Tirades beaucoup trop longues coiffant des partages d’articles du New York Times ou du Washington Post.

– Commentaires génériques sur l’actualité ponctués de réponses ironiques.

– Mises à jour de photos de profil avec un filtre drôle ou engagé.

Si Mark Zuckerberg, Jack Dorsey et compagnie essaient aussi fort de monétiser notre présence et notre attention, c’est peut-être parce qu’on avait rien d’autre à leur fournir à la base.

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On pense souvent aux réseaux sociaux en fonction de la valeur qu’ils nous apportent, mais on pense rarement à la valeur qu’on leur fournit. Si Mark Zuckerberg, Jack Dorsey et compagnie essaient aussi fort de monétiser notre présence et notre attention, c’est peut-être parce qu’on avait rien d’autre d’intéressant à leur fournir à la base. Je ne les trouve pas plus sympathiques que la semaine dernière, mais je comprends mieux ce qui les motive.

Constat No. 3 – On voit encore du contenu. Il est juste pas intéressant

Quand on ne like plus de pages Facebook, on devient vite proie au contenu qui alimente l’algorithme de nos amis.

En suivant une page, on lui donne beaucoup de pouvoir. Non seulement sur nous, mais sur les gens qui nous entourent.

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Il existe une fonction dans le gestionnaire de publicités Facebook qui permet de cibler les amis de votre audience et plusieurs compagnies en usent et en abusent. Particulièrement celles qui offrent des solutions en ligne: SEMRush, SEOMoz, Monday.com, Hubspot, des programmes de livraison mensuels, etc. Les compagnies comptent sur le fait qu’on n’accorde pas trop de valeur à un like. Erreur. En suivant une page, on lui donne beaucoup de pouvoir. Non seulement sur nous, mais sur les gens qui nous entourent.

Constat No. 4 – Scroller, c’est un réflexe physique

Ouais. J’ai constaté tout ça et pas une heure ne s’est passée sans que je rafraichisse mon fil d’actualité entre 20 et 50 fois. C’est comme la cigarette, c’est mon corps qui en a besoin. Intellectuellement, je sais très bien que Facebook ne me proposera aucun contenu intéressant, mais la partie de mon cerveau qui sécrète la dopamine ne veut rien savoir. Le fait d’unliker toutes ces pages n’y a rien changé. Du moins pas après une seule semaine. Suis-je addict? Ou juste… normal?

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Constat No. 5 – Le fil d’actualités n’est pas à toute épreuve

Regardez ça:

Mon fil d’actualité s’est mis à bugger jeudi dernier. Puis, il a complètement disparu. J’ai cru tout d’abord à un problème du côté de Facebook. La plateforme a été inaccessible pour quelques minutes pendant l’après-midi. Tout est rapidement rentré dans l’ordre, sauf mon fil d’actualité. Il a maintenant une fin! Est-ce que c’est parce que la fonction algorithmique n’avait plus assez de matériel pour générer du contenu à l’infini? Il y a peut-être une autre explication, mais c’est étrange.

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Ça fait 4 jours que mon fil d’actualités est comme ça. Il essaie de s’auto-réparer périodiquement en me balançant le peu de pages likées qu’il me reste dans l’espoir que je morde à l’hameçon, mais je continue d’enlever les petits pouces. C’est très étrange, mais c’est pas déplaisant. J’ai pas exactement le goût de remettre à tout liker dès que j’aurai fini d’écrire cet article. Je suis encore tout aussi accro, mais l’expérience est moins drainante émotionnellement.

Conclusions

Mon algorithme Facebook semble un peu perdu et c’est une bonne chose.

Cette expérience n’aura pas apporté de solutions. Probablement que l’algorithme sait très bien ce qu’il fait, mais je me dis qu’on doit reconsidérer collectivement notre perception du like. On a l’impression que ça a peu ou pas de valeur, mais c’est faux. Ça n’a pas de valeur pour nous, mais c’est extrêmement précieux pour l’entreprise, l’artiste ou l’individu qui possède la page sur laquelle vous décidez de lever le pouce. Ça permet à cette personne/entité légale non seulement de vous cibler, mais de cibler tous vos amis. On a l’impression d’aider ou de s’affirmer en faisant peu d’effort, mais si Derrière nos écrans de fumée (The Social Dilemma) démontre quelque chose, c’est que liker une page, c’est plus qu’une simple démonstration d’appréciation envers une marque, un resto, un groupe, c’est le début d’une longue relation dont on ne maîtrise pas toutes les ramifications.

On n’a pas exactement le contrôle sur nos algorithmes.

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Raison de plus pour choisir avec soin les pages qu’on like et non pas mettre des pouces partout juste parce qu’on peut le faire. Au moins, choisissons celles qui ont une valeur réelle pour nous, parce qu’au final on n’a pas exactement le contrôle sur les algorithmes.

Mon expérience a pris fin, mais peut-être est-ce le début de quelque chose d’autre.