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J’ai avorté et… ça va

Par
Clothilde Joncart
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Parfois, on dirait que c’est “la mode” de parler d”avortement. Tout le monde y va de sa petite confession, alors je me dis, pourquoi pas moi ! Légèrement inquiète pour la France qui sera celle de mes filles, et le monde que devient celui de mes enfants, j’ai eu envie de témoigner. Peut-être que certaines d’entre vous se reconnaîtront, d’autres pas du tout, cette expérience est la mienne, bienvenu.e.s dans mon cerveau malade.

J’ai avorté, et j’ai kiffé. Je me félicite chaque jour, ou presque, d’avoir pris cette décision. Je ne dis pas que j’ai aimé vivre mon avortement, ni que je l’ai fait de gaité de cœur. Néanmoins, avoir cette possibilité m’a probablement sauvée, ainsi que mes enfants, et aussi, surtout, ce non-enfant, celui qui n’est jamais né.

J’entends déjà vos remarques : « de nos jours une femme à suffisamment de solutions pour ne pas se retrouver enceinte », « l’IVG n’est pas une contraception », « t’es tombée enceinte, maintenant assume », etc.

Déjà, je ne suis pas tombée enceinte seule… On était deux. Deux, mais bizarrement, je suis l’unique à qui revenait la charge de contrôler les grossesses. J’étais mariée, j’avais déjà trois enfants, le plus petit avait 2 ans et demi. Je ne suis pas née de la dernière pluie, je suis la maîtresse de mon corps, mais une grossesse, ça arrive.

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La contraception… Vaste sujet… Je le range dans la catégorie “gynéco”, les pires médecins de la création. La contraception c’est une grande avancée pour les femmes désireuses de vivre leur sexualité le plus librement possible. C’est aussi un poids, un boulet, une charge mentale. Mais laissez-moi faire étalage de ma grande expérience du sujet :

  • Le préservatif

Ce n’est pas vraiment le premier qui te vient en tête quand t’es mariée depuis plusieurs années. Le préservatif c’est utile en cas de casse-croute, certainement pas pour ton pain quotidien.

  • La pilule

Vous ai-je déjà parlé de ma mémoire de poisson rouge ? En vrai, ce n’est pas franchement sympa pour les poissons rouges… Les fois où il m’est arrivé de prendre la pilule, je me suis empressée de l’oublier, au bout de 2 jours… Et ce tous les jours… Alors la prendre à heure fixe… Forcément c’était la panique à chaque cycle. Je vous fais grâce du budget tests de grossesse.

  • Le stérilet

Il existe deux modèles, à ma connaissance. Celui aux hormones, et celui au cuivre. Alors, pas de grossesse, ça c’est sûr (enfin presque…) Cependant, les effets secondaires voilà quoi ! J’en ai expérimenté quelques-uns, sur la notice je m’appelle : “dans certains cas rares”.

Avec la version hormonée, c’est :

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  • -Arrêt des règles, bonjours l’angoisse du test de grossesse, et oui, c’est ton destin de femme.
  • Saignements intempestifs, ah, t’avais un week-end en amoureux de prévu ? Ben tant pis… Vas plutôt chercher des serviettes.
  • Douleurs plus ou moins fréquentes, plus ou moins intenses. Mais pas de panique, ton gynéco te dira que c’est psychosomatique (toutes tarées ces bonnes femmes).

Avec le cuivre c’est :

  • -Règles hémorragiques, mais pas seulement, en plus d’être plus abondantes, elles durent plus longtemps, donc tu passes de 4 à 5 jours par mois, à une semaine à 10 jours. Dis donc, Clo, t’es pâlotte…
  • -Raccourcissement des cycles. Tu passes d’un cycle de 32 jours, à 26… Tu ne veux pas d’enfant de toute façon, en voilà une belle méthode de contraception, comme tu saignes comme un porc la moitié du temps, ça réduit la fréquence des rapports. On tient un truc là ! Et le pompon, c’est quand ton gynéco te soutient mordicus que c’est impossible.
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Et dans les deux cas, mon utérus n’était pas trop pour le stérilet, il s’est arrangé pour les éjecter, à chaque fois.

  • L’implant

Franchement, vu mon expérience des hormones à diffusion continue par stérilet, je n’avais pas vraiment envie de tester. Sans compter les autres effets indésirables : humeur changeante, prise de poids, douleurs aux seins… Vous savez tous les trucs psychosomatiques de femme tarées dont il est question plus haut.

  • L’anneau contraceptif

Autre truc bizarre que j’ai eu la chance et l’opportunité de tester, l’anneau contraceptif, placé directement dans le vagin. Etrangement, je n’ai fait que tester, et c’était bref mais intense comme on dit.

  • La ligature des trompes (ça c’était après l’avortement…)

Pour clore ce chapitre trop génial, parlons stérilisation. J’ai réussi à l’obtenir, non sans galérer bien comme il faut avant. Il est bien connu qu’une femme n’est là que pour servir d’utérus à pattes et assurer la pérennité de l’espèce. Alors quand l’une de nous veut se faire stériliser, à 30 ans, elle se confronte à un corps médical particulièrement récalcitrant. J’ai fini par y arriver malgré tout, grâce à une amie qui m’a donné le nom de son médecin. Le bouche à oreille, ça marche quelquefois. Je ne suis pas forcément tirée d’affaire. J’essaie d’éviter de les écouter, mais certaines rumeurs circulent sur les implants tubaires qu’on m’a installé.

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Vivement que la contraception masculine se démocratise et qu’on nous lâche enfin l’utérus.

Ce jour où tu comprends que t’es encore enceinte.

Imagine la situation. Tu as une petite trentaine, trois beaux enfants en bonne santé, tout ça tout ça. Les deux derniers ont 2 et 4 ans. Ça a été très dur ces 5 dernières années, entre le travail (de nuit), les grossesses, les bébés et toutes les autres petites, ou grosses contrariétés qui font que la vie est ce qu’elle est. T’es au bout du rouleau, épuisée, vivement que ça cesse. Néanmoins, ton fils de 2 ans, entre bientôt à la maternelle. Tu vois cet évènement comme la lumière au bout du tunnel. Tu l’attends avec impatience, pour pouvoir ENFIN souffler, pouvoir enfin te reposer.

Et puis, un jour tu te demandes : « Au fait, ça fait combien de temps que je n’ai pas eu mes règles ? »

Ton réflexe, c’est de faire le millionième test de grossesse de ta vie et devine quoi ? Cet enfoiré est positif.

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Alors tu t’assieds. Tu ris, tu pleures. Tu hallucines, comment cela a-t-il pu arriver ? (Même si tu as une petite idée quand même). Tu t’empresses d’en parler à ton mari, il est concerné après tout. Pragmatique, il suggère de lister les pour et les contre. Tu réfléchis trois ou quatre minutes, puis 20. Finalement, tu te rends à l’évidence, il n’y a aucun pour.

En fait, cette grossesse qui intervient sans y avoir été invitée est vécue comme un très mauvais coup du sort, une punition, ce n’est pas possible. Alors voilà, l’idée de l’avortement s’impose d’elle-même. Pas question d’être mère une nouvelle fois.

L’IVG, une expérience passablement désagréable.

J’ai fait ce qu’il fallait, rendez-vous pris en urgence à l’hôpital. Quand le médecin m’annonce qu’il y a un délai légal d’une semaine pour “réfléchir” avant d’avorter, j’hallucine. Comment ça ? Est-ce qu’il y a une raison qui pourrait me demander d’y réfléchir ? Regardez ma vie, vous ne pensez pas que ça suffit ? J’ai assez donné non ?

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Après j’ai compris. Encore un problème de femmes tarées… Elles sont si fragiles et si faibles qu’elles ne peuvent pas prendre une décision aussi grave en 5 minutes. Non, il lui faut 7 jours. 7 jours interminables. Parce qu’être en début de grossesse, c’est très désagréable. C’est un peu comme une maladie, un genre de sale grippe ou une gueule de bois, la fatigue, les nausées…

Je me suis beaucoup interrogée par la suite. Pourquoi ne propose-t-on pas ce délai de 7 jours à une femme qui se découvre enceinte pour décider si elle veut vraiment et en connaissance de cause devenir mère. Je propose qu’elle rencontre, à leurs domiciles, deux ou trois mères de familles. Pour éviter les partis pris, il faudrait différents profils de mamans. Pourquoi pas une sélection comme de ce style : une femme au foyer épanouie et passionnée par ses enfants, une entrepreneuse freelance qui jongle entre les emplois du temps et une mère indigne qui clame ouvertement que si elle avait su, elle n’aurait jamais eu de rejeton. Ce serait un petit stage en immersion qui s’appellerait : « découvre ce qu’est REELLEMENT le quotidien d’une maman ». Pas de maquillage, pas de montage, juste la vraie vie, histoire de prendre une décision mûrement réfléchie. Être mère, ce n’est pas facile tous les jours et une fois que tu décides de donner naissance, tu prends perpète. Il n’y a pas de période d’essai ou du satisfaite ou remboursée. La maternité est encore un peu trop idéalisée à mon goût, rien ne vaut un bon vieux stage.

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Cette façon de voir les choses est très personnelle et n’engage que moi mais je trouve qu’il est plus grave de choisir de garder un enfant alors qu’on n’en est pas capable, que d’avorter. Une femme qui se trouve enceinte sans en avoir vraiment envie ou sans être prête devrait y réfléchir à deux fois. Concevoir un enfant, est ce qu’il y a de plus facile (quand la chance est avec nous), la suite est bien moins fun.

Avoir un enfant alors qu’on n’est pas capable de s’en occuper, c’est grave, pour la mère, pour l’enfant et pour la société qui va devoir pallier. Celle qui choisit d’avorter alors qu’elle aurait préféré ne pas le faire aura toute la vie devant elle pour faire un enfant. Celle qui mène à terme une grossesse non désirée, passera sa vie entière à s’en vouloir, à en vouloir à l’enfant et aura tout le loisir de lui faire payer d’être né.

J’ai passé cette satanée semaine à attendre qu’elle passe pour pouvoir en finir avec ces symptômes. Psychologiquement ces sept jours ont été pourris. Parce que forcément j’ai cogité. Mes enfants sont si parfaits. Pourquoi pas un autre ??? Et puis la raison revient, je ne peux pas parce que trois c’est bien, c’est du boulot, je ne les ai pas mis au monde pour ne pas les élever correctement. Comment leur donner du temps que je n’aurais plus si la fratrie s’agrandit. Je ne veux pas non plus subir une autre grossesse alors que les précédentes m’ont déjà bien abîmée. Je voudrais pouvoir courir à 60 ans sans me prendre les pieds dans ma vessie ou être obligée de porter une couche au quotidien. En plus, je n’ai pas d’argent, je suis fatiguée… Il n’y a pas si longtemps j’étais jalouse de mon mari alité, cloué au lit par une infection pulmonaire. Rendez-vous compte, il a passé une semaine complète au lit, il pouvait dormir, lui au moins.

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La personne a l’origine de ce délai de réflexion était forcément un homme. Il ne l’avait visiblement pas utilisé avant de pondre un truc pareil. Heureusement, depuis 2015, ce n’est plus vrai, ce délai a été supprimé. Ça y est, on reconnait aux femmes la faculté mentale de choisir ce qu’elles veulent faire de leur corps et de leur utérus.

Sept ans après, que sommes-nous devenus ?

Après sept ans, j’ai suffisamment de recul pour dire merci aux 343 salopes du manifeste de 1971. Merci d’avoir contribué au changement. Merci parce que grâce à vous, aujourd’hui je n’ai “que” trois enfants. Chacun d’eux étaient désirés, attendus et tout ce qui va avec. Je trouve toujours que le métier de mère est le plus difficile mais je ne m’en sors pas trop mal.

Je peux vous dire aujourd’hui que si c’était à refaire je le referais sans hésiter. Je ne vois pas comment j’aurais pu gérer un môme de plus. D’autant que depuis, j’ai divorcé et Mr a complètement déserté. J’apprécie immensément les voir grandir encore et encore, devenir autonomes et avoir de moins en moins besoin de moi. Pour ce qui est de la contraception, trois mots suffisent : vive la stérilisation. Cependant, la meilleure méthode contraceptive, selon moi, reste le lesbianisme, au moins pas de prise de tête. Je vous encourage d’ailleurs toutes à envisager cette possibilité (lol).

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NB : ce témoignage n’engage que moi, mon avortement ne m’a pas traumatisée et je ne le regrette absolument pas. Je ne dénigre en aucun cas toutes celles qui en ont subi et restent marquées par l’expérience.

NB2 : Je parle d’un point de vue évidemment centré sur la mère, compte tenu du sujet. Toutefois, je suis capable d’admettre que dans certains cas, les pères s’occupent autant de leurs enfants que leur femme mais nous savons tous qu’il s’agit encore de « certains cas rares », hélas.