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J’ai assisté à une conférence climatosceptique
Débattre de la réalité du changement climatique est, pour moi, assez intrigant : la température de la Terre augmente, les phénomènes météorologiques extrêmes se multiplient – incendies au Canada et à Hawaï, inondations en Grèce et en Lybie –, les scientifiques du monde entier sont en alerte. Comment pourrais-je avoir un avis là-dessus ?
Il ne s’agit pas de déterminer si le violet me va bien au teint ou si Barbie est meilleur qu’Oppenheimer. Ce sont des faits vérifiés.
C’est justement pour me pousser dans mes retranchements que j’ai décidé de me rendre au colloque « Le réchauffement climatique : fraude ou réel danger ? » organisé par le blogueur québécois Samuel Grenier, au lieu de rester chez moi à regarder Netflix.
Même si, soyons honnêtes, j’avais quelques préjugés après avoir vu la liste des participants.
À l’animation, la militante anti-mesures sanitaires Julie Lévesque, condamnée en mars dernier pour refus du port du masque en 2021. Elle se définit depuis comme journaliste indépendante. Puis un panel d’hommes bien connus du public francophone : le chercheur indépendant sur le climat Carlos Ramirez; le journaliste et fondateur du média indépendant Libre Média Jérôme Blanchet-Gravel, pourfendeur de « l’écologisme totalitaire »; l’ancien présentateur télé et « journaliste à abattre » (c’est le titre de son livre) Richard Boutry; le docteur en physique Alain Bonnier, signataire d’une lettre sur l’absence d’urgence climatique; et last but not least, le seul climatologue ayant accepté de participer au débat, le professeur Philippe Gachon, spécialiste en hydroclimatologie à l’UQAM.
« Tu entres dans la résistance ! »
Il est donc presque 13h lorsque j’arrive dans un cinéma de Montréal où se déroule cette conférence.
À mon arrivée dans la salle 2, surprise : c’est plein à craquer. Je parviens à trouver une place à côté de Bernard* et son épouse Sylvie*, qui sont des habitués. « Tu entres dans la résistance ! », me lance discrètement le premier, sourire aux lèvres. Car il faut savoir que Bernard, à l’image d’une grande partie du public, n’est pas seulement hostile aux théories concernant le réchauffement climatique. Il réfute aussi les mesures sanitaires prises pendant la période de COVID-19 et l’utilité des vaccins. Toutes les personnes que j’ai rencontrées ce dimanche ont d’ailleurs initié leur « éveil » il y a 3 ans, en 2020.
Ah, j’oubliais : le mot « conspirationniste » est banni, ici.
Tout comme les termes « complot » et « climatosceptique ». « Après le KKK, voici le CCC ! », ironise Julie Lévesque lors de son introduction, devant une salle charmée.
Cette blague n’est pourtant pas à prendre à la légère : si le public est si nombreux aujourd’hui, c’est bien parce qu’il a le sentiment de n’être entendu nulle part ailleurs. « Les médias veulent nous exterminer », me glisse d’ailleurs ma voisine de droite.
Selon Julie Lévesque, les médias mainstream véhiculent l’idée qu’aucun débat n’est possible avec les complotistes. « Mais il est où le débat, aujourd’hui ? Il est ici et c’est nous qui l’organisons ! »
Les photos et vidéos sont tout de même interdites, au même titre que les accréditations presse – je suis donc ici incognito.
Drones, lasers et Bill Gates
Comme prévu, plusieurs des théories évoquées, sur scène ou dans le public, pendant ces cinq heures de conférence me laissent perplexe : les incendies au Canada auraient été délibérément allumés par des drones et des lasers, Bill Gates nourrirait un projet mondial en finançant dans un altruisme de façade l’OMS et l’ONU, il suffirait d’un parasol géant déployé dans l’espace pour abriter la Terre des rayons du soleil et ainsi faire baisser la température au sol (solution défendue sur scène par le physicien Alain Bonnier, mais désavouée par Jérôme Blanchet-Gravel) ou encore que le CO2 n’est pas une cause du réchauffement climatique.
Mais ce n’est pas ce que je retiendrai de ce dimanche après-midi inédit.
Laissant de côté les étalages d’argumentaires de chaque intervenant – y compris le climatologue Philippe Gachon qui, s’il n’a pas été hué, loin de là, n’en a pas moins été épargné pour autant – je décide d’en savoir un peu plus sur mes voisins de siège.
« C’est bien de voir une jeune ici, on est toujours entre nous, d’habitude », m’explique Sylvie*, mère de famille. « Les jeunes sont beaucoup moins éveillés, ils font l’autruche et croient tout ce qu’ils voient à la télé. Moi, j’ai trois enfants, entre 25 et 30 ans, ça ne les intéresse pas de s’informer. »
« Pendant le COVID, on ne pouvait parler ni des mesures, ni de la vaccination, ni de rien. On n’avait pas le droit de dire qu’on était contre les QR codes. Pour eux, on était des complotistes brainwashés… C’était tabou. »
Stigmatisés chez eux, mais aussi dans l’espace public. « Même à la télé, on a été dégradés. On nous a dit qu’on ne croyait pas à la science, mais on la cherche depuis trois ans ! Il y a énormément de désinformation. »
Le couple a donc choisi de s’informer autrement, notamment via le site Les déqodeurs – avec un « Q »comme « QAnon », selon Conspiracy Watch, qui décrit ce média francophone comme étant « ouvertement complotiste, covido-sceptique et antivax ».
« Il y a un débat d’idées, on ne voit pas ça dans les médias »
Ce que vient de me dire Sylvie me fait penser aux mots de Marie-Ève Carignan, co-titulaire de la Chaire UNESCO en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violents, interrogée il y a quelques mois par la journaliste Malia Kounkou dans un sujet sur le conspirationnisme : face à une situation anxiogène, les personnes perméables aux théories du complot cherchent souvent, selon elle, des réponses dans des croyances alternatives pour se rassurer, et s’y perdent.
Or, quelles situations génèrent plus d’anxiété au niveau mondial que la pandémie et le changement climatique ? La défiance dans les médias réunit l’immense majorité des personnes présentes.
« On nous ment » et de tous les côtés : à la télé, au sein des gouvernements et ne parlons pas des rapports du GIEC (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, NDLR), tous à jeter, si j’en crois les réactions épidermiques des spectateurs qui m’entourent lorsque ce mot est prononcé.
Rien, même pas la science, ne serait fiable. Faut-il que les chiffres aillent dans leur sens pour trouver grâce à leurs yeux ? Pourtant, tous ne nient pas le changement climatique.
Dans la file pour aller me chercher un café – cinq heures de débat, c’est long –, je tombe sur Jeanne*, visiblement ravie d’être là : « il y a un débat d’idées, on ne voit pas ça dans les médias. Monsieur Gachon est vraiment brave d’être venu ici, alors qu’on a essayé de le décourager plusieurs fois ! » Je ne peux qu’être d’accord avec elle. Mais cette raisonnable entrée en matière est de courte durée. « Je ne dis pas qu’il n’y a pas de changement climatique, mais il y en a toujours eu, c’est un cycle. » Le climat évolue, c’est dans l’ordre des choses.
Mais si l’on ne peut nier les variations du climat imputables à la « nature », et donc à l’évolution de l’inclinaison de la Terre, sa rotation autour du soleil et le changement d’axe de sa rotation, le GIEC a été clair dans son rapport de 2014 sur le caractère inédit du changement climatique auquel nous faisons face : « Le réchauffement du système climatique est sans équivoque et, depuis les années 1950, beaucoup de changements observés sont sans précédent depuis des décennies voire des millénaires ».
En finir avec le citoyen-bashing
Certes, la pollution existe et nous avons tous notre rôle à jouer pour préserver la planète, mais Jeanne n’en peut plus des discours culpabilisateurs à longueur de journée. « C’est comme une espèce de panique qu’on essaie d’instaurer. On essaie de nous faire porter le chapeau, mais à un moment donné, si les grandes fortunes ne se posent pas de questions en utilisant leurs avions, pourquoi on devrait ? »
Touché.
La culpabilisation à outrance des citoyens revient beaucoup sur la table depuis que je suis arrivée : pourquoi devrions-nous faire des efforts et se priver à notre petite échelle, alors que les 1 % les plus riches et puissants de la planète s’en tamponnent de leur empreinte carbone ? « Ça n’a pas de sens, on n’est pas coupables de ce qui arrive à la Terre et on ne sauvera pas la planète tous seuls. Il faut que tous les pays montrent l’exemple. »
Jeanne veut des solutions plutôt que de la dépression. Et elle les trouve dans les contenus de Samuel Grenier, qu’elle suit assidûment.
Si je suis arrivée à ce colloque avec la certitude que j’allais vouloir fuir au bout de 5 minutes, je ne m’attendais certainement pas à prêter une oreille attentive à certaines personnes, comme Stéphanie*. Cette éducatrice m’a même affirmé être écolo. Mais elle ne veut pas d’une écologie punitive qui réduirait ses libertés.
« C’est toujours de notre faute. Je pense que le narratif médiatique est dirigé contre nous », m’assure-t-elle en soulignant l’importance de ce débat « éducatif, intéressant », pour se questionner.
« Que ce soit au niveau médical ou climatique, on a tous un travail à faire. » Mais elle non plus ne croit pas à l’urgence climatique.
De ces quelques heures, je ne repars pas avec de nouvelles certitudes quant à la réalité ou non du changement climatique. J’aurais toutefois compris pourquoi certaines personnes étaient présentes : face à des événements angoissants et qui nous dépassent, il peut être tentant de chercher une raison ailleurs, une vérité qui nous rassure un peu.
Mais je ne suis pas persuadée que ce dimanche après-midi ait fait se questionner l’auditoire. Les personnes auxquelles j’ai pu parler avant et après semblaient même confortées dans leurs vérités, ravies d’avoir pu voir, une fois de plus, « leurs journalistes » parler librement.
Selon un sondage réalisé en temps réel, au début puis à la fin du débat, 68 % des personnes présentes se disaient au départ convaincues que le changement climatique est un fait naturel et donc non imputable aux activités humaines.
Elles étaient 78 % à l’issue de la journée.
*Les prénoms ont été modifiés.