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« En ce moment, on a le fameux projet de loi sur le séparatisme à l’Assemblée. Il faudrait faire quelque chose, je pense. J’ai rencontré un député ce matin à ce sujet. En tant que musulman, c’est un scandale tout ce qu’il y a, d’autant plus que la loi est devenue un fourre-tout. »
J’ai écrit ça à Daisy, notre rédac chef, le 21 janvier dernier. Je voulais alors écrire une tribune sur la loi « confortant les principes républicains » qui était en débat à l’Assemblée nationale. Quelques heures avant, j’avais aussi participé à une réunion organisée par un député de gauche avec des responsables religieux locaux.
« À chaque fois que le débat sur la laïcité revient sur le devant de la scène, c’est sous forme de polémique pour stigmatiser l’islam et les musulmans », annonce cet élu de la République au début de la rencontre. Il assure qu’il veut jouer son rôle de député contre cette loi et que ça lui tenait à cœur de rencontrer les personnes concernées dans sa circonscription.
S’en suivra une succession de témoignages qui traduisent comment l’islamophobie s’est installée en France ces deux dernières décennies : la difficulté d’assumer pleinement sa foi, la diabolisation du voile qui marginalise des femmes musulmanes, le tapis rouge déroulé à l’extrême-droite dans les médias, « le problème des musulmans » de Manuel Valls, les « signaux faibles » de Castaner…
On en est quand même arrivé au point où on a eu une polémique sur le burkini au mois de janvier.
Personnellement, c’était difficile d’écouter ces hommes et ces femmes d’un certain âge qui ont vu ce pays les rejeter pour ce qu’ils sont : des musulmans pratiquants. C’était difficile parce que cela peut raviver des traumas : c’est un récit qui est violent, que l’on vit au quotidien depuis des années et qui s’intensifie d’années en années. On en est quand même arrivé au point où on a eu une polémique sur le burkini au mois de janvier.
Gérald Darmanin, Marlène Schiappa et autres Jean-Michel Blanquer qui se sont appropriés la sémantique d’extrême-droite : reprise des termes “islamo-gauchistes” et “ensauvagement”, enquête sur les certificats d’allergie au chlore, remise en question de la recherche universitaire, débat sur les certificats de virginité et la polygamie. Toute cette énergie et ce temps passés à stigmatiser une population jusqu’à qualifier Marine Le Pen de “molle” alors que le pays vit une crise sanitaire et économique inédite. Ces ministres ont installé leurs thématiques nauséabondes. L’opinion publique et le tempo politique est désormais dicté par une succession de déclarations de plus en plus scandaleuses qui banalisent l’islamophobie.
Face à ce discours clivant, il faut répliquer et occuper les médias. C’est ce que j’attends d’hommes et de femmes politiques dits progressistes. Certes, j’ai face à moi un député qui est là pour recueillir les doléances, se montrer compréhensif, dire qu’il n’est pas d’accord avec ce projet de loi… Mais pour quelles actions ? Je lui ai fait part de mon scepticisme et que j’attendais une réelle mobilisation de la gauche sur le sujet. Ce qui était le plus frustrant, c’est que je savais très bien que je participais à une rencontre qui ne servirait à rien concrètement.
Pour rappel, lorsqu’on a demandé à François Ruffin s’il allait marcher contre l’islamophobie, le député Insoumis avait répondu : « Je n’irai pas dimanche, je joue au foot. » Qu’en est-il de mon député ? Un mois après notre rencontre, son groupe s’est abstenu lors du vote de la loi. Pour citer un grand philosophe : « Je ne m’attendais à rien, mais je suis quand même déçu. »
Aujourd’hui, je suis tout simplement fatigué. Fatigué de voir le discours d’extrême-droite repris par des ministres. Fatigué qu’on laisse des racistes s’exprimer quotidiennement à la télévision.
Aujourd’hui, je suis tout simplement fatigué.
Fatigué qu’on ne puisse pas pleinement assumer sa foi et ses pratiques en France.
Fatigué de ces lois sexistes et islamophobes qui tuent les carrières de femmes brillantes parce qu’elles ont décidé de porter un voile.
Fatigué pour ma mère qui n’a pas le droit d’être dans certains lieux si elle ne retire pas son foulard qui fait pourtant partie de son identité.
Fatigué d’être sur mes gardes quand je fais ma prière dans un parc alors qu’une personne qui fait du yoga peut avoir l’esprit tranquille.
Fatigué qu’on impose une charte aux imams qui doivent montrer patte blanche et assurer que la France n’est pas un pays islamophobe sous peine de fermer leur mosquée.
Fatigué d’expliquer ce qu’est véritablement la laïcité.
Fatigué de voir le discours d’extrême-droite repris par des ministres.
Fatigué qu’on laisse des racistes s’exprimer quotidiennement à la télévision.
Fatigué qu’on nous infantilise.
Fatigué qu’on nous demande si on est Charlie, si on préfère la République à Allah, si on a bien condamné tel ou tel acte terroriste.
Fatigué de devoir écrire cet article parce que j’ai aussi l’impression de ne servir à rien.
Heureusement, d’autres ont plus de force que moi pour se mobiliser. Des associations et des collectifs se sont mobilisés pour faire front face à l’islamophobie. Une manifestation est prévue le 21 mars un peu partout en France, deux mois après ma rencontre avec le député. J’y serai. On verra bien s’il y sera présent ou s’il compte s’abstenir pour faire un foot avec François Ruffin.