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Insta-psycho: quand Instagram révèle ses pépites de bien-être
Récemment, une enquête du Wall Street Journal révélait que la direction de Facebook serait consciente des effets néfastes d’Instagram sur la santé mentale de certain.e.s ados. Par « effets néfastes et toxiques », on fait référence, entre autres, à la manière dont certains filtres qui modifient les traits corporels jouent un rôle sur l’estime de soi. En effet, les images projetées sur les réseaux sociaux peuvent mener à des troubles alimentaires et même à des symptômes dépressifs et des pensées suicidaires.
Selon le Wall Street Journal, il existerait un lien de corrélation spécifique aux problèmes de santé mentale observés chez les jeunes utilisant la plateforme. Puisqu’Instagram est essentiellement un média d’images, les chercheurs et chercheuses ont déterminé que le réseau social exacerbe bel et bien la tendance à se comparer sur le plan de l’apparence, du succès et de la richesse.
De son côté, Facebook offre une interprétation moins alarmante de la situation et estime que le portrait est à la fois beaucoup plus nuancé et complexe. N’empêche, la compagnie reconnaît que tout n’est pas rose au pays IG. Mais tout n’est pas noir non plus.
Un acte de résistance
« Instagram peut avoir des effets négatifs sur l’estime de soi et sur la perception que l’on a de nous-même. Ça peut être une bonne idée de diversifier son fil d’actualité pour y intégrer des choses qui nous font du bien », me répond d’emblée Geneviève Beaulieu-Pelletier, psychologue, conférencière et professeure, lorsque je lui parle du compte Instagram de Dr. Jenn Hardy, une psychologue américaine établie à Maryville dans le Tennessee.
« ça nous ramène dans le moment présent quelques secondes, et surtout, ça nous ramène à soi. »
Toutes les semaines ou presque, Dr. Jenn Hardy publie des conseils, des réflexions et des pensées écrites à la main sur des post-it colorés. Chaque fois que je tombe sur l’une de ses publications, je prends le temps de la lire, d’y réfléchir un instant et de voir en quoi je me sens concernée ou non.
« C’est là que ça devient intéressant, quand on s’arrête pour poser un regard sur soi, confirme Geneviève Beaulieu-Pelletier. Nos fils d’actualité sont pleins d’images qui peuvent parfois nous confronter, alors quand on tombe sur une publication qui semble s’adresser à nous, nous donne un conseil pour notre journée ou notre vie, ça nous ramène dans le moment présent quelques secondes, et surtout, ça nous ramène à soi. »
Pour la psychologue, des comptes Instagram comme celui de Dr. Jenn Hardy peuvent jouer un rôle de contrepoids par rapport à toutes les images qui créent de l’anxiété, comme l’indique l’enquête du Wall Street Journal.
Seul.e.s ensemble
« Personnellement, je suis abonnée à trois ou quatre comptes de ce type et j’aime vraiment ça », me confie Marie-Eve, une amie qui, tout comme moi, fait partie des 127 000 abonné.e.s de la page de la psychologue et créatrice de contenu.
Selon ses dires, Marie-Eve entretient un rapport plutôt sain aux réseaux sociaux, mais affirme parfois ressentir la tentation de se comparer. Sentiment d’inadéquation, remises en question, la jeune trentenaire est déjà passée par-là. « Je suis des comptes un peu plus artistiques qui donnent des conseils, mais ce que j’aime d’un compte comme celui de Jenn Hardy, c’est que c’est une psychologue, alors c’est comme si ça me donnait confiance en ce qu’elle dit. »
« quand on tombe sur une phrase au “tu” ou au “vous” qui nous donne un conseil bienveillant, c’est presque comme si un.e ami.e entrait en contact avec nous. »
En effet, le titre de psychologue confère une certaine légitimité à Dr. Jenn Hardy, ce que Geneviève Beaulieu-Pelletier reconnaît également. « C’est sûr que comparativement à des pages plus impressionnistes, on sent que les messages publiés par une psychologue ou un.e professionnel.le des sciences humaines sont souvent plus élaborés, moins génériques, remarque la professeure associée. Selon moi, on se reconnaît davantage dans un conseil précis plutôt que dans une phrase qui semble toute faite ou cliché. »
Geneviève Beaulieu-Pelletier, qui a énormément travaillé sur les impacts de la pandémie et de l’isolement sur la santé mentale, me fait également remarquer que des publications de ce type brisent justement la solitude le temps de quelques secondes. « Quand on fait défiler son fil d’actualité, on est souvent seul.e, remarque-t-elle. Alors quand on tombe sur une phrase au “tu” ou au “vous” qui nous donne un conseil bienveillant, c’est presque comme si un.e ami.e entrait en contact avec nous. »
Doublée du fait que certains créateurs et certaines créatrices privilégient l’écriture manuscrite, l’impression du contact personnalisé est exacerbée. « C’est presque comme si on nous passait un petit papier en classe ! », indique Geneviève Beaulieu-Pelletier, amusée par sa métaphore.
Et Marie-Eve va dans le même sens. « Quand je vois une publication du genre, je vais parfois remarquer qu’un.e ami.e abonné.e au même compte a aimé le même post que moi. Donc en plus de prendre un moment pour réfléchir à ce que je ressens à la lecture de la publication en question, je pense à mon ami.e du même coup. Ça crée une petite bulle sympa et ça nous rapproche, d’une certaine manière. »
Ce n’est pas de la thérapie, c’est Instagram
Heureuse de constater que les publications d’une professionnelle de la santé circulent autant et ouvrent ainsi un dialogue sur la question de la santé mentale, Geneviève Beaulieu-Pelletier attire toutefois mon attention sur la description du compte de Dr. Jenn Hardy.
« Il ne faut pas voir ces phrases comme des recettes magiques ou comme des guides à suivre aveuglément […] ça ne règle pas tout. »
« Tu remarqueras qu’elle écrit “This isn’t #therapy. It’s Instagram” (traduction libre : Ce n’est pas de la thérapie, c’est Instagram). Et ça, c’est très important de se le rappeler, insiste l’experte. Oui, ça peut aider d’entendre qu’on est “assez” un jour où on se sent peut-être inadéquat.e. Ou alors de lire une phrase qui nous renvoie à nos relations interpersonnelles, nous indique de prendre soin de nous ou encore de prendre une pause. Mais ça ne règle pas tout. »
Pour la spécialiste, les publications à caractère psychologique peuvent constituer un bel outil pour se reconnecter à soi-même, mais elles ne remplaceront pas une thérapie ou une prise en charge professionnelle si nécessaire. « Il ne faut pas voir ces phrases comme des recettes magiques ou comme des guides à suivre aveuglément », précise-t-elle, en ajoutant qu’il ne faut pas non plus tomber dans une dynamique culpabilisante. « Si le message nous indique de prendre du temps pour soi, mais que ce n’est pas possible ou pas réaliste dans l’immédiat, il ne faut pas se sentir mal de ça. »
Geneviève Beaulieu-Pelletier ajoute qu’à une époque où le bonheur est présenté comme un idéal à atteindre coûte que coûte, il est important de bien doser sa consommation de comptes à saveur psychologique, psycho-pop ou de type “croissance personnelle”.
« De toute façon, si on en voit trop passer sur nos fils d’actualité, ça n’aura plus vraiment d’impact, pense l’experte. Mieux vaut bien choisir les quelques pages qui nous parlent réellement et les voir comme des outils complémentaires dans toutes les habitudes que l’on prend pour se sentir bien au quotidien. »
Et c’est vrai qu’à une époque où l’accès aux soins en santé mentale est plus difficile et onéreux que jamais, si saupoudrer son fil d’actualité de petites bulles de douceur peut aider, why not.