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Incursion dans une semaine de la mode à Paris
Courir de castings en castings. Se faire comparer aux plus beaux hommes et femmes venus des quatre coins du monde. Attendre des heures pour finalement à peine se faire regarder ou se faire insulter. Se faire dire qu’on est trop gros.se, trop moche, trop petit.e, trop poilu.e (du moins, pas dans mon cas)…
Tout cela, on l’a souvent entendu. On s’imagine que ce sont les coutumes dans l’univers de la mode. Je suis peut-être simplement chanceuse, mais mon expérience est plutôt différente.
Oui, depuis que je suis modèle, c’est vrai qu’on m’a souvent dit de perdre du poids. Oui, j’ai dû faire face à des commentaires et des avances totalement déplacés de certains photographes. N’empêche, ce n’est pas du tout ce qui définit mon parcours jusqu’à maintenant.
De toute façon, est-ce vraiment pertinent d’associer un genre à un vêtement ?
On entend souvent parler des histoires d’horreur, mais j’ai plutôt envie de vous amener avec moi dans les coulisses du métier pour vous en montrer toutes les facettes, incluant les positives ! Et tandis qu’on y est, vous proposer un regard inédit sur les nombreux événements auxquels on est appelé.e.s à participer, en commençant par la Paris Men Fashion Week, qui se déroulait du 21 au 26 juin.
Une semaine à la course
Ça fait cinq ans que j’évolue dans le milieu du mannequinat, mais c’est seulement depuis la dernière année que je m’y consacre plus sérieusement. Il y a trois mois, j’ai participé à ma première Fashion Week à Paris. J’ai eu la chance de défiler pour Rick Owens, qui a toujours été mon designer préféré pour des raisons qui pourraient couvrir cette page en entier. Des designers comme lui m’ont inspirée à m’affirmer pleinement et à réaliser toute la beauté qu’il y a dans le fait d’assumer son individualité.
Pour en revenir à la Paris Men Fashion Week, c’était donc la première fois que j’étais présente à l’événement. Vous vous posez peut-être la question après avoir vu le mot « men » : oui, beaucoup de femmes participent aussi aux défilés pour homme et vice versa. De toute façon, est-ce vraiment pertinent d’associer un genre à un vêtement ?
Souvent, les fittings se déroulent le lendemain du casting et la veille du défilé. Tout est toujours dernière minute.
J’ai couru de castings en castings toute la semaine. Parce que c’est ça, la vie de modèle dans ces événements : se rendre à des rendez-vous, attendre son tour – comme des centaines d’autres hommes et femmes –, puis marcher devant des directeurs et directrices de casting dans l’espoir de se faire remarquer et, éventuellement, de défiler. Les mannequins peuvent refaire l’exercice jusqu’à dix fois par jour durant la Fashion Week.
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Lorsqu’on est sélectionné.e, on passe aux fittings. Les vêtements sont alors essayés sur les modèles pour juger si l’individu met bien en valeur la collection et décider s’il pourrait potentiellement participer au défilé. Souvent, les fittings se déroulent le lendemain du casting et la veille du défilé. Tout est toujours dernière minute dans cette industrie.
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Jamais rien de gagné
Plusieurs croient que c’est facile d’obtenir du travail pendant la Fashion Week et que les mannequins s’envolent pour cette fameuse semaine en sachant déjà qu’ils et elles marcheront pour plusieurs grandes marques. En vérité, les choses sont beaucoup plus compliquées. Les modèles viennent de partout dans le monde en espérant être choisi.e.s pour un grand défilé, mais nombreux sont ceux et celles qui repartent bredouilles.
Comment ça s’est passé pour moi ? Honnêtement, ma semaine n’était pas trop concluante et je vivais une montagne russe d’émotions. Je n’avais aucun retour positif.
Puis, une directrice de casting m’a remarquée dans le métro et m’a demandé de me présenter au casting d’une marque anglaise appelée Mowa Lola. C’est ce que j’ai fait et on m’a rappelée le jour suivant pour le fitting.
Une directrice de casting m’a remarquée dans le métro et m’a demandé de me présenter au casting d’une marque anglaise appelée Mowa Lola.
On pourrait penser que si le fitting se passe bien, c’est dans la poche, qu’on se rendra jusqu’au défilé. Mais même à cette étape, rien n’est gagné. En fait, les marques peuvent décider de retirer un.e mannequin tant qu’il ou elle n’est pas physiquement en train de défiler. J’ai même déjà rencontré un modèle qui a été coupé à la toute dernière minute, alors qu’il était en ligne en attente du début de l’événement, maquillé, coiffé, habillé, prêt à marcher.
Heureusement, ce scénario catastrophe ne s’est pas produit : j’ai pu participer au défilé. La semaine ne s’est donc pas soldée par un échec.
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Mode d’expression
« Burglar wear » (« vêtements de cambrioleurs ») : c’est le nom que la créatrice a donné à sa collection. À travers ses vêtements, elle dénonçait le vol, notamment dans les sphères de la société qui ont historiquement été plus valorisées ou mises sur un piédestal, comme le milieu des affaires et ses fraudeurs en habits ou même les communautés religieuses, qui ne sont pas à l’abri de scandales financiers. Quel visage ont ces voleurs ? Derrière quels artifices se cachent-ils ? Lors du défilé, cette prise de position s’incarnait de façon percutante dans la diversité du casting et dans les masques inclus dans la collection.
Voilà pourquoi les défilés représentent, selon moi, l’une des plus belles formes d’art. Ils donnent un pouvoir d’expression immense aux designers, qui peuvent mettre en lumière des enjeux de société ou dénoncer certaines situations. C’est un mélange de plusieurs formes artistiques, la rencontre de la musique, de l’art visuel, du mouvement et de la performance. Plusieurs designers incluent aussi des références cinématographiques frappantes.
Lorsqu’on prend un moment pour s’intéresser à cet univers et à réfléchir à tout ce qui peut être exprimé à travers un défilé, l’événement devient beaucoup plus significatif qu’une simple parade.
Alopécie
L’univers de la mode a ses mauvais côtés, certes, mais il est aussi fait de beauté et de passion. Pour moi, le mannequinat, c’est autant une manière de m’exprimer artistiquement qu’un médium pour faire connaître l’alopécie, cette condition immunitaire qui fait en sorte que mon système s’attaque à mes cheveux, mes cils, mes sourcils et mes poils, bien que je sois en parfaite santé.
Pour moi, le mannequinat, c’est autant une manière de m’exprimer artistiquement qu’un médium pour faire connaître l’alopécie.
C’est extrêmement difficile de percer dans l’industrie avec un look aussi spécial. Les marques recherchent souvent des mannequins à qui leur clientèle peut s’identifier facilement. Je ne peux pas les blâmer, mais ayant moi-même recherché toute ma jeunesse quelqu’un à qui m’identifier dans les magazines ou les publicités, je ne compte pas arrêter d’essayer tant qu’il ne soit pas normal de voir des mannequins chauves. Je crois que c’est comme ça que les gens cesseront d’associer un look à une maladie.
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Les modèles sont souvent considérés comme des cintres. Par contre, je crois qu’on devient un cintre seulement au moment où on se réduit soi-même à cela. Il y a toutes sortes de profils intéressants dans ce milieu, loin des préjugés qu’on peut avoir sur celles et ceux qui pratiquent ce métier.
Par exemple, plusieurs modèles, comme moi, ont fait des études universitaires et profitent de cette magnifique opportunité pour voyager, grandir et connecter avec des gens incroyables durant leur vingtaine.
On peut aimer se faire prendre en photo sans nécessairement n’avoir rien dans le crâne. On peut voir les photos comme une manière de canaliser les personnalités et les idées pour raconter une histoire ou transmettre un message. Le 9 à 5 peut attendre. Ce genre d’expérience, non.