.jpg)
Ils vécurent heureux et eurent beaucoup… de tendresse dans leur rupture
« Quand je suis repassée dans l’appartement pour prendre mes dernières affaires, il n’était pas là. Mais sa musique, elle, jouait dans le haut-parleur. Sur la table, une lettre remplie de mercis. Merci pour les 2555 jours ensemble. Il les avait comptés. J’en ai pleuré tellement c’était doux. »
Cette histoire, je l’ai sûrement racontée cinquante fois pour expliquer à mon entourage en une image comment s’était passée ma séparation. Et plus je la racontais, plus on me regardait de travers. Une question suivait implacablement : « Mais… ça va ou pas ? »
Comprendre ici : « Je n’ai jamais vu ça, est-ce qu’elle nous dit vraiment tout ? Ça ne se peut pas une rupture aussi tendre. » C’est ce qui m’a fasciné : comment une rupture tendre pouvait davantage surprendre qu’une rupture avec colère et mépris* ? À cette question, on m’a répondu en chœur : « Parce que c’est rare, on n’est pas habitué.e à entendre ce genre d’histoire. »
Force est de constater que les associations spontanées qui reviennent sur le sujet de la séparation sont souvent les mêmes : drames, cris, batailles, pleurs, porte qui claque, personne à ramasser à la petite cuillère, destruction. D’ailleurs, d’après l’échelle de mesure du stress établie par les psychiatres Thomas Holmes et Richard Rahe, seul le décès d’un.e conjoint.e peut causer un plus grand stress qu’une rupture ou qu’un divorce. Avant le fait d’aller en prison, qui se retrouve en quatrième position ! Alors évidemment, parler de « rupture tendre » sonne plutôt comme un oxymore.
Toutes ces représentations répétées et amplifiées se sont nichées dans notre inconscient et notre propre système de croyances
Probablement parce que les fins de relations racontées dans la culture populaire relèvent plus souvent du mélodrame que du moment bienveillant. Prenons l’exemple des films et séries que l’on binge, plus précisément les premières histoires avec lesquelles on a été bercé ; il s’agit de love stories à la fin très binaire : happily ever after ou déchirement toxique.
Dans l’épisode « Just Divorced » du podcast Quoi de meuf, les animatrices mettent le doigt sur cette tension : « Soit ils vécurent heureux ou [soit on voit une] dissection d’une situation dramatique et toxique, et je trouve qu’il n’y a pas trop d’entre-deux. » Comme si cette alternative n’était même pas envisageable, tant elle est très peu montrée.
Crazy Stupid Love
Toutes ces représentations répétées et amplifiées se sont nichées dans notre inconscient et notre propre système de croyances. La preuve avec une étude de l’Université du Michigan qui a étudié comment les films et les séries influencent notre vision des relations romantiques.
Résultat (évident) : l’idéalisation de l’amour est plus importante pour quelqu’un qui a regardé beaucoup de films romantiques comme Crazy Stupid Love ou 500 Days of Summer. Et plus on regarde des séries où les personnages datent plusieurs partenaires le long de l’histoire, plus le niveau d’idéalisation baisse. Ce qui veut dire que l’on croit moins en l’idée du fameux The one, l’âme sœur à qui nous serions supposé.e.s être tou.te.s destiné.e.s.
Je me suis moi-même posé la question quand est venue la fin de mon histoire. Sans colère ni venin, nous sommes-nous vraiment aimé.e.s ?
Nous avons tendance à comparer nos relations avec celles que nous avons déjà vues et entendues. Donc forcément, qu’il s’agisse de débuts passionnels ou de fins déchirantes, ces récits d’amour influencent nos perspectives et nos façons de vivre nos propres histoires.
À l’écran, on surinvestit le début et la fin. Le début « véritable », censé être tout feu tout flamme et passionnel, est devenu petit à petit un signal culturel du vrai amour. Alors il mérite une fin à l’image du début : intense. Comme si la vraie preuve de s’être aimé.e.s était de se déchirer.
Ce raccourci, on ne l’a jamais vraiment questionné. Je me suis moi-même posé la question quand est venue la fin de mon histoire. Sans colère ni venin, nous sommes-nous vraiment aimé.e.s ? Mon ancien amoureux m’a réconciliée avec ce questionnement en une phrase qui a fait toute la différence pour moi : « Je veux qu’on termine notre histoire comme on l’a vécue. » Ce qu’il voulait dire : « avec douceur et bienveillance ». Je suis immédiatement sortie de mon brainwashing culturel.
Le début d’un temps nouveau
Une séparation possède autant le pouvoir de démolir que d’enrichir.
La rupture tendre constitue aussi une anomalie parce que notre culture associe le bonheur avec le fait d’être en couple, comme dans les comédies romantiques. Mettre fin à une relation est souvent considéré comme un échec, une erreur de parcours. On apprend très tôt que les ruptures ne sont pas souhaitables. Forcément, quand vient le temps de se séparer, la décision est perçue comme un choix navrant et malheureux pour les deux. Alors que, soyons honnête, une séparation possède autant le pouvoir de démolir que d’enrichir.
Pourtant, dans la structure patriarcale actuelle, le modèle de « réussite » prédominant passe encore par le fait d’être dans un couple monogame hétérosexuel. Alors inévitablement, une rupture équivaut à une perte de valeur et de statut sur l’échelle de ce qu’il faut faire pour être bien comme il faut.
Mona Chollet l’explique brillamment dans son livre Réinventer l’amour : « Avoir été sensibilisée au charme de l’amour dès notre plus tendre enfance, faire dépendre une bonne partie de notre valeur de la présence d’un homme dans notre vie peut aussi ajouter de la difficulté de partir ou lâcher l’affaire quand il le faudrait. »
Se « tromper » devient alors dramatique. Quand le but ultime est de rester ensemble forever, la rupture se transforme en déviation. Et la tendresse n’a pas sa place.
on voit souvent la rupture comme une fin, plutôt qu’un début ou l’ouverture d’un nouveau chapitre.
Probablement parce qu’on voit souvent la rupture comme une fin, plutôt qu’un début ou l’ouverture d’un nouveau chapitre. La faute aux émotions négatives qui viennent s’en mêler : qu’elle soit tendre ou non, une séparation reste toujours douloureuse. Pourtant, je me demande ce qu’on aurait à gagner à l’aborder comme un processus actif plutôt que passif. Autrement qu’une fatalité. Au même titre qu’investir dans une relation qui débute, à quel point travailler consciemment sur son dénouement tendre peut-il être contagieux autour de nous pour en inspirer d’autres?
Pour finir de raconter ma rupture tendre, je termine souvent en racontant la fin de sa lettre : « Il avait conclu par : “I know you are rooting for me, as I am rooting for you.” (« Je sais que tu veux le mieux pour moi, comme je veux le mieux pour toi. »
Une façon active de choisir les cicatrices plutôt que les plaies.
Et surtout, une volonté de ne garder que ce qu’il faut pour grandir.
* Je ne parle pas ici d’histoires comportant des violences ou trahisons difficiles.