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Il faut qu’on se parle de M3GAN

Un film qui vous donnera l'envie de jeter votre Google Home à la poubelle.

Par
Benoît Lelièvre
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Dans les couloirs d’Hollywood, il existe une loi non-écrite selon laquelle les films dont les distributeurs souhaitent oublier l’existence ne sortiraient tous qu’au mois de janvier. Après tout, les plus grosses sorties de l’année se font souvent pendant les fêtes, ce qui canalise l’attention des cinéphiles sur plusieurs semaines.

Peu importe ce que vous ressentez envers le nouveau film de la série Avatar (je l’ai vu et c’est meilleur que le premier), vous le préférerez probablement à des navets comme The Bye Bye Man ou encore le triste Jay & Bob Reboot.

Il arrive que les vétérans d’Hollywood se trompent. Parfois, un film à humble budget sans trop d’attentes arrive à tenir les Avatar et Black Panther : Wakanda Forever de ce monde en respect au mois de janvier. Cette année, c’est une poupée robotisée nommée M3GAN qui fait sa place dans les salles… et dans nos cauchemars. Et il faut vraiment qu’on se parle de ce film.

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Personnage terrifiant, film correct

Pour ceux et celles qui ne sont pas encore au courant (ce film est vraiment sorti de nulle part), M3GAN raconte l’histoire de Cady (Violet McGaw), une petite fille de 9 ans, qui part vivre chez sa tante après le décès de ses parents suite à un accident de voiture. La tante en question (Allison Williams, celle qui jouait la petite amie pas cool dans Get Out) est ingénieure dans une compagnie de jouets qui travaille sur un prototype d’intelligence artificielle se voulant être une sorte de jouet ultime.

Une belle idée sur le papier, jusqu’à ce que la tante Gemma donne l’ordre à M3GAN d’assurer la sécurité de Cady à tout prix et que cette dernière en fasse une interprétation plutôt… euh, libérale ?

Parlons tout de suite de l’éléphant dans la pièce, soit du fait que M3GAN soit en quelque sorte la fille spirituelle ou la résurrection non officielle de Chucky, cette poupée maléfique de la série Child’s Play. Alors que l’idée d’une poupée possédée à la suite d’un rituel occulte ne tient plus vraiment la route en 2023, celle d’une innovation technologique qui développe un comportement abusif en interprétant sa propre programmation vient alimenter une peur très contemporaine.

C’est extrêmement cliché à dire, mais M3GAN (le film et le personnage) est un reflet de notre époque. On commence à peine à réaliser que la technologie nous contrôle et non le contraire.

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Depuis la création d’Internet, on commence à ressentir les contrecoups du triomphalisme technologique qui anime l’Occident. Les algorithmes nous enferment dans une perception du monde qui renforce nos biais. Les grandes corporations se servent de nos données personnelles pour bâtir des modèles psychologiques capables de nous espionner et de s’adapter à nos comportements. C’est extrêmement cliché à dire, mais M3GAN (le film et le personnage) est un reflet de notre époque. On commence à peine à réaliser que la technologie nous contrôle et non l’inverse.

Mais la simplicité du message de M3GAN est à la fois une force et une faiblesse, car, bien que le personnage incarne notre peur collective du futur, le film reste rempli de stéréotypes d’horreur et ne laisse pas toujours à cette poupée robotisée aux vagues allures de Mary-Kate Olsen l’espace pour briller.

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Par exemple, un des traits les plus terrifiants de M3GAN est sa capacité à imiter les voix avec juste assez d’autotune pour que ce soit à peine perceptible. Malheureusement, elle n’a pas beaucoup l’occasion de le faire pendant le film, soit parce qu’elle se trouve au bureau de Gemma, soit parce que Gemma explique ses fonctionnalités à quelqu’un d’autre. Elle ne se permet de manipuler, blesser et tuer que pendant quelques scènes-clés, nous donnant à peine un avant-goût de ses capacités.

Ce qui n’est pas une si mauvaise chose, car M3GAN en devient redoutablement efficace, mais le film peut par moment devenir un brin long et prévisible.

Encore et encore, le film se plaît à condamner le culte de la technologie à travers des personnages que vous avez déjà vu, comme le patron inhumain, la voisine qui se mêle de tout, le bureaucrate malhonnête … ce qui peut devenir répétitif. Je suis donc sorti de la salle de projection conquis par le personnage, mais désireux de la voir dans un film plus ambitieux.

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Jason Blum, allié par excellence ?

Un autre aspect intéressant de M3GAN est que le scénario a été écrit par une femme et qu’il met en vedette de forts personnages féminins à côté d’hommes aux rôles périphériques. Hollywood s’auto-congratule beaucoup pour son ouverture à la diversité et ses progrès en représentation à l’écran, mais beaucoup de ces productions sont encore écrites, réalisées et/ou produites par des hommes blancs qui mettent en scène des histoires d’oppressions souvent loin de ce que vivent les minorités en question.

Le personnage a énormément de potentiel, la production met en scène de nouvelles voix et de nouvelles perspectives sur des thématiques qui nous touchent tous et toutes.

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Vous me direz que Jason Blum, le producteur de M3GAN, est un homme blanc et vous aurez raison de le dire, mais il s’agit d’une histoire écrite par Akela Cooper, une femme noire. Et ce n’est pas la première fois que Jason Blum laisse sa place : on se rappellera de son financement de Get Out, premier long-métrage de Jordan Peele, ce réalisateur noir passionné par les histoires racontées du point de vue de sa communauté. Ce genre d’ouverture est favorisé par le modèle d’affaires de sa compagnie, Blumhouse, dans laquelle ne sont faits que des films à petits budgets avec très peu de réalisateurs.rices et de scénaristes connu.e.s.

Même si, artistiquement, le film m’a un peu laissé sur ma faim, toutes les raisons sont bonnes pour aller voir M3GAN au cinéma. Le personnage a énormément de potentiel, la production met en scène de nouvelles voix et de nouvelles perspectives sur des thématiques qui nous touchent tous et toutes… puis un film de 50 millions de profit au box-office avec aucun rôle masculin important, j’trouve ça vraiment cool !

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