Logo

Il faut qu’on parle de Booba : et si on arrêtait de mettre les harceleurs en avant ?

La presse et l’ensemble de son public souffrent-ils d’un syndrome de Stockholm collectif ?

Par
Oriane Olivier
Publicité

Dans une interview vidéo Brut publiée le 13 janvier et visionnée des centaines de milliers de fois, la Youtubeuse Léna Situations s’est réjouie de l’implication de Booba dans la lutte contre les influenceurs malhonnêtes. Un cirage de pompes dans les règles que le Duc de Boulogne s’est empressé de relayer sur Twitter accompagné d’un message de remerciement. L’air de rien, et bien qu’elle attire l’attention sur un enjeu de société dont l’institution judiciaire tarde encore à s’emparer, l’influenceuse aux millions d’abonné.es participe aussi à redorer le blason d’un petit despote des réseaux sociaux.

La brute et les truands

En effet, depuis plusieurs mois, le pitbull des Hauts de Seine s’est trouvé un nouvel os à ronger : le business juteux du dropshipping et ses nombreuses arnaques. Et si, comme le souligne la journaliste Khedidja Zerouali dans un article très fouillé sur les méthodes agressives de B2O paru sur Médiapart en septembre dernier : « Le brutal coup de projecteur apporté par Booba sur ces pratiques a contribué à les sortir de l’ombre » et a également permis l’ouverture d’une enquête pour « pratiques commerciales trompeuses » et « escroquerie en bande organisée ». En effet, lorsqu’il se lance dans un conflit médiatique, le rappeur ne fait pas de prisonniers.

Publicité

Ainsi, quand il prend en grippe Magali Berdah, la fondatrice de l’agence d’influenceurs Shauna Events qu’il accuse de piéger des ados crédules en usant du marketing d’influence, l’artiste multiplie les attaques personnelles et lance sans vergogne sa meute de fans contre la cheffe d’entreprise aux abois. Menaces de viol, de mort et insultes diverses : depuis qu’il l’a prise pour cible, l’agente de stars de la téléréalité et sa famille sont quotidiennement harcelées.

Il n’est pas question ici de nier la litanie des affaires judiciaires dans lesquelles la businesswoman ripou est impliquée (blanchiment d’argent, évasion fiscale, abus de faiblesse, escroquerie en bande organisée…). Mais le cyberharcèlement qu’elle subit n’est pas pour autant justifié. Tout comme le plaisir sadique que Booba déclare ouvertement éprouver à être l’instigateur de ce lynchage auprès de sa communauté.

Publicité

Sans compter que le soudain engouement de l’ex-membre de Lunatic pour la lutte contre ceux qu’ils qualifient d’ “influvoleurs” semble parfois aussi authentique qu’un morceau autotuné. Une croisade contre les forces du mal qui apparaît d’autant plus opportuniste que le rappeur des Hauts-de-Seine sait aussi se montrer magnanime et donner l’absolution à ses copains quand il le faut. Comme lorsqu’il a publiquement apporté son soutien au rappeur Timal, condamné pour actes de cruauté envers son chien.

Alors le nouveau Zorro de Boulbi camoufle-t-il ses vendetta personnelles et son goût de l’humiliation derrière les meilleures intentions ? Lui seul le sait. Toujours est-il que le rappeur aux (presque) 6 millions d’abonné.es n’a jamais vraiment eu besoin de mobile pour tirer sur tout ce qui bouge.

Quand le petit ourson sort les griffes

Qu’il s’agisse de venger la veuve et l’orphelin des dérives du dropshipping, de porter en premier des coups à ses rivaux du rap game ou de sanctionner un ancien collaborateur qui aurait décidé de s’éloigner de sa cour, le Duc a le clash dans le sang. Une inclinaison quasi pathologique pour les duels numériques qui laisse songeur.

Publicité

Et ses premiers souffre-douleur virtuels sont le plus souvent d’autres artistes. Ainsi, quand il ne sous-entend pas que la compagne de Seth Gueko est transgenre (les commentaires transphobes, ça ne mange pas de pain), qu’il ne remet pas en question la virilité de Lomepal avec des remarques qui fleurent bon l’homophobie ou qu’il n’ironise pas sur l’état de santé de la mère de son ancien protégé Damso, B2O accuse ses nouveaux concurrents de déloyauté en s’associant avec ses “ennemis” ou de lui voler des poulains. Toute occasion est bonne à prendre pour faire du buzz à peu de frais sur le talent de ses challengers.

Mais dans l’art de jouer à qui a la plus grosse (communauté), l’échange le plus marquant récemment reste sans doute celui avec Vald qui a bien failli dégénérer en octogone dans les coulisses des dernières Francofolies de La Rochelle. Une altercation dont on retiendra surtout la fuite du rappeur des Hauts-de-Seine, qui a esquivé le combat après avoir lui-même lancé les hostilités sur les réseaux…

Publicité

Mais les attaques en ligne de “Kopp” ne se limitent pas à des artistes connus ou des escrocs notoires. En matière de cyberharcèlement, l’interprète de Scarface se la joue régulièrement parrain de la mafia. Et ses cibles ne peuvent parfois même pas se cacher derrière le paravent de la célébrité et des services de relations publiques pour se protéger des torrents de haine qu’il fait pleuvoir sur eux.

C’est ce que rapporte encore l’article de Médiapart, dans lequel on apprend :

  1. qu’une cuisinière anonyme a dû fermer son compte Instagram après avoir eu le malheur de repartager une story de Magali Berdah s’apprêtant à déguster l’un de ses plats,
  2. qu’un jeune producteur de musique ayant travaillé à ses côté sur l’un de ses précédents albums a dû déménager après que le Duc a décidé de l’humilier publiquement tandis qu’il essayait de fonder son propre label,
  3. qu’une illustratrice a commencé à recevoir des commentaires insultants car elle avait osé demandé à être rétribuée pour l’une de ses oeuvres postée par Booba.
Publicité

B2O les a tout bonnement jeté.es en pâture à la vindicte de ses groupies et s’est réjouit de voir ses victimes en proie aux moqueries et aux tentatives d’intimidation. D’ailleurs, par peur des représailles, aucune des personnes citées dans l’article n’a voulu témoigner sous son vrai nom.

“Bravo Monsieur Zemmour”

Lorsqu’il n’est pas trop occupé à gâcher la vie de toutes les personnes qu’il choisit de clasher, Booba nous livre aussi son point de vue sur de grands sujets de société. Et en dehors du marketing d’influence, son cheval de bataille semble être l’endoctrinement des jeunes sur les questions de genre et l’homosexualité. Une obsession qui revient souvent dans ses prises de position sur Twitter.

Et comme si on n’avait pas déjà assez d’un mascu pathétique pour s’attaquer aux minorités, il n’hésite pas à applaudir Zemmour quand ce dernier fustige l’intervention de collectifs antiracistes et d’associations LGBTQ+ dans les écoles. Un combat courageux qui mérite que l’on s’en empare. A ceci près que personne ne s’est jamais suicidé d’entendre parler de fluidité du genre, au contraire de tous les gamins queer qui s’ôtent la vie chaque année, convaincus que leur orientation ou leur identité ne peut exister qu’entre quatre planches.

Publicité

Le rappeur des Hauts-de-Seine a beau se défendre de toute homophobie ou transphobie rampante, il ne trompe personne quand il s’étonne que l’on qualifie d’homophobe la Loi (une loi récente qui censure les sujets liés à l’orientation sexuelle et l’identité de genre dans les écoles de Floride) ou qu’il s’en prend à Paul Pogba parce qu’il a osé faire la promotion d’une paire de crampons unisexe, accusant le footballeur international d’encourager la non-binarité des genres. Une remarque qui, en plus d’être d’une bêtise abyssale et dénote d’une méconnaissance évidente sur le sujet, montre une nouvelle fois que l’idée fixe de Kopp est ce que chacun.e d’entre nous a entre les jambes.

Publicité

Entre peur et complaisance : pourquoi les médias servent la soupe à Booba ?

Alors c’est bien la peine d’avoir une ligne édito progressiste ou de se prétendre allié.es des LGBTQ+ quand on déroule le tapis rouge à B2O dès qu’il sort un nouvel album. Car à de rares exceptions, comme le journaliste Yérim Sar spécialisé dans le rap et le pure-player Médiapart, les médias culturels et généralistes – Brut, Konbini, Libération ou encore France Inter pour ne citer qu’eux – accueillent le cyberharceleur en série avec toujours beaucoup de complaisance. Le présentant tour à tour comme un lanceur d’alerte de la lutte contre le dropshipping ou un écorché vif à la vanne facile. Faisant fi de ses attaques violentes et de ses provocations. Ne lui opposant, pour ainsi dire, aucune résistance dès qu’il s’agit de questionner ses méthodes d’intimidation.

Publicité

Et quand ce ne sont pas les médias qui lui passent la brosse, ce sont d’autres artistes qui flattent son égo. Comme le duo de rappeurs toulousains Bigflo et Oli, qui lui rend hommage à travers une chanson portant son nom dans son dernier album. Exaltant sa posture je-m’en-foutiste et son art de se faire “des ennemis”.

Mais non, Booba n’est pas simplement “taquin” ou “joueur”, comme il aime lui-même à le répéter dès qu’on l’interroge sur ses clashs. Booba est une brute. Booba est un agresseur. D’ailleurs, la justice ne s’y est pas trompée puisqu’elle a déjà fait fermer plusieurs de ses comptes pour harcèlement.

Alors quel bénéfice y-a-t-il à mettre en lumière une personne qui tire profit de la cruauté et de l’humiliation ? S’agit-il d’une quête de buzz par association car les personnalités qui sentent le soufre font davantage cliquer ? Ou bien d’une peur panique d’être la prochaine personne dans sa ligne de mire ? La presse et l’ensemble de son public souffrent-ils d’un syndrome de Stockholm collectif ? Les journalistes et les autres artistes sont-ils à ce point terrifiés par Kopp qu’ils en oublient tout esprit critique ? Ou bien hurlent-ils avec les loups, comme des ados apeurés qui préfèrent gagner l’estime du tyran que de défendre ses victimes ?

Publicité

Une chose est sûre, si le Duc de Boulogne se réclame régulièrement des flibustiers borgnes et aime à rappeler que “la piraterie n’est jamais finie”, l’aveuglement de ses fans et d’une partie des médias semble aussi loin de s’achever.