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Homophobie dans le foot : le monde du ballon rond contre-attaque

Par
Oriane Olivier
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Les ministres des sports se succèdent, mais les polémiques restent les mêmes. A croire que la lutte contre l’homophobie dans les stades est un serpent de mer qu’agitent ponctuellement les gouvernements pour se racheter une éthique à moindre coût. Ou bien pour faire mine de pousser les clubs à prendre leurs responsabilités en matière de discrimination alors que le combat contre les violences systémiques est pourtant loin d’être une priorité en dehors des gazons. Déjà, en 2019, la ministre des sports Roxana Maracineanu taclait les fous du foot en réclamant l’arrêt des matchs en cas d’insultes. Et tout en condamnant ces comportements “inacceptables” et en prenant des mesures pour les endiguer, Nathalie Boy de La Tour, alors Présidente de La Ligue Nationale de football, lui expliquait malgré tout que cela faisait partie du folklore des tribunes. Et si plusieurs matchs ont bien été arrêtés lors de la saison 2019-2020 (comme le 16 août 2019, lors d’un match opposant Nancy au Mans), depuis, personne ne moufte. Les “pédés” et “enculé” sont tout simplement ignorés, et les injures – qui tombent pourtant sous le coup de la loi – sont vidées de leur portée discriminatoire, reléguées au rang de simples traditions, des noms d’oiseaux inoffensifs, joyeusement scandés par tous ceux qui ont reçu la masculinité toxique en héritage.

Il faut dire que les instances dirigeantes du football européen n’y mettent elles aussi pas beaucoup du leur pour enrayer le phénomène. En effet, comment prétendre sanctionner les écarts du public, quand l’UEFA elle-même intervient pour empêcher qu’un stade soit éclairé aux couleurs du drapeau arc-en-ciel car elle juge le procédé trop “politique” ? Comment reprocher leur attitude aux Ultras, ces fans du ballon rond dont certains membres ont le cortex cérébral aussi poreux que la défense de l’OL cette saison, quand l’ancien Président de la FFF (Noël Le Graët) se dit publiquement opposé à ce que les joueurs des Bleus portent un brassard de soutien “One Love” à la communauté LGBTQ+ lors de la Coupe du Monde au Qatar, par égard pour ce pays, dont on doit respecter les coutumes (pour rappel les homosexuel.les y sont passibles de 7 ans de prison et les personnes de confession musulmane homosexuelles risquent quant à elle la peine de mort). Enfin, comment accorder du crédit aux vœux pieux d’inclusivité et de diversité de la FIFA, la plus haute autorité mondiale en matière de ballon rond, quand elle attribue l’organisation de la coupe du Monde à un pays aussi hostile aux droits des personnes LGBTQ+ ? Un peu comme si les coups de fouets infligés aux couples de même sexe étaient finalement aussi pittoresques que les balades à dos de chameaux et les tentes bédouines…

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Et cette hostilité, cette homophobie intériosée et quasi revendiquée, n’est pas que l’apanage des fans. Du moins à en croire cette étude parue en 2013 et commanditée par l’association Paris Foot Gay. Ainsi, sur 121 joueurs professionnels de clubs français interrogés à propos de leur attitude vis à vis des personnes homosexuelles, 50 (soi 41%) déclaraient ouvertement une attitude “négative” voire “très négative” à leur encontre. De quoi donner furieusement envie aux champions encore dans le placard de raccrocher les crampons. Pour autant, le milieu du foot n’est pas totalement hermétique au changement sur la question. Et au-delà du travail formidable des associations pour combattre l’intolérance sur le terrain (ex : Foot Ensemble de l’ancien joueur Yoann Lemaire, qui oeuvre depuis des années à sensibiliser les acteurs du foot à ces enjeux), les initiatives, individuelles ou collectives, fleurissent un peu partout dans le monde pour transformer le visage de ce sport, et trouver la parade à la bêtise crasse.

DES CLUBS QUI FONT BOUGER LES LIGNES

Antifasciste, antiraciste, anti-homophobie et anti-sexisme : c’est ainsi que se présente le FC Sankt Pauli à Hambourg. Des engagements qui sont d’ailleurs inscrits dans les statuts du club. Il faut dire qu’avant de tirer sa révérence en 2010, son ancien président, Corny Littmann – lui même homosexuel – était un fervent militant pour les droits LGBTQ+. Depuis son passage, le drapeau arc-en-ciel flotte haut dans les tribunes (c’est d’ailleurs le seul stade européen où l’on peut voir onduler en permanence le rainbow flag) et n’espérez pas rester confortablement assis dans le public si l’envie vous prend d’hurler des insultes homophobes. Vous pourriez même être interdit de stade. Le club, qui se veut exemplaire, continue également de porter ces valeurs de tolérance et d’accueil dans tous les domaines (ex : installation de douches pour les sans-abris aux abords du club, création du FC Lampedusa, une équipe de joueurs réfugiés qu’elle accompagne aussi dans ses démarches administratives et la recherche d’emploi…) Une recette qui semble fonctionner puisque malgré sa relégation en deuxième division il y a quelques années, l’équipe a encore des fans dans le monde entier et revendique le premier public féminin d’Allemagne. Ou quand la passion des supporters rencontre la ferveur militante, et donne envie d’aller au stade.

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De l’autre côté du Rhin, on ne manque pas non plus de bonne volonté. Ainsi, si chaque année les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 se mobilisent pour faire porter à leurs joueurs lors d’une rencontre des maillots aux couleurs du drapeau LGBTQ, le MHSC, le club de foot de Montpellier, s’est illustré cette année en allant encore plus loin et en prenant l’initiative de créer ses propres tenues officielles, floquées d’un logo arc-en-ciel. Ces vêtements ont habillé l’équipe lors d’une rencontre avec le FC Lorient à l’occasion de la journée mondiale contre l’homophobie, et ont ensuite été commercialisées sur le site internet. Dans le même temps, le club a également mis en vente des badges, dont tous les profits ont été reversés à des associations de lutte contre l’homophobie. Il est loin le temps où Louis Nicollin (ancien président du club) qualifiait de “petite tarlouze” le capitaine d’Auxerre ! Comme quoi, on peut évoluer. Et on peut aussi être 13e du championnat de Ligue 1, tout en étant premier sur le podium de nos cœurs.

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DES JOUEURS ALLIÉS

Alors que certains joueurs comme Idrissa Gueye invoquent des gastros pour esquiver les matchs lors des journées de lutte contre l’homophobie, et éviter ainsi de porter un chandail qui pourrait laisser croire qu’ils ont un minimum d’empathie, d’autres soutiennent publiquement les droits LGBTQ+. Dans l’Hexagone, c’est d’abord l’ancien international français Vikash Dhorasoo qui s’est engagé en parrainant dès 2005 l’association Paris Foot Gay.

Vikash Dhorasoo.
Vikash Dhorasoo.
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Depuis, même si ça ne se bouscule pas beaucoup au portillon pour lui succéder, Antoine Griezmann a pris le relais. Unique joueur des Bleus à s’être déclaré en faveur de l’arrêt des matchs en cas de chants homophobes, il est également le seul de la sélection de Didier Deschamps à avoir fait la une du magazine Têtu et à avoir montré autant de détermination pour en finir avec ce tabou dans le milieu du ballon rond. Le milieu offensif est donc aussi remarquable lorsqu’il attaque sur le terrain, que lorsqu’il combat les discriminations et provoque un coup de grisou chez les réacs de la baballe.

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À l’international, les figures de proue de la lutte contre l’homophobie dans les stades ne manquent pas non plus. Ainsi en 2020, Jordan Henderson, l’ex-capitaine de Liverpool s’engage dans la campagne Rainbow laces pour l’inclusion de la communauté LGBTQIA+ dans le monde du football. Il n’hésite pas également à répondre directement à plusieurs supporters du club sur Twitter, qui confient leur crainte de faire leur coming-out à leurs ami.es supporters, ou bien leurs difficultés à retourner dans les tribunes après une transition de genre, pour leur apporter publiquement son soutien et témoigner de sa solidarité sur le réseau social. Seule ombre au tableau : depuis, le joueur britannique a intégré Al-Ettifaq, une équipe d’Arabie Saoudite pas vraiment réputée pour sa tolérance… Si le footballeur s’est confondu en excuses et a dit regretter “d’avoir blessé la communauté gay” avec ce transfert, il est quand même parti. Dommage, c’était presque un sans faute.

Espérons que Manuel Neuer ne troque pas non plus toutes ses valeurs pour une poignée de pétrodollars, car malgré ses fortes convictions religieuses (il est catholique pratiquant), le gardien de but du Bayern Munich est le seul à avoir décidé d’arborer un brassard aux couleurs arc-en-ciel durant l’Euro 2020, pour protester contre les lois homophobes adoptées en Hongrie. Comme quoi, foi et tolérance ne sont pas nécessairement incompatibles.

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DES CLUBS DE SUPPORTERS ARC-EN-CIEL DANS LE MONDE ENTIER

Que serait le foot sans l’enthousiasme contagieux des fans ? Plutôt que de faire le dos rond en feignant d’ignorer les commentaires homophobes qui fusent derrière eux, de nombreux supporters n’hésitent désormais plus à se rendre visibles – parfois avec le soutien direct des instances de leur club de cœur. Et pour cause, il n’y a pas de raison que l’amour du beau jeu, une source de réconfort pour des milliers d’aficionados LGBTQ+, se mue en source d’angoisse dès qu’ils franchissent les grilles du stade.

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Des Three Lions Pride (premier groupe de supporters britanniques à l’échelle nationale et plus grand groupe au monde) aux Torcida LGBTricolor brésiliens qui bravent toutes les menaces pour vivre leur passion, des Proud Seagulls de Brighton aux Gay Gooners d’Arsenal (qui revendiquent tout de même 1400 membres) : les amoureux et amoureuses queer du football n’ont plus envie de laisser leur homosexualité ou leur transidentité au vestiaire dès qu’ils lancent une ola dans les tribunes. Si le phénomène semble prendre de l’ampleur outre-Manche, on regrettera tout de même que la tendance n’ait pas fait autant d’émules en France, car malgré des collectifs de joueurs amateurs très motivés pour faire vivre le football arc-en-ciel (Les PanamBoyz & Girlz United, Les Dégommeuses, Le Drama Queer FC…), on manque encore cruellement de groupes organisés de supporters.

Aux stades citoyen.nes : il est grand temps que tous les fondu.es de foot français.es, quelle que soit leur identité de genre ou leur orientation, envahissent les travées.

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