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Un peu comme le LSD des années 60 ou la cocaïne des années 80, la kétamine est bien partie pour marquer les esprits de la décennie 2020. Ces derniers temps, la communauté scientifique en parle beaucoup pour ses propriétés antidépressives prometteuses, qui ont récemment été mises en lumière grâce à la recherche. Une équipe a en effet démontré que « la kétamine est non seulement efficace pour traiter rapidement les personnes atteintes de dépression grave ou d’idées suicidaires, mais qu’elle peut également avoir des effets significatifs et prolongés », comme on peut le lire sur le site du Royal, un important centre hospitalier dédié à la santé mentale situé à Ottawa.
Depuis longtemps, la kétamine a mauvaise réputation : beaucoup pensent à tort qu’il s’agit d’une drogue qui fait fondre les cellules du cerveau (!). Pourtant, elle est utilisée en bloc opératoire comme anesthésiant. En fait, c’est un des anesthésiants les plus sécuritaires, en grande partie parce qu’il n’affecte pas le système respiratoire du patient, et qu’il stimule le système cardiovasculaire au lieu de le ralentir. On peut aussi souligner son utilisation en médecine vétérinaire, qui lui a valu le charmant surnom de « tranquillisant pour chevaux ».
« La kétamine est non seulement efficace pour traiter rapidement les personnes atteintes de dépression grave ou d’idées suicidaires, mais elle peut également avoir des effets significatifs et prolongés »
Malgré tout, on la connaît surtout pour les effets hallucinogènes qu’elle procure aux aventuriers de l’esprit. Et on ne va pas se mettre la tête dans le sable : beaucoup de curieux en prennent simplement pour son buzz hallucinogène et dissociatif. Alors, qu’arrive-t-il quand on n’a pas une équipe de recherche pour nous superviser dans notre consommation ? On était curieux d’en savoir plus.
Pour mieux comprendre à quoi peut ressembler l’expérience, je suis parti à la chasse aux témoignages. Un p’tit tour de ma liste de contacts et un appel à tous dans un groupe Facebook d’adeptes des drogues hallucinogènes suffisent : quelques consommateurs me livrent sans hésiter leurs histoires. Évidemment, les noms ont été changés pour protéger l’identité des individus concernés et leurs témoignages, récoltés sans jugement.
Confessions d’une chaufferette
Premier arrêt : chalet, en fin de soirée. Notre protagoniste, une jeune femme du nom fictif de Marie-Ket, se fait offrir une ligne de kétamine par un ami au moment où la soirée tire à sa fin. C’est la première fois qu’elle en sniffe dans un contexte social. Quelques instants après sa ligne, sa perception de l’environnement commence déjà à se transformer progressivement. « En essayant d’interpréter où j’étais, je trouvais que le chalet ressemblait à un bateau. Je trouvais ça drôle et intéressant de me convaincre que j’étais réellement dans un bateau, au point où une partie de moi s’est mise à y croire pour vrai ».
Après quelques minutes, Marie-Ket décide de porter une couverture pour se réchauffer un peu, et commence à danser au rythme de la musique. « Pendant que je dansais avec la grosse couverture, mon corps s’est mis à dégager de plus en plus de chaleur. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’étais une chaufferette (ndlr, petit appareil de chauffage (souvent portable) qui permet de se réchauffer) ! ». Même si elle est capable de se rationaliser qu’elle n’est pas vraiment une chaufferette, elle se sent aussi proche d’un radiateur que d’un humain d’un point de vue psychologique.
« Pendant que je dansais avec la grosse couverture, mon corps s’est mis à dégager de plus en plus de chaleur. C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que j’étais une chaufferette ! »
Lorsque je lui demande pendant combien de temps elle a cru être une machine, elle me répond qu’après une heure, elle était déjà redescendue sur terre. « C’est vraiment pas si long. Selon la dose, tu peux déjà commencer à débuzzer après 30, 40 minutes ». Elle poursuit : « Pendant que j’étais une chaufferette, j’ai pu réfléchir à ma vie sous une tout autre perspective. Mes problèmes d’humaine me semblaient minuscules ! Ça m’a aidé à les voir d’un point de vue complètement détaché de mes émotions. Encore aujourd’hui, je me rappelle cet état d’esprit pour m’aider à relativiser mes petits problèmes du quotidien ».
Il est important de spécifier qu’elle n’a pas bu d’alcool lors de la soirée. En effet, le mélange des deux substances augmente considérablement le risque de mauvaises surprises. Si elles sont consommées ensemble, certains de leurs effets s’additionnent et peuvent entraîner des conséquences dangereuses. Lorsqu’on ajoute beaucoup d’alcool à l’équation, on multiplie les chances d’être immobilisé contre son gré, et on ajoute un risque de dépression respiratoire, de black-out, de nausées et de perte de conscience. En plus, les deux drogues ont un impact sur l’équilibre, ce qui rehausse le risque de chutes et de blessures. En gros, l’alcool et la kétamine sont comme vos deux amis qui ne peuvent pas se sentir : c’est pas une bonne idée de les asseoir ensemble à votre mariage.
l’alcool et la kétamine sont comme vos deux amis qui ne peuvent pas se sentir: c’est pas une bonne idée de les asseoir ensemble à votre mariage.
Regarde, maman ! Je lévite !
Kamélia et ses amis sont à un festival de musique électronique. Les artistes performent tour à tour sur la scène pendant qu’elle enchaîne les bumps de kétamine (des doses plus petites qu’une ligne, qui fittent sur le bout d’une clé). À l’entracte, avant le set de la tête d’affiche, le groupe d’amis décide d’aller se promener pour passer le temps. C’est à ce moment que Kamélia remarque qu’elle est décidément plus perchée qu’elle ne le pensait. « En marchant, j’avais l’impression de voir le dessus de la tête de mes amis. Pourtant, ils sont pas mal tous plus grands que moi ! Je me sentais complètement déconnectée du sol, comme si j’y touchais pas. Je me sentais vraiment comme si je lévitais ».
« j’avais peur que les autres autour de moi se rendent compte que je lévitais »
On pourrait croire que léviter, c’est cool, mais ça a été un peu plus difficile pour Kamélia. « La partie un peu moins cool, c’est que j’avais peur que les autres autour de moi se rendent compte que je lévitais ». Au bout d’un moment, elle décide d’aller rejoindre d’autres amis dans les estrades. En s’assoyant, elle lévite toujours : elle est incapable de déterminer où son corps et le banc se rencontrent, comme si elle flottait au lieu d’être assise.
En y repensant, Kamélia croit avoir mis le doigt sur ce qui a causé ce buzz plus intense que prévu. « Ce qu’il faut comprendre, c’est que je suis vraiment une fille de bumps, je ne fais pas vraiment de lignes. Juste pour avoir un p’tit effet. D’habitude, je les fais sur ma clé, et j’arrive à gérer la quantité que je consomme assez facilement. Sauf que là, je les faisais avec mes ongles, dans le noir, en plein milieu d’une foule. J’ai dû en prendre un peu plus que d’habitude ». Elle ajoute finalement que la fatigue et le contexte de festival ont probablement pesé dans la balance.
Ce soir, on sort (de notre corps)
Si vous pensiez que la lévitation était cheloue, vous n’êtes pas prêts pour celle-là. Un consommateur, appelons-le Capitaine K, me parle au téléphone d’une soirée passée dans un festival de musique électronique au cours duquel il a réussi à déjouer les règles de l’espace-temps. « Si je me souviens bien, j’avais déjà pris un peu de kétamine en arrivant à la soirée. Après un moment, je pensais que l’effet s’était atténué, et quelqu’un m’en a offert plus ». Capitaine K m’explique que jauger les doses peut être assez difficile sur la kétamine. Puisqu’il pensait être redescendu, il accepte l’offre.
C’est à ce moment qu’il réalise qu’il était toujours sous l’influence de la ket : la deuxième dose l’assomme au point de l’immobiliser. « Je me suis immédiatement rendu compte qu’il était impossible pour moi de continuer à danser. Au lieu de paniquer, je me suis simplement assis à proximité du DJ, je me suis calmé, et j’ai rationalisé la situation. La musique est bonne, je ne vais pas mourir de froid, il y a des gens autour de moi ; je suis en sécurité. À partir de ce moment, je ne pouvais plus bouger, mais je me suis dit que ce n’était pas grave ».
Après un certain temps, il se voit sortir de son corps, traverser la piste de danse et visiter quelques pièces avant de retourner à son enveloppe charnelle. Le tout, sans que son corps ne bouge d’un poil.
Il ressent alors une connexion profonde avec la musique, puis entreprend un voyage à travers les époques. « J’avais vraiment l’impression de voyager dans le temps à une vitesse fulgurante, de passer par toutes les époques de l’histoire humaine ». Après un certain temps, il se voit sortir de son corps, traverser la piste de danse et visiter quelques pièces avant de retourner à son enveloppe charnelle. Le tout, sans que son corps ne bouge d’un poil. « J’ai essayé bien d’autres psychédéliques, comme le LSD par exemple, mais c’était la première fois que je vivais un truc du genre ».
Même si l’expérience peut paraître effrayante, Capitaine K ne regrette pas de l’avoir vécue. Il se considère toutefois très chanceux d’avoir été dans un contexte bienveillant, entouré de personnes de confiance. « Les gens voyaient bien que j’étais tout seul et que je ne bougeais pas, alors ils m’apportaient de l’eau ou me demandaient si j’avais besoin d’aide. J’étais capable de dire non de la tête, ils comprenaient et me laissaient vivre mon trip ». Notre psychonaute tient aussi à préciser : « Une des raisons pour lesquelles j’ai répondu à ton appel, c’est parce que je sais que, souvent, beaucoup de drogues sont décrites d’une façon très négative dans les médias, alors que moi, j’ai eu beaucoup d’expériences positives. Je trouvais ça intéressant d’avoir l’opportunité de partager mon histoire. »
Un peu de pharmacologie
Comment la kétamine génère-t-elle ces effets surprenants ? En bloquant temporairement le passage du glutamate, le principal neurotransmetteur excitateur du système nerveux central, entre les neurones du cerveau et la colonne vertébrale. En termes scientifiques, il s’agit d’un antagoniste du récepteur n-méthyl-d-aspartate, ou NMDA pour les intimes.
Lorsqu’elles pénètrent la barrière hématoencéphalique, les molécules de kétamine se fixent au récepteur NMDA, ce qui empêche les signaux électriques de circuler entre le cerveau et le reste du corps. Cette « division » du corps et de l’esprit est à l’origine des effets anesthésiques de la kétamine, mais aussi de la réduction des facultés motrices et des altérations de la perception. Dans une moindre mesure, elle interagit aussi avec d’autres récepteurs, ce qui explique notamment pourquoi elle peut agir dans le traitement de la dépression. Toutefois, ces mécanismes sont plus complexes, et ne sont pas encore parfaitement compris par la communauté scientifique.
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Inutile de mentionner qu’on s’est intéressé ici à des histoires qui se sont bien terminées et qui ne s’inscrivent pas dans une dynamique de dépendance. On pense que vous êtes assez grand pour adopter des comportements sécuritaires tout en connaissant les risques associés à la consommation de kétamine.