L’arrivée de l’automne avec la traditionnelle virée chez Starbucks pour un latté à la citrouille et la joie de porter de gros pulls : toutes ces choses-là (et bien d’autres) sont source infinies de mèmes, de tweets ironiques et autres blagounettes une fois l’automne venu. Bon an, mal an, ces petits plaisirs généralement féminins (et blancs, soyons honnêtes) sont sujets de moqueries.
Le truc, c’est qu’on en rit probablement à cause de notre misogynie intériorisée. Ok, là, je sais que vous avez cliqué sur cet article-là par simple curiosité et que je commence fort, mais restez avec moi.
Une question de moyens
Le fameux pumpkin spice latte du Starbucks est une affaire traditionnellement appréciée par la gent féminine, et de surcroît par une clientèle plus près de Taylor Swift que de, mettons, Little Simz. Ce bassin de fans-là est considéré par la masse comme « basic », c’est-à-dire peu créatif sur le plan des intérêts, du style et des goûts personnels. Au lieu d’aimer la musique indépendante et les vêtements de friperie, ces filles-là apprécient leurs leggings Lululemon et leur verre de rosé du « vindredi ». Je généralise, là, mais vous voyez le topo. « Le péché de la fille “basic” n’est pas d’aimer faire du shopping, c’est de convoiter sans réfléchir les mauvaises marques », écrit Noreen Malone dans The Cut.
« Nous ne choisissons pas nos goûts, ce sont les micro-spécificités de notre classe qui les déterminent. »
Se distancier du PSL, c’est donc une affaire de classe sociale et de moyens financiers. La capacité à développer des goûts « indie » relève de l’endroit où l’on évolue (en banlieue, on a souvent moins d’options), de l’éducation qu’on a reçue (les grosses chaînes sont problématiques et il faut encourager les petits commerces) et des gens qu’on côtoie (qui pourraient nous éveiller à d’autres cultures et produits). « Nous ne choisissons pas nos goûts, ce sont les micro-spécificités de notre classe qui les déterminent », souligne Anne Helen Petersen dans Buzzfeed News.
De BBQ et de sauce piquante
L’autre problème avec les moqueries autour du latté à la citrouille (et des ongles couleur automne, et des photos de feuilles mortes sur Instagram), c’est le double standard selon lequel « quand les hommes apprécient quelque chose, ils l’élèvent, mais quand les femmes apprécient quelque chose, elles le ruinent », comme l’écrivait Jaya Saxena dans Taste en 2017.
Pensez-y. Les cupcakes, la toast à l’avocat et la salade, par exemple, tous des aliments traditionnellement « féminins », ont fait l’objet de running gags sur le web au cours des dernières années. Le whisky, la sauce piquante et le steak, eux, par contre, non. Les gars qui s’échangent des trucs sur le BBQ sont cool; les filles qui prennent une photo de leur smoothie sont débiles. « Nous supposons que parce que les [femmes] aiment quelque chose que d’autres femmes aiment, elles n’ont pas d’esprit propre », poursuivait Jaya Saxena dans son texte.
« Nous supposons que parce que les [femmes] aiment quelque chose que d’autres femmes aiment, elles n’ont pas d’esprit propre. »
Même les femmes n’échappent pas à ce double standard. En riant du PSL, les femmes trempent sans le savoir un orteil dans le moule du « pick me girl », un terme utilisé sur TikTok pour décrire une fille qui veut se différencier des autres. « Je ne suis pas comme les autres filles » est ici la phrase clé, mais on pourrait y ajouter : « Je m’entends mieux avec les gars. » Le truc des pick me girls, c’est donc leur propension à se comparer aux autres filles dans le but de se remonter face aux garçons. Posséder un longboard et boire de la bière, par exemple, deviennent ici des superpouvoirs autoproclamés.
Buvez votre maudite boisson
La misogynie intériorisée est insidieuse, et elle réussit même à se frayer un chemin jusque dans nos choix alimentaires. Heureusement, depuis quelques années, des féministes plaident pour une réhabilitation du « droit au PSL ». Après 19 ans sur les menus du Starbucks, la boisson semble là pour rester, surtout que plusieurs cafés indépendants proposent leur propre version.
La hiérarchisation des goûts, je pense qu’on a fait le tour.
Toute cette réflexion sur pour une boisson, c’est peut-être aussi l’occasion de prendre conscience de ce qu’on tourne en ridicule et surtout, de pourquoi on le fait. Tout le monde rit du PSL sans trop savoir pourquoi, juste parce qu’une personne un jour a décidé que c’était vraiment cool. Pourquoi aime-t-on tellement détester les choses que les autres aiment ? Pourquoi faut-il toujours se définir en opposition aux intérêts (et aux achats) d’autrui ? Apprécier quelque chose de « basic », ça ne fait pas de nous quelqu’un de stupide ou de sous-évolué. La hiérarchisation des goûts, je pense qu’on a fait le tour. See you never.