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Guerre en Ukraine : des tonnes de dons et d’espoir

Reportage dans un point de collecte en plein Paris.

Par
Mathieu Gilbert
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« Je me rappelle être rentrée chez moi le deuxième jour et me dire : mais en fait, c’est possible, la solidarité existe encore », me lance les yeux pleins d’espoir, Mélissa, une bénévole du point de collecte organisé au sein de l’Université Learning Planet Institute dans le 4ème arrondissement de Paris.

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C’est dans une petite ruelle du Marais que se trouve le véritable exemple de générosité. Quand j’arrive devant cette grande porte universitaire, avec l’inscription « Centre de Recherche interdisciplinaires », je crois m’être trompé d’adresse. C’est en voyant une vielle dame s’empresser de rentrer, les bras chargés de courses alimentaires, que j’ai compris que j’étais au bon endroit.

En suivant cette bienfaitrice anonyme, je me faufile dans la cour d’entrée où déjà s’activait une fourmilière de jeunes étudiants bien déterminés à montrer au peuple ukrainien qu’il n’est pas seul. Qui peut parler d’individualisme lorsqu’on voit tous ces jeunes, débordés par leurs études, probablement pour certains avec des soucis financiers, se tuer à la tâche sans réclamer un sou, pour soutenir un peuple en détresse à des milliers de kilomètres ?

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En ouvrant la porte du hall, je tombe nez à nez avec un groupe en plein rush, trimballant des cartons par dizaines. Certains en remplissent, d’autres les numérotent alors qu’un dernier s’occupe de remplir un tableau Excel. À côté, un contraste étonnant : des étudiants travaillent sur leurs ordinateurs, dans cette grande salle où le calme et l’agitation cohabitent.

J’aperçois derrière ce chahut solidaire, deux jeunes femmes qui semblent en pleine réflexion pour organiser je ne sais quoi d’important. L’une d’elles s’appelle Mélissa, il s’agit d’une bénévole touchée par la cause des réfugiés, qui a entendu parler de ce point de collecte au cœur d’une université et qui a décidé de s’y engager. Elle m’accueille les bras ouverts et démarre sa visite guidée : « Tout ça, ça vient d’une collecte à Bois-Colombes », me dit-elle, en pointant une montagne de cartons. « Ça vient d’arriver, ça fait à peu près 9 mètres cube de dons, donc t’as du médical, de l’équipement chirurgical et des vivres. C’est vraiment de la première nécessité qu’on envoie à l’Ukraine intra-muros, à Kiev ou Kharkiv par exemple. »

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Soudain, une autre bénévole interrompt notre conversation : « Il faut que tu préviennes Oxana : il nous faut 3 palettes pour le chargement du camion ». Elle doit probablement avoir mon âge et semble pourtant aussi débordée qu’un chef d’entreprise. Je n’ai pas le temps de comprendre qui elle est, qu’elle s’est déjà rassise à sa table la tête plongée sur son écran d’ordinateur.

Mélissa poursuit la visite en descendant les escaliers et alors que je pensais avoir découvert tout le stock de dons, me voilà face à une nouvelle fournée de cartons autour desquels s’affairent d’autres bénévoles. « Donc là, c’est un peu la zone de triage, on a une médecin qui gère les médicaments, et pas mal de manutention. On doit être à plus d’une vingtaine de tonnes de dons. On était à 15 tonnes en 10 jours. Là, c’est la troisième semaine. »

« C’est du boulot, c’est crevant mais c’est pour la bonne cause »

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Une dame est plongée dans un carton de médicaments, et se hâte de le remplir. C’est la femme médecin dont me parlait Mélissa. « C’est du boulot, c’est crevant mais c’est pour la bonne cause », me dit-elle en souriant, alors que je lui souhaitais bon courage.

On se pose dans un des canapés du sous-sol de l’université pour que Mélissa m’en dise plus sur cet étrange Université, reconvertie en point de collecte solidaire. « C’est l’association Plast (ndlr, les scouts ukrainiens de France) qui est à l’origine du point de collecte. C’est Olya que tu as vu tout à l’heure, qui a lancé l’idée, elle s’occupe de l’organisation et étudie aussi ici. On s’adapte donc aux besoins des locaux et on bouge en fonction de la semaine en cohabitant avec les étudiants. »

C’est donc grâce à Olya (et aux bénévoles) que 20 tonnes de dons ont été acheminés jusqu’aux villes ukrainiennes. À titre de comparaison, le gouvernement français se réclamait, au 1er mars d’avoir envoyé 30 tonnes en Pologne. Mélissa plaisante en me disant : « On n’est pas peu fier d’avoir réussi à envoyer presque autant qu’un gouvernement.». Et ils ont bien raison, c’est colossal !

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« Les gens sont super solidaires envers le peuple ukrainien même s’ils n’étaient pas forcément engagés sur ces causes-là avant », me dit-elle. « C’est vrai que dès que la collecte a commencée, je suis rentrée dans une pièce qui était remplie, du sol au plafond, de dons à trier : j’étais étonnée. Ça te redonne vraiment foi en l’humanité de voir ça. Je suis rentrée en me disant : mais personne ne devrait avoir faim dans ce pays, ce n’est pas possible, si en une journée, on a réussi à récolter autant de nourriture, c’est fou ce qu’on peut faire. Donc si ça peut changer la vie des gens et faire changer l’avis de certaines personnes, c’est tant mieux. »

En tout, ce « petit » point de collecte a envoyé la première semaine plus de 300 cartons médicaux, plus de 800 cartons d’hygiène et produits bébé, près de 400 cartons de nourritures et près de 600 cartons d’équipements (lampes frontales, piles, batteries, rallonge, matelas, lits de camp), grâce à la générosité des gens et le courage des bénévoles. « Donc oui, ça charbonne ! », conclut Mélissa avant de me présenter cette fameuse Olya.

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Gêné de la déranger en pleine concentration, elle me déculpabilise avec un large sourire et se rassoit en m’invitant pour me raconter son histoire. « Je suis née en Ukraine, j’ai passé mon enfance en Ukraine, et après le lycée, j’ai décidé de faire un master ici en France à Paris. Je suis donc étudiante ici et ma famille est toujours en Ukraine. »

« On avait besoin de faire quelque chose. »

Elle m’explique que l’idée de créer ce point de collecte lui est venue de manière quasi instinctive dès le commencement de la guerre. « On avait besoin de faire quelque chose. On avait commencé par les manifestations sauf que ce n’était pas assez, il fallait donner une aide réelle. J’ai donc eu l’idée d’en parler avec la direction de mon université, j’ai envoyé un message à mon directeur de master pendant la nuit », m’explique-t-elle dans un éclat de rire. « Il m’a répondu tout de suite en disant que la direction nous donnait son accord pour ouvrir un point de collecte dans ses locaux » raconte l’étudiante. « Ils nous soutiennent énormément, très souvent les employés de l’université nous cuisinent des petits plats ou commandent des choses pour les bénévoles, ils nous demandent si ça va, et comment on tient. Elle est très importante cette solidarité-là. »

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Cette solidarité justement, c’est son moteur. Si Olya tient et garde son sourire malgré ses études à gérer, l’inquiétude pour sa famille restée en Ukraine et cette association bénévole qui est un vrai casse-tête organisationnel, c’est parce que l’entraide qu’elle voit défiler chaque jour la motive. « Voir toute cette solidarité et cette humanité qui s’organise, ça m’aide beaucoup psychologiquement, car c’est dur d’être à l’étranger et de savoir que sa famille est restée en Ukraine. Je pense que c’est très beau que les gens s’entraident parce que c’est important, spécialement dans une situation comme celle-là, il faut montrer aux Ukrainiens qu’ils ne sont pas seuls dans cette guerre. »

Mélissa espère qu’avec cette guerre en Ukraine, les mentalités, et surtout les politiques en matière d’immigration, pourront changer. « Nous sommes capables d’accueillir, d’aider et d’être solidaires, j’espère que cette guerre va bientôt finir et que l’on en tirera les bonnes leçons ».

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À l’heure actuelle, près de 9 millions d’euros ont été récoltés par La Fondation de France. La Croix-Rouge française a, quant à elle, amassé 8 millions d’euros lors d’une soirée-concert le 9 mars, s’étonnant de n’avoir jamais connu une telle mobilisation depuis cent soixante ans selon son président Philippe Da Costa et a pu envoyer 18 semi-remorques représentant 300 tonnes de dons matériels et alimentaires.

Au moment d’écrire ces lignes, les bombardements pleuvent toujours sur l’Ukraine et l’Union européenne s’attend à recevoir des millions de réfugié.e.s.

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