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Grève de la fin du monde : et si on en finissait avec les dystopies qui donnent envie de se foutre une balle ?
Le 11 septembre dernier, Volder Türk, haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme déclarait “Nous n’avons pas besoin d’autres avertissements. le futur dystopique est déjà là”. En dehors du fait que Volder pète un peu l’ambiance, il dit vrai. Rappelons ici que dystopie est un récit d’anticipation qui décrit une société cauchemardesque, que ce soit sur le plan démocratique ou écologique par exemple.
Alors qu’on a traversé un été caniculaire (ce qui devient une habitude) et rencontré une belle variété de catastrophes écologiques, nos JT prennent des airs de super-productions hollywoodiennes signées Roland Emmerich. Comment ne pas plussoyer les propos de Volder ? Même le créateur de Black Mirror a déclaré en avoir ras la casquette de ses récits d’anticipation anxiogènes. En 2020 alors que l’humanité se confinait, Charlie Brooker déclarait au micro de Radio Times “En ce moment, je ne sais pas qui voudrait regarder des histoires mettant en scène des sociétés en train de s’écrouler donc je ne travaille pas sur de nouveaux épisodes de Black Mirror” Au final, on n’aura pas échappé à 5 nouveaux épisodes en 2023, toutefois très éloignés de ses marottes techno-pessimistes. Il n’empêche que son propos pose une vraie question : l’utilité et la pertinence d’un récit dystopique dans un contexte social qui sent bon la solastalgie, cette détresse psychique liée à la destruction des écosystèmes.
Depuis quelques décennies, on ne compte plus les films, livres et séries qui traitent d’un futur peu souhaitable, peu importe sa forme. L’avenir n’appartiendrait-il qu’aux morts-vivants, à une ploutocratie meurtrière dans une société peuplée de cannibales non déconstruits ? Force est de constater que les récits dystopiques : ça cartonne. On raffole d’histoires post-apo où tout le monde s’entretue, se fait violer et pourquoi pas rôtir aux p’tits oignons. D’où vient cette appétence pour la SF anxiogène ? Est-ce que ce genre de “catastrophe porn” ne résulterait pas désormais d’une paresse intellectuelle ?
Dystopique et pic et collégram
Pas de panique. On ne va pas balayer d’un revers de la main tout un pan de la production littéraire et cinématographique, mais questionner son caractère subversif. Passons un coup de loupe sur le dernier film de Just Philippot, Acide. Il n’est certes pas une dystopie au sens propre du terme, du reste on pourrait le qualifier de “film d”anticipation climatique”. Au cours d’un mois de mars sous 40°C, un couple divorcé et leur fille se trouvent pris au piège par des pluies acides détruisant tout sur leur passage et dont aucun toit ne saurait les protéger. Outre l’aspect jouissif du film catastrophe aux arrières-goûts de crise climatique, quel effet produit-il sur nous si ce n’est la joie cathartique de ne pas connaître ce genre d’événement météorologique meurtrier ?
Et BAM ! Plutôt que de nous pousser à agir contre le dérèglement climatique, on sort de la salle heureux de vivre dans un monde nul, certes, mais pas nul à ce point (on sort aussi heureux de ne pas s’être fait piquer par des punaises de lit mais c’est une autre histoire). En ceci, la dystopie souffre de cet étrange paradoxe qui consiste à nous alerter autant qu’à nous rassurer. Cela dit, la prédominance du genre aurait davantage tendance à favoriser l’éco-anxiété en nous rendant impuissant face à l’avenir de la planète. C’est comme ça que les discours effondristes dans la fiction nous déresponsabilisent ; face à l’inéluctable nous n’avons plus d’autre choix que d’attendre que la vague nous submerge.
Les limites concrètes de la dystopie apparaissent en particulier quand elles servent une action militaire dans la vraie vie à l’instar de la Red team. Ce groupe d’auteurs de SF mettent leur art de la prospection au service du gouvernement pour décrire des futurs désastres possibles et légitimer ainsi les choix militaires de la Défense. Que voulez-vous ? La fin du monde justifie les moyens. En termes de subversion, on a vu mieux.
A l’inverse, la description d’un futur désirable nécessite un effort intellectuel de plus grande envergure. Si les utopistes ne passent pas pour des gens très sérieux, ils mériteraient bien qu’on fasse la part belle à leur imagination “positive”. Car c’est de celà qu’il s’agit ; comme l’ écrit Hannah Arrendt “Il ne va pas de soi que nous soyons capables de dire : « le soleil brille », à l’instant même où il pleut” dans son essai Du mensonge en politique). Notre capacité à projeter des récits futuristes à l’opposé de ce que nous craignons (et l’utopie rentre dans ce cas de figure) peut avoir des incidences sur notre présent. Bien que la philosophe n’évoque pas directement la dystopie, elle nous explique que la liberté s’acquiert par l’imagination, c’est elle qui nous affranchit de la réalité. En somme, imaginer des futurs utopiques serait le meilleur moyen de s’affranchir de lendemains dystopiques.
Adieu Cyberpunk, bonjour Solarpunk
Pour sortir de cette impasse, rien de tel qu’une bonne cure de Solarpunk. Kézako ? Mouvement littéraire qui trouve ses racines au Brésil, le Solarpunk prend le contrepied du sacro-saint cyberpunk pour retrouver un peu d’allégresse. On se dégage d’une vision nihiliste du futur pour valoriser la résilience et l’idée d’une créativité positive au service d’imaginaires moins déprimants. Dans le Solarpunk, l’action peut ainsi se passer dans un monde où les problèmes d’ordre énergétique ont été réglés. Hayao Miyazaki est une référence dans cet univers “positif” avec par exemple des maisons qui volent grâce à l’énergie solaire dans Le Château Ambulant.
Comme l’explique Christian Chelebourg à propos de Princesse Mononoké “Pour connaître l’harmonie véritable, l’homme doit renoncer à la volonté de puissance et respecter la nature (…) C’est ce rêve qui nourrit le discours sur les énergies renouvelables”. Ce professeur de littérature montre que les blockbusters dystopiques formatent nos angoisses plutôt que les dépasser faisant le jeu dangereux de la prophétie autoréalisatrice : tout est foutu parce qu’on se dit que tout est foutu. Au contraire, le Solarpunk propose humblement de réenchanter le désenchantement. Il ne nie pas le caractère inéluctable d’un “monde d’après” et d’une rupture avec notre civilisation actuelle, il la prend comme point de départ d’un nouveau récit. Récemment on a pu apprécier la série Apple Station Eleven dans laquelle on suit une troupe de théâtre itinérante dans un monde post-pandémie (tiens donc ?).
Dans les années 50, l’autrice Marion Zimmer Bradley jetait les bases de ce genre que personne n’avait encore nommé avec sa nouvelle La Vague Montante. Un groupe d’astronautes naufragés de l’espace revient sur Terre cinq siècles après le début de la colonisation spatiale et s’attendent naturellement à découvrir une civilisation ultra moderne. Manque de pot pour leurs fantasmes technophiles, les terriens ont désormais une économie primitive basée sur l’épanouissement humain et un système agricole collectif. Le même genre de société que le personnage principal de Malevil (Robert Merle), tente de mettre en place après qu’une bombe nucléaire ait éradiqué une partie de la planète.
Margaret Atwood (autrice de la Servante écarlate) fait de même avec sa trilogie MaddAddam dont le dernier opus prend carrément la forme d’une utopie écologiste. La romancière canadienne présente cette œuvre comme une “fiction spéculative” plutôt qu’un roman de SF pur jus puisque le monde qu’elle décrit dans le premier tome est très proche du nôtre et s’interroge sur la technologie existante et ses effets. En ceci, elle se rapproche autant de l’utopie que de la dystopie qui “prouve encore et encore que nous avons de bien meilleures idées pour faire de la terre un enfer que pour en faire un paradis” comme elle a pu l’expliquer en interview (Fabuler la fin du monde, Jean-Paul Engélibert).
Ted Chiang n’hésite pas quant à lui à sortir du carcan post-apo avec Premier Contact (adapté au cinéma par Denis Villeneuve) : une rencontre extraterrestre offrant des clés de compréhension existentielle du monde par l’apprentissage d’un langage nouveau.
Sortir de la dystopie n’implique donc pas forcément de s’orienter vers l’utopie. Heureusement que la science-fiction ne se résume pas à cette binarité réductrice. L’enseignant-chercheur Yannick Rumpala défend ainsi la thèse d’une “prototopie”. Ce néologisme permet selon lui de sortir du modèle utopie/dystopie ou solarpunk/cyberpunk pour “ouvrir un espace de possibles”. Une théorie qui s’inscrit dans l’essai désormais culte chez les effondristes positifs signé Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle Une autre fin du monde est possible. Pas compliqué, il suffit juste de l’écrire.
Retirez donc cette corde à votre cou ! Il appartient à notre imagination d’espérer des lendemains qui chantent et de ne plus enfoncer les portes ouvertes d’un monde qui court très certainement à sa perte. Youpi, non ?