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Go-muscu en soirée tech’ : le flex de trop
« Rien à foutre de ta dépression, si tu veux, tu peux ! ». Imagine un monde où Tibo Inshape galvanise les ravers pour qu’ils tapent du pied dans les hangars ? Le scénario n’a quasi rien de dystopique au vu des mèmes et des TikToks quant à l’arrivée massive des « go-muscu » sur les dancefloors des soirées tech’. Rebaptisés péjorativement « gormitis » par certains – en référence à ces personnages aussi haut que large – les go-muscu s’incarnent en ces pousseurs de fonte qui se butent à la salle, et parfois, aux compléments alimentaires protéinés, pour doubler, voire tripler de volume. Et qui maintenant envahissent les dancefloors :
Ces mêmes go-muscu se font particulièrement remarquer dans les raves au point que leur présence fait l’objet de débats acharnés au sein de la commu’ techno. Dernièrement, les scènes électro se sont transformées sous le poids d’une forte démocratisation par la voie digitale. Des puristes vétérans ont rendu les armes, laissant place à de fraîches recrues. Ce qui pose problème n’est pas tant l’arrivée de nouveaux publics mais plutôt la façon dont ces derniers se comporteraient. En l’occurrence, ces « techno alphas » prendraient trop d’espace, sans vraiment être précautionneux de leur environnement et des teufeurs qui les entourent. Aucun travail empirique n’a jusqu’ici été réalisé pour évaluer ces dires, qui relèvent d’évaluations subjectives diffusées sur les réseaux, néanmoins, plusieurs témoignages concordent sur des points bien précis. Des personnes affirment se sentir davantage jugées et épiées lorsqu’elles se rendent dans leurs soirées habituelles. D’autres mentionnent être désormais témoins ou victimes de propos et comportements homophobes ou transphobes alors que ce type d’évènement est censé garantir un espace plus ou moins safe pour tout le monde.
C’est ce qu’explique @clemwew sur son compte TikTok. Queer et teufeur à ses heures perdues, Clément a tenu a rappelé que la techno représente avant tout un espace d’expression pour les femmes, les personnes LGBTQ+ ou racisées. Pour lui, la techno, « ce n’est pas juste de la fête, ce n’est pas juste de la musique, ce n’est pas juste ‘on sort et on fait n’importe quoi’. La techno, c’est un vrai espace de rencontre, d’accueil, de soutien, d’amitié, d’amour pour toutes ces personnes marginalisées. »
Yoon (@puradamantin), lui, fait part d’un avant-après l’arrivée des go-muscu dans ses soirées habituelles. « La plupart des gens que je connais font maintenant attention à comment ils s’habillent et comment ils vont se tenir, à ce qu’ils vont prendre. Alors qu’avant, non. Et vous savez pourquoi on fait attention ? On fait attention parce que lorsque l’on y va, on se retrouve devant vous, vous nous regardez de la tête aux pieds. Vous nous jugez, vous nous poussez, vous criez, vous êtes torse nu, vous nous collez. »
Opération éducation
Pour sortir de cette impasse, nombre de teufeurs recommandent le chemin de l’éducation plutôt que celui de la restriction, car la culture techno, par essence, se veut accessible au plus grand nombre. Beaucoup parlent de « l’esprit techno ». Dit comme ça, la formulation paraît un peu brumeuse, voire pompeuse. En réalité, elle renvoie à une sorte de contrat, une convention tacite à laquelle chaque raveur se soumet informellement lorsqu’il participe à un évènement. Celle-ci régit un tas de règles constitutives de la culture techno qui reposent sur des valeurs telles que l’entraide et le non-jugement, pour ne citer qu’elles. Des go-muscu ont également pris part au débat, comme le tikokteur @drunk.saiyan, qui affirme ne pas vouloir être « associé à une minorité bruyante qui est en train d’entacher l’image de tous les sportifs ».
D’autres appellent à la précaution afin de ne pas tomber dans les généralités et dans l’association incriminante entre muscles et comportements problématiques.
Comment expliquer la collab’ muscu-techno ?
L’équipe de « Coronagym » se targue, à tort ou à raison, d’avoir contribué à l’entrelacement entre techno et musculation. Ces créateurs de contenu go-muscu se sont formés lors du confinement en transformant un garage en salle de sport DIY. Tout réseau confondu, leur communauté rassemble aujourd’hui plus d’un million d’abonnés.
Ibrahim (alias @Brahhbrahh), fondateur de Coronagym, attribue à Zyzz une influence particulière sur le croisement entre ces deux univers. Cet influenceur russe-australien est connu comme étant l’un des go-muscu influenceur originel grâce à ses contenus culturistes baignés de musique hardstyle dans les années 2000. Dans le podcast « RADIO CGYM #4 », Ibrahim avance que ce croisement entre électro et muscu’ a été enclenché également par des influenceurs comme Jeff Seid ou Jon Skywalker. « C’est la suite logique. Les gens écoutaient de la hardstyle il y a quelques années. Là, ils veulent écouter quelque chose qui tabassent un peu plus […] Tous les go-muscu ont connu Zyzz. Et on a tous un jour tapé sur notre téléphone ‘playlist Zyzz motivation hardstyle’. À partir du moment où les créateurs de contenu ont été captivés par cet univers, ils ont changé leur DA en fonction. Nous, notre DA a changé par rapport aux soirées tech. On a véhiculé ça et les gens se sont dit ‘ah, cool, ils ont l’air de bien s’amuser, on va y aller ».
La musculation trouve donc un terrain fertile au sein des clubs et des festivals techno : les sonorités toujours plus violentes de la culture techno, et plus précisément de la hardtech, trouvent des points concordants avec l’intensité du bodybuilding. Ces pratiques, lorsqu’elles sont liées, forment un exutoire, pour beaucoup de jeunes en recherche d’expériences cathartiques dans un contexte social et politique quelque peu écrasant.