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« Girl dinner », « Hot girl walk », « Girl maths » : stratégie marketing ou vrai féminisme ?

Que cachent ces tendances virales en « girl » ?

Par
Laïma A. Gérald
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« C’est l’été, l’année, ou peut-être même la décennie des microtendances construites de toutes pièces sur le web, qui incluent le mot “girl” », faisait récemment remarquer la journaliste américaine Rebecca Jennings dans Vox.

Ces tendances émergentes, mettant en scène des jeunes femmes, font actuellement fureur sur les réseaux sociaux.

Pensons aux girl dinner, hot girl walk, girl maths, sans oublier les clean girl, girlboss, strawberry girl, vanilla girl et j’en passe.

Entre marketing et empouvoirement féminin : c’est quoi l’affaire avec l’omniprésence du mot « girl » sur les réseaux sociaux?

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L’avènement du girl dinner

Ma prise de conscience du phénomène a commencé il y a quelques semaines, quand je suis tombée sur la photo d’une assiette bien garnie, quoiqu’hétéroclite, au détour d’une publication TikTok : quelques craquelins, de petits morceaux de fromages, des fruits, des crudités grossièrement coupées, des olives, une poignée de noix ainsi que trois ou quatre tranches de charcuterie.

Au-dessus de la photo du festin rudimentaire, deux mots : girl dinner.

Le girl dinner est une expression qui a émergé sur TikTok un peu plus tôt cet été. Le terme fait référence à un repas simple, généralement composé d’aliments peu élaborés ou d’en-cas, que l’on mange de manière décontractée et informelle, parfois directement sur le comptoir de la cuisine.

L’idée derrière le concept est de mettre en avant des repas qui nécessitent peu ou pas de préparation.

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L’expression a été popularisée grâce à une vidéo virale où Olivia Maher, une utilisatrice de TikTok, partageait un exemple de son propre girl dinner, inspirant d’autres personnes à en faire de même. Depuis, le hashtag #girldinner a été vu plus d’un milliard de fois et a suscité l’attention d’importants médias comme le New York Times, le Guardian et Radio-Canada.

TikTok, es-tu en train de me dire que l’habitude alimentaire que j’entretenais quotidiennement quand j’habitais seule est désormais l’objet d’une tendance mondiale ?

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Évidemment, Olivia Maher et les millions de jeunes femmes qui publient des photos de leur dîner pas compliqué ne prétendent pas avoir inventé le concept de manger ce qui traîne dans le frigo, debout dans la cuisine, quand elles n’ont pas envie de se casser la tête.

Mais là où ça devient intéressant, c’est justement dans l’action de revendiquer la formule.

« Les gens, et les femmes en particulier, se sont fait dire toute leur vie ce qu’il fallait manger et surtout ce qu’il ne fallait pas manger », racontait récemment Olivia Maher dans La Presse.

« En ligne, les femmes se font constamment rappeler qu’elles doivent manger équilibré, éviter les aliments transformés, cuisiner le plus possible, surveiller leur ligne… Le rythme est difficile à suivre. Et c’est ce que dénonce la tendance. »

Pour d’autres jeunes femmes qui embrassent le girl dinner, la tendance représente un pied de nez à la pression subie par les femmes de cuisiner pour leur famille, ainsi que la charge mentale qui en découle. En effet, celles-ci s’émancipent de l’image traditionnelle de la femme au foyer nourrissant enfants et maris.

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Malgré tout, puisque le girl dinner est un repas destiné à la consommation et au plaisir d’une seule personne, il est principalement adopté par des jeunes femmes célibataires ou seules pour la soirée.

Peu de temps après l’émergence de ce phénomène de l’heure, Olivia Maher confiait au New York Times qu’elle concevait le tout comme un « dîner de fille parce qu’on le fait lorsque notre compagnon n’est pas là et qu’on n’a pas besoin de préparer un repas classique ».

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On assiste donc à une tendance qui remet en question les normes traditionnelles liées à l’alimentation, tout en reflétant l’influence croissante des réseaux sociaux sur notre manière de manger. Intéressant !

Qu’en est-il cependant des autres tendances en « girl » ?

Coup de marketing ou empouvoirement en puissance?

Du girl dinner au hot girl summer en passant par la girl boss : le terme girl tapisse les réseaux sociaux, attirant les mentions « J’aime » par dizaines de millions.

Mais pourquoi tant de jeunes femmes parfois trentenaires, et donc, ayant passé l’âge d’être qualifiées de « filles », se prêtent-elles à ce point au jeu ?

Ne trouvent-elles pas que l’emploi des termes « girl » et « filles » les ramènent à une vision juvénile et infantilisante d’elles-mêmes ?

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Dans son essai What Does It Mean When We Call Women Girls? publié en 2016, l’écrivaine Robin Wasserman explique que les récits à propos des « filles » sont moins liés à l’âge des personnages féminins qu’aux thèmes de leurs histoires.

Concrètement, l’histoire d’une « fille » traite de la transition de l’enfance (« girlhood ») à l’âge adulte (« womanhood »), c’est-à-dire du passage d’une personne à part entière à « la mère de quelqu’un » ou « la femme de quelqu’un ».

Ainsi, si tant de jeunes femmes se revendiquent « filles » dans ces contextes bien précis, c’est dans le but de se réapproprier des moments pour elles-mêmes, au-delà des attentes genrées qui pèsent sur le quotidien des femmes.

Le girl dinner en est un bon exemple.

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En parallèle, la journaliste américaine Rebecca Jennings citée plus tôt fait valoir que bien souvent, ce qui se rapporte aux filles est vu comme « mauvais », « stupide » ou « superficiel ». Là aussi, on assisterait à une réappropriation d’un terme qui a trop souvent mauvaise presse, utilisé pour infantiliser.

Mais l’autrice va plus loin : pour elle, l’omniprésence du terme « girl » relèverait en fait du marketing.

Les expressions girl dinner, hot girl walk et autres tomato girl attirent l’attention, frappent l’imaginaire et surtout, incitent les utilisateur.trice.s à prendre part à la conversation grâce à des mots-clics séduisants et potentiellement viraux.

En d’autres termes, les femmes sur TikTok adoptent une approche similaire à celle des meilleures équipes marketing de ce monde.

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Elles analysent les données et déterminent quel nom accrocheur choisir pour décrire une habitude ou une esthétique de façon à optimiser ses chances de briser l’Internet.

Pour Rebecca Jennings, baptiser les tendances culturelles, une tâche qui était autrefois du ressort des équipes marketing, des journalistes ou des rédacteurs de magazines, appartient désormais au public.

« Et il s’avère que le public excelle même mieux que les professionnels dans ce domaine », fait-elle valoir en conclusion de son article dans Vox. « Les réseaux sociaux nous ont tous et toutes transformés en éditeurs, espérant profiter de la promesse ineffable de jeunes filles en devenir, de personnes pour qui les “dîners de fille” et les “promenades de hot girl” recèlent d’un million de possibilités. »