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Genre : avec cell·eux qui sont revenu·es sur leur transition

Parfois, les réflexions sur son identité de genre ne s’arrêtent pas après la transition. Rencontre avec des détransitionneur·ses.

Par
Pauline Allione
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« Après quatre ans de traitement hormonal, j’ai commencé à avoir des problèmes gynécologiques importants et j’ai dû arrêter la testostérone. Tout à coup, continuer d’incarner ce rôle d’homme hétéro qui ne me correspondait pas forcément n’avait plus trop de sens… ça n’en valait plus la peine. ». Après son coming out lesbien à 15 ans et le début de sa transition de genre un an plus tard, avec un traitement hormonal suivi d’une mastectomie, Elie a finalement détransitionné à l’âge de 20 ans pour revenir à son genre assigné à la naissance.

« Il est impossible de chiffrer le phénomène, mais les détransitions représentent seulement quelques pour cent des transitions de genre », estime Denise Médico, professeure au département de sexologie à l’Université du Québec à Montréal, qui travaille actuellement avec d’autres universitaires sur la plus large étude jamais menée sur le sujet. Plusieurs facteurs peuvent motiver les personnes trans à interrompre leur transition ou détransitionner : du recul sur leur identité de genre, un malaise avec l’idée d’incarner un autre genre binaire, une médicalisation importante à vie, mais aussi des facteurs extérieurs, avec la pression écrasante des normes binaires et patriarcales, ainsi que le poids du regard social. « Les parcours de transition sont rarement linéaires », rappelle la spécialiste.

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QUESTIONNER SA TRANSITION

« Quand j’ai terminé chaque étape de mon processus de transition, je me sentais toujours insatisfaite. Je pensais à combien ma vie serait simple si je ne ressentais pas cette dissonance entre mon corps et mon identité [la dysphorie de genre, N.D.L.R] pour le reste de ma vie, et j’ai commencé à éprouver des regrets. J’ai aussi découvert à quel point avoir des enfants biologiques était important pour moi : si je continuais à prendre de la testostérone, cela deviendrait potentiellement impossible », raconte Daisy, 23 ans.

Cette Américaine a finalement décidé d’arrêter les hormones et d’abandonner Oliver, son prénom masculin, pour redevenir Daisy. Mais aujourd’hui, la jeune femme ne parle plus de regrets : « Même si je suis dévastée par le fait d’avoir perdu certaines parties de mon corps, rendu ma voix plus grave de façon permanente et d’avoir compliqué mon identité légale depuis que j’ai changé de prénom sur tous mes papiers, je pense que j’avais besoin de passer par là ».

« C’EST TELLEMENT TABOU QUE J’AI PEUR DE PARLER DE MA PROPRE EXPÉRIENCE PAR CRAINTE D’ÊTRE REJETÉE »

Du côté d’Elie, c’est l’arrêt de la testostérone pour des raisons de santé qui l’a poussée à s’interroger davantage sur les raisons de sa transition. « J’ai réalisé que mon besoin de transitionner était influencé par l’image que je me faisais d’être une femme, et à laquelle je ne me sentais pas correspondre. Je ne me voyais pas de valeur dans un corps de sexe féminin, et j’ai appris à déconstruire tout ça pour réaliser que le problème n’était pas en moi, mais tout autour : dans la manière dont les femmes sont traitées, dans l’image valorisée des hommes par rapport à celle des femmes… Ma transition, c’était pour échapper à cette étiquette. »

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Minorité au sein d’une minorité, les détransitionneur·ses ont souvent du mal à trouver leur place après la détransition. « C’est pas forcément facile d’être dans cet entre-deux, d’être une femme qui ressemble à un homme… Je présente toujours de manière masculine puisque certains changements sont permanents : ma voix est grave, j’ai une barbe qui pousse… », confie Elie. « Mais c’est un sujet tellement tabou que j’ai peur de parler de ma propre expérience par crainte d’être rejetée. Depuis ma détransition, je me sens beaucoup moins à l’aise dans les milieux queers parce que j’ai l’impression qu’on va me traiter de TERF [trans-exclusionary radical feminist, N.D.L.R.], par exemple… Alors que j’ai un vécu très similaire à celui d’une personne trans ». Elle a finalement trouvé du soutien dans son projet Post Trans, co-fondé avec sa partenaire, qui réunit des témoignages de femmes détrans à travers le monde.

UN ESPACE POUR EXPLORER SON GENRE

Selon Denise Médico, il est non seulement nécessaire de développer un accompagnement pour les détransitionneur·ses, qui manque cruellement à l’heure actuelle, mais aussi, en amont, d’adopter une politique plus fluide auprès des jeunes souhaitant transitionner. L’évaluation psychiatrique et psychologique actuellement en vigueur mènerait plutôt à « un durcissement des positions et à un empêchement de penser », tout comme les politiques répressives. “Il faut donner un espace de confiance aux jeunes qui transitionnent ou détransitionnent dans lequel iels puissent explorer leur rapport au genre et leurs attentes. Les hormones et opérations ne constituent pas la meilleure alternative pour tous·tes”, pose la professeure.

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Mais surtout, de mieux éduquer au genre pour en finir avec cette conception binaire qui oppose le masculin au féminin. « Dans les médias, on présente toujours la transition comme un aller du féminin vers le masculin ou du masculin vers le féminin, mais il existe une multitude de positionnements possibles. L’idée de traverser dans la transition est en soi fausse puisqu’on reste énormément attaché à une vision binaire, or la plupart de ces jeunes ne le sont pas. »

EN FINIR AVEC LA BINARITÉ

Loukas, assigné fille à la naissance, a commencé à transitionner, socialement puis médicalement, à l’âge de 14 ans. Après avoir modifié son style vestimentaire et sa coupe de cheveux, il a pris des bloqueurs de puberté puis de la testostérone, avant d’interrompre sa transition et de se genrer à nouveau au féminin. « Quand j’ai transitionné, tout le monde me voyait comme étant un garçon à 100%, et c’est ce que je pensais aussi. Mais cela me mettait beaucoup de pression : je devais agir de façon plus “masculine” pour coller aux stéréotypes et faire une croix sur les choses dites plus “féminines”, comme le maquillage ou certains vêtements… », retrace le Québécois.

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Mais avec la détransition, les symptômes de sa dysphorie de genre sont revenus, et Loukas a finalement recommencé à prendre des hormones masculines. « En ce moment, je suis 50% garçon, 50% fille. Je suis bien dans un corps plus masculin, j’adore mon corps sous testo. Ce qui change, c’est mon genre. Même en tant que fille, j’aime avoir une voix plus grave, une pomme d’Adam… ».

Et qui sait, peut-être que cela rechangera dans quelques années. Comme le dit Denise Médico, « en termes d’identité, on n’est jamais arrivé ».