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Gaza : le cybermilitantisme en temps de guerre
Jour 43 du conflit israélo-palestinien. Mon fil d’actualité, tout comme le vôtre, peut-être, s’est transformé ces dernières semaines en un véritable champ de bataille, où les horreurs quotidiennes s’entremêlent aux instants plus légers, oscillant entre un chien savant, un kickflip et des ados estropiés émergeant des décombres dans une forêt de cris. Bref, la guerre à Gaza se déploie sans concession dans le creux de ma main.
Pour appréhender cette nouvelle réalité algorithmique, il est essentiel de se pencher d’abord vers les canaux de diffusion en plein essor sur Instagram. Des comptes tels que Motaz Asaiza (14,6 millions d’adeptes), Plestia Laqad (3,6 millions) et Eye on Palestine (8,9 millions) illustrent chacun à leur manière un nouveau souffle journalistique qui s’adapte parfaitement aux plateformes de diffusion contemporaines. Ces derniers éclipsent même, par leur approche immersive, la portée des médias traditionnels. En diffusant en temps réel et sans filtre leur travail sur le terrain, ils mettent en lumière une perspective certes subjective, mais beaucoup plus directe et immédiate de l’information. Après tout, jamais nous n’avons vu un journaliste de la BBC devoir se contenter d’une portion rationnée comme repas.
Les Gazaouis, captifs de leur enclave comme de l’Histoire, tournent et diffusent leur quotidien au reste du monde. Spectateur impuissant, ce dernier observe et propage, solidaire comme il le peut, s’engageant par l’acte de partager.
Le vent de soutien a effectivement changé. Initialement marquée par l’indignation en raison de l’ampleur de l’attaque terroriste du Hamas sur le territoire israélien, l’opinion publique a progressivement dévié face au carnage punitif du gouvernement de Netanyahou, laissant le public médusé. Après le choc initial, on observe Gaza en ruines sombrer un peu plus chaque heure.
Au fil des jours et des stories, un manichéisme s’est cristallisé, découlant du lent désespoir ressenti à scruter en temps réel, depuis notre confort, un peuple être anéanti au profit d’une superpuissance soutenue par d’importants alliés, parmi eux le gouvernement que nous avons élu.
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Les militants inattendus
Mais suis-je le seul à avoir ressenti un certain malaise lorsque, par exemple, un humoriste m’ordonnait de boycotter certains produits dans un supermarché ? Au début du conflit, la prolifération d’informations et de désinformations semblait revêtir une teinte marquée de militantisme performatif. Je voyais des DJ, des acteurs, des tatoueurs et autres artistes en vue, réputés pour leur habileté à gérer leur image en ligne et qui, par ailleurs, brillaient par leur apolitisme, se transformer soudainement en micro-influenceurs de conflit, se plaçant à l’avant-scène de toutes les malheurs du peuple palestinien. De voir ces petites vedettes du web s’accaparer ainsi le sujet de l’heure me laissait des plus perplexes.
Fini les médias traditionnels, c’est désormais Olivier ou Camille qui me retransmettent les nouvelles de l’invasion israélienne avec des cartes provenant de drones et des infographies sur les liens entre les multinationales et l’État hébreu.
Sentiment peu noble, mais je me suis retrouvé à douter de la crédibilité d’une peintre ou d’un cuisinier hip s’improvisant tout à coup reporter de guerre à domicile. Le risque de se livrer à un cybermilitantisme de surface, instrumentalisant un conflit complexe à des fins de promotion personnelle, me paraissant aussi réel que perfide.
Puis, un constat m’a frappé : cette vaste campagne de sensibilisation, qu’elle soit sincère ou non, n’était ultimement pas un coup d’épée dans l’eau, car l’intention demeure d’informer et d’éclairer ses semblables. Sous l’influence du panoptique virtuel, nombreux ont dû ressentir une incitation à y apporter leur contribution. Célébrons la pertinence des médias sociaux lorsqu’ils en sont dignes. Devant l’accumulation de pertes humaines, c’est le moins que l’on puisse faire.
Car la conjoncture actuelle met en évidence des médias d’envergure contraints par les orientations politiques de leur pays. Une analyse rapide des chaînes occidentales révèle que la prétendue « propagande » sur Instagram reflète de manière bien plus authentique la réalité vécue par les habitants de Gaza. L’abondance d’images en ligne, tel un tourbillon, expose un déferlement de souffrances. Les preuves d’une catastrophe humanitaire sont si nombreuses qu’elles sautent aux yeux, pour ne pas faire de mauvais jeu de mots.
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Sur les plateformes, les phénomènes de chambres d’écho sont manifestes, créant ainsi des espaces où l’on prêche essentiellement entre convertis. Cependant, cette campagne de persuasion ne semble pas aussi motivée par le désir de renforcer son capital social, comme cela a pu être le cas par le passé, notamment avec le mouvement Black Lives Matter. Au contraire, elle semble guidée par une quête de vérité, car pour la première fois, nous avons un accès privilégié et intime à une zone de conflit. Il suffit juste de chercher un peu, ou de se faire aider.
Prendre position
La reprise des hostilités au Proche-Orient cause des remous importants aux quatre coins de l’occident et la France n’y échappe pas. Des lieux de savoir et de culte sont pris pour cible, les tensions se propagent sur les campus et dans la rue. Le climat est tendu, et la mondialisation du conflit ne fait qu’accentuer la prise de position.
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D’un océan à l’autre, les rues se noircissent de citoyens appelant à un cessez-le-feu. La fin de semaine dernière, je me suis retrouvé au centre d’une immense foule arborant autant de drapeaux palestiniens que de téléphones. Montrer sa présence, autant dans le réel qu’en ligne, devient plus qu’une simple manière de soutenir la cause, cela prend la dimension d’un « acte de guerre ».
Daphnée, qui publie 10 stories par jour, a évidemment une influence marginale dans une histoire qui perdure depuis 1948. J’espère qu’elle n’entretient pas d’illusions en pensant que les frappes cesseront grâce à son cri du cœur. Cependant, même si sa contribution demeure modeste, sa voix, unie à celles de milliers d’autres, peut avoir un poids démocratique.
Partager du contenu pertinent devient une forme de dissidence populaire.
À une époque où la position de l’électorat sur les réseaux sociaux revêt de plus en plus une dimension de premier plan, Emmanuel Macron semble avoir esquissé, la semaine dernière, pour la première fois, une nuance subtile dans son discours : « De facto, aujourd’hui, des civils sont bombardés. Ces bébés, ces femmes, ces personnes âgées sont bombardés et tués. […] Nous exhortons donc Israël à arrêter », a-t-il déclaré à la BBC. Avant, sans surprise, de se faire malmener par le premier ministre israélien.
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Avec la multiplication des pétitions et des manifestations à l’échelle mondiale, une partie croissante du corps social, aujourd’hui représenté de manière prépondérante dans le numérique, veut jouer un rôle. Bien que ces tactiques révèlent également des limites quant à leur efficacité pour générer un changement concret, s’inscrire dans cette campagne équivaut à faire dévier le miroir de soi vers quelque chose de plus grand.
Au-delà de la partisanerie confessionnelle, les gens aspirent simplement à se trouver du bon côté de l’histoire.
La seule question qui persiste est la suivante : que dirons-nous à nos enfants?
– Papa, c’était comment quand Gaza s’est fait raser ?
– Je postais des photos des manif en criant « Libérez la Palestine ! », puis je poursuivais à la maison en partageant des photos d’enfants empoussiérés.
– Est-ce que ça a marché ?