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Gagner la présidence des États-Unis grâce aux influenceurs ?

Du Gluck Gluck 9000 à Kamala Harris.

Par
Clément Hamelin
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Qui aurait cru que l’instigatrice de la très populaire technique de fellation, le Gluck Gluck 9000, serait un jour assise en face de la vice-présidente des États-Unis pour discuter des droits des femmes et de l’accès à l’avortement ?

Ça s’est pourtant concrétisé lorsque Alexandra Cooper a invité Kamala Harris à son podcast, Call Her Daddy, soit l’un des podcasts les plus écoutés au monde.

Cette interview est toutefois loin d’être un coup de tête de la part de l’équipe Harris. Au cours des derniers mois, la candidate à la présidence des États-Unis et son adversaire Donald Trump ont multiplié les grandes entrevues menées par des podcasteurs.

Sauf que dans le cas Kamala Harris, son passage à Call Her Daddy détonne du format auquel elle s’astreint habituellement.

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Si, jusqu’à tout récemment, ses apparitions se faisaient discrètes et calculées, en acceptant une entrevue de 40 minutes sur le célèbre podcast, la démocrate envoyait un message clair au clan Trump qu’elle aussi pouvait jouer le game du web. Une incursion qui n’a d’ailleurs pas du tout plu à l’ancien président, comme en témoigne sa plus récente apparition au podcast des très populaires Nelk Boys.

Est-ce qu’on assiste à une nouvelle ère politique ?

Cette fameuse époque où les politiciens serraient des mains et embrassaient des bébés est-elle terminée ? Et ces nouvelles interviews menées par des podcasteurs qui n’ont souvent aucune expérience en matière d’entrevues avec des figures politiques sont-elles vraiment efficaces pour amener les électeurs aux bureaux de vote ?

« Oui, je pense que c’est efficace si on choisit les bons intervenants, les bons animateurs et les bonnes émissions. Si l’élection de Barack Obama en 2008 marquait l’arrivée de la politique sur les réseaux sociaux, l’élection de Trump en 2016 correspond à “l’élection Twitter”. Les influenceurs ont un rôle à jouer dans les élections, c’est une nouvelle réalité », observe en entrevue Valérie Beaudoin, chercheure associée à la chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM et animatrice du podcast Miss America.

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Un point de vue que partage aussi le stratège en communication Louis Aucoin : « Juste leur présence dans ce genre de podcast, ça envoie un message extrêmement fort. C’est comme dire aux électeurs : ‘‘Ce qui vous intéresse m’intéresse aussi’’, et c’est comme ça que les gens votent, maintenant. On ne regarde plus les programmes électoraux, on choisit ceux qui défendront le mieux nos intérêts. »

Si l’on compile les six dernières participations de Donald Trump à de longs entretiens sur YouTube, on atteint, au moment d’écrire ces lignes, un total d’environ 57 millions d’écoutes.

« On pourrait choisir de privilégier ces émissions-là pour éviter d’avoir à parler de politique, mais je pense que le travail des politiciens, c’est aussi de trouver une manière de rejoindre un autre public auquel ils n’auraient autrement pas accès. C’est une bonne question qu’ils devraient se poser : “Si je ne rejoins pas un certain public à travers les médias traditionnels, est-ce que je n’ai pas la responsabilité d’aller sur ces podcasts ?” », me fait remarquer Louis Aucoin.

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Hormis son passage à Call Her Daddy, Harris s’en tient pour sa part au format d’entrevue plus traditionnel comme celui de la populaire émission 60 minutes au cours de laquelle le journaliste Alex Cooper (à ne pas confondre avec Alexandra Cooper, qui n’a pas de moustache) s’est fait un devoir de la reprendre lorsqu’elle ne répondait pas à ses questions. Une attitude qui explique d’ailleurs sans doute que Trump ait décliné de se prêter à l’exercice, s’opposant à ce que les journalistes le fact check tout au long de l’entrevue.

Trump préférerait-il le format podcast justement pour son côté plus libre, mais décousu ?

« Ce genre d’entrevue [podcast ou YouTube], c’est payant parce qu’on voit un côté différent du candidat. Ce n’est pas une entrevue aseptisée comme à la télé. Les politiciens ont plus de liberté de parole et de temps pour expliquer leurs idées. Ils rejoignent aussi un public qui préfère consommer l’actualité de cette façon », résume Valérie Beaudoin.

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Mais Call Her Daddy sera-t-il un pivot pour la campagne Harris ?

Dès le début de sa campagne, on a rapidement compris que la stratégie du clan Harris était de miser sur les influenceurs provenant de toutes les sphères.

Plus de 200 créateurs de contenu ont reçu des accréditations pour assister à la convention démocrate du mois d’août dernier.

Malgré cette offensive numérique combinée à de grandes entrevues données par Harris et son colistier Tim Walz, le débat télévisé et le soutien de la chanteuse Taylor Swift, pourquoi est-ce que le passage de Harris au podcast d’Alexandra Cooper retient autant notre attention ?

« Je pense que Call Her Daddy était un excellent choix pour Kamala Harris. C’est un podcast qui s’adresse à un public féminin, à des jeunes et le fait que cette controverse, ça fait parler de Kamala Harris et d’enjeux comme le droit à l’avortement, c’est une bonne chose. »

Mais pourquoi une controverse ? Je vous explique.

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À la base, Call Her Daddy n’est pas un podcast où il est question de politique (évidemment), contrairement aux podcasts où l’ancien président a choisi de faire des apparitions. En plus, les animateurs de ces podcasts s’étaient souvent déjà positionnés en faveur du camp Trump.

Alexandra Cooper et son équipe étaient très conscientes de cette rupture de ton, introduisant ledit épisode avec un justificatif de 5 minutes. Une démarche qu’aucun de ses homologues masculins n’a eu à faire. Je vous laisse méditer là-dessus.

Avec sa communauté de fans très engagés, le Daddy Gang, Call Her Daddy prenait un risque immense en invitant la candidate à la Maison-Blanche.

« En ce moment, ce que le clan Harris tente de faire, c’est deux choses. Tout d’abord, encourager les femmes à voter, le 5 novembre prochain. Aux États-Unis, sur la liste électorale, il y a environ 10 millions de femmes de plus que d’hommes, remarque Louis Aucoin. Ensuite, il tente de charmer une branche républicaine plus modérée. »

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La course au clout et ses risques

Ce n’est donc pas un hasard que l’on voit ce genre de cascades se multiplier, à moins d’un mois du scrutin. Mais à quel prix ?

Si on se fie à un recensement publié par le magazine Wired en août dernier, le clan Trump menait, jusqu’à tout récemment, la course de l’attention numérique.

En acceptant ce type d’entrevue avec des géants du web tels que Logan Paul (32 millions d’abonnés toutes plateformes confondues), les Nelk Boys (17,1 millions sur Youtube, Instagram et TikTok), Elon Musk (200 millions sur X) et l’humoriste Theo Von (17 millions sur YouTube, Instagram et TikTok), Trump et J.D. Vance, son colistier, se bâtissaient un véritable monopole sur les plateformes d’écoute.

Toutefois, une apparition sur la chaîne du streamer Adin Ross vaudra à l’ancien président de se retrouver à son tour au cœur d’une controverse. Outre le fait que le jeune homme reçoit régulièrement l’influenceur et présumé trafiquant d’êtres humains Andrew Tate, le streamer a également couvert l’ancien magnat de l’immobilier de cadeaux, tels un cybertruck et une montre Rolex, excédant le montant limite qu’un individu peut investir dans la campagne d’un candidat à la présidence.

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« Les lois électorales américaines sont vraiment différentes des nôtres. Il y a beaucoup moins de transparence, parce que des organisations parallèles peuvent payer des gens pour faire du lobbying auprès des politiciens », m’explique la chercheure Valérie Beaudoin.

Outre les petits cadeaux empoisonnés, l’équipe de Trump a pris d’assaut les tribunes des créateurs de contenu s’adressant principalement aux hommes afin de les inviter à s’inscrire à la liste électorale. Une tactique très frontale, et même très assumée lors de son dernier passage à l’émission des Nelk Boys alors qu’il invitait directement les jeunes hommes de leur audience à s’inscrire.

Une tactique qui diffère de celle du clan Harris, qui tente de rejoindre des audiences plus larges. Après tout, Harris en a plus besoin, l’ancien magnat de l’immobilier surpassant la vice-présidente de 86 millions d’abonnés, toutes plateformes confondues. Son audience, il l’a déjà.

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Nos feeds n’ont pas fini de s’épancher sur le combat électoral ayant lieu au sud de la frontière, surtout avec cette rumeur voulant que Trump soit bientôt de passage au podcast de Joe Rogan, un adversaire de taille en matière d’audience. Reste à voir si ces entrevues seront suffisantes pour mettre les jeunes Américains en marche vers un bureau de vote. Dans le cas contraire, ça confirmera peut-être l’idée voulant que la joute politique se déroule encore dans l’arène réelle.