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Finir ses études au lieu d’en finir

Et briser le silence.

Par
Cynthia Noury
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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.ca en 2013. Il a été mis à jour et adapté pour urbania.fr par la rédaction mais certains exemples et statistiques ne sont plus forcément à jour. Néanmoins, il nous paraissait important de publier à nouveau ce texte qui fait écho aux réalités que certain.es étudiant.es traversent encore en 2021.

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Quand je relate mes années à l’université, les beaux moments me viennent tout de suite en tête.

J’ai tendance à balayer mes difficultés sous le tapis et je ne suis pas la seule. Le temps est venu de lever le tapis, parce que pour plusieurs les études s’accompagnent aussi de stress, d’anxiété, de dépression et de suicide. Et ça aussi, il faut en parler.

J’étais de retour à la maison pour les vacances des fêtes après mon premier semestre d’université. J’avais essayé d’être une superwoman : tenter d’obtenir les meilleures notes pour maintenir une bourse, m’impliquer pour garnir mon CV, parcourir des centaines de kilomètres les weekends pour aller voir mon copain, ma famille, mes amis… Il y avait aussi un côté sombre à jouer les super héros : stress, insomnie et migraines. J’aurais malgré tout dû rentrer la tête haute, impatiente de partager mes petites victoires avec mes proches. J’avais plutôt la mine basse et je n’avais envie de parler à personne. J’étais au bout du rouleau.

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Ce soir-là, ma mère a frappé à la porte de ma chambre m’invitant, pour la énième fois, à venir dîner avec le reste de la famille. Je me suis énervée et j’ai refusé, baragouinant des trucs pas très gentils. Elle est ressortie les yeux pleins d’eau. De nouveau seule dans ma chambre, ma conduite m’a révoltée ! J’aurais voulu aller m’excuser, mais ça me paraissait impossible tellement j’étais exténuée. Dans un instant de désespoir, j’ai eu le sentiment que je rendrais service à tout le monde si je disparaissais. C’était la première fois que j’avais une pensée aussi sombre. C’était assez pour me faire peur. Assez pour me pousser à réévaluer mes priorités et à aller chercher de l’aide pour reprendre le contrôle de la situation.

À chaque étudiant son histoire

Je me sentais alors très seule dans mon désarroi. Et pourtant… J’étais loin d’être seule. En réalité, chaque étudiant a sa propre histoire.

D.J. avait 19 ans et débutait la deuxième année de sa formation en radio lorsque son moral en a pris un coup : « C’était comme si mon cerveau s’était éteint. Je me rendais en cours, puis je passais la journée à regarder le plafond. Je n’avais plus la motivation de continuer. Je faisais un stage dans une station de radio, mais j’avais l’impression que ça n’irait nulle part. » Il a finalement décroché et a laissé tombé la radio pour travailler dans une compagnie de location de voitures. La situation est devenue insoutenable lorsque sa tante est décédée et que sa mère a entrepris une lutte contre le cancer. « Je suis entré dans un état d’esprit où je me suis dit: ‘’Ça y est, c’est fini. Ça ne vaut pas la peine de sortir de chez moi demain matin.’’ Ce n’était pas une décision consciente », ajoute-t-il les yeux humides.

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Il s’est rendu chez une amie pour voler les médicaments qu’il comptait ingérer pour mettre fin à ses jours. « Elle m’a pris sur le fait. J’ai voulu partir, mais elle a fermé la porte à clé et m’a gardé avec elle pendant quatre jours. On a parlé du suicide ouvertement, on a fait le tour de la question ». Il poursuit la gorge serrée: « Après ces quatre jours, j’avais l’impression d’avoir une amie qui tenait vraiment à moi. Elle m’a sauvé. Elle m’a permis de croire que quelque chose de bien allait m’arriver. » Et elle avait raison. D.J. est de retour à la radio et sa mère est en pleine forme.

Les étudiants plus que les autres ?

Au cours des dernières années, les médias internationaux ont rapporté quelques séries de suicides dans les universités : six morts en autant de mois à la Cornell University aux Etats-Unis, cinq suicides rapprochés dans une prestigieuse université de Corée du Sud, six morts incluant quelques suicides en un an environ à Queen’s University au Canada… Ces chiffres, souvent présentés hors contexte, s’additionnent dans notre imaginaire collectif, créant parfois l’impression que les étudiants universitaires sont particulièrement à risque. Des études menées en Angleterre et aux États-Unis ont cependant révélé que le taux de suicide chez les étudiants universitaires serait le même, voire moins élevé, que celui des jeunes du même âge qui ne sont pas sur les bancs d’école.

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Remonter la pente

La route vers la guérison peut être aussi longue et complexe que celle vers le suicide. « Ce qui ne tue pas nous rend plus forts », m’écrit Jasmine* dans l’un de ses mails. Tout comme D.J., la designer graphique dans la mi-vingtaine a appris ce dicton à la dure. Elle avait 17 ans lorsqu’elle a tenté de se suicider: « J’avais perdu mon copain alors qu’on pensait faire notre vie ensemble et j’ai réalisé que ce que je faisais à l’école c’était nul. C’était un échec pour moi. C’est dur à cet âge-là de faire des choix qui te définiront pour le reste de ta vie. » Un soir, elle a craqué. « J’étais saoule et désespérée. J’ai agi sur le moment. Je ne voulais pas vraiment mourir, je voulais arrêter d’avoir de la peine et que quelqu’un s’occupe de moi. » Elle a avalé un pot de pilules et s’est réveillée à l’hôpital le lendemain: « C’était la pire journée de ma vie. La honte, la colère, le mal aussi. J’avais les reins en feu. » Ses amies l’ont aidée à se remettre sur pied, Rebecca* en particulier. Elle est décédée dans un accident de voiture un mois plus tard. « Tous mes espoirs sont partis en même temps qu’elle », explique Jasmine.

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Elle a malgré tout tenu bon et a poursuivi ses études tout en remontant la pente: « L’aide psychologique m’a été d’un grand secours. J’ai aussi arrêté de boire pendant 6 mois. Il fallait que je m’éloigne des choses et des gens qui me déprimaient, parce que malgré toute ma volonté, je restais fragile. » Sept ans plus tard, il lui arrive encore de penser au suicide: « Il y a eu des moments difficiles, mais je me suis toujours dit que je ne me suiciderais pas par respect pour Rebecca. » Elle termine notre échange sur un autre dicton: « J’ai appris à me connaître, à être seule et l’apprécier. Comme on dit, il faut s’aimer soi-même dans la vie avant d’aimer qui, ou quoi que ce soit. Ça ne se fait pas du jour au lendemain. »

Jasmine reconnait qu’elle a eu « besoin de se rendre vraiment bas » avant d’aller chercher de l’aide. Un conseiller psychologique me confie, sous le couvert de l’anonymat, que les étudiants sont si nombreux à franchir la porte de son bureau que son équipe ne parvient plus à répondre à la demande. Comme Jasmine, la plupart des étudiants universitaires attendent que la situation devienne insupportable avant de le contacter. Pourquoi ? « Parce que, m’explique-t-il, bien que les mentalités évoluent, un tabou persiste. »

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Briser le silence

Il m’a fallu tout mon courage pour me dévoiler dans l’introduction de ce texte, pour mettre à jour toute la poussière cachée sous le tapis. Les volontaires ont été nombreux lorsque j’ai sollicité de l’aide pour cet article, mais le plus souvent sous le couvert de l’anonymat. Qui a envie de crier au monde entier qu’il a déjà eu des problèmes de santé mentale ou tenté de s’enlever la vie ? « L’idée de se voir graver “Ça ne va pas là-dedans!’’ sur le front est effrayante, confesse D.J. Ça fait peur de penser que cette étiquette va peut-être nous coller à la peau. » Il préfèrerait que son entourage ne voie que son côté joyeux et pétillant, mais le désir de faire avancer la cause l’emporte. « Si je sens que quelqu’un est déprimé, je vais veiller sur lui. Je vais partager ce que j’ai vécu, parce qu’en parler ouvertement ça fait vraiment une différence », conclut-il.

Les étudiants en médecine plus touchés

Selon plusieurs recherches, les étudiants de médecine souffrent davantage de problèmes de santé mentale que le reste de la population. Environ 50% des étudiants de médecine auraient fait un burnout et 10% auraient eu des idées suicidaires. Même s’ils ont en apparence un meilleur accès aux services de soin, ils seraient moins nombreux à aller chercher de l’aide que le reste de la population. Certaines études suggèrent que c’est parce qu’un tabou persiste à propos des troubles de santé mentale dans le domaine: de nombreux étudiants de médecine auraient peur de nuire à leur carrière s’ils révèlent leurs difficultés.

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Les chiffres obtenus par différents syndicats d’étudiants en médecine, publiés ce mercredi 27 octobre 2021, indiquent notamment que près de 40% des interrogés souffrent de symptômes dépressifs. Comment en sont-ils arrivés là ? Le temps de travail trop important ou encore la maltraitance au sein des hôpitaux sont pointés du doigt comme éléments déclencheurs comme l’explique Libé.

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Si vous avez besoin d’aide ou si vous êtes inquiet pour l’un de vos proches, contactez le Numéro National Souffrance et Prévention du Suicide Une écoute professionnelle et confidentielle 24h/24 • 7j/7 : 31 14

* Les prénoms de certains participants ont été modifiés pour préserver leur anonymat.