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Finale de la Star Academy : on y était (en mode incognito)
17h20. En route pour le studio, entre Aubervilliers et Saint-Denis. Je pars de ma formation d’éducation aux médias précipitamment. J’ai enfilé rapido presto un haut orange pétant dans les toilettes. Dress code élégant et couleurs vives oblige. C’est parti pour 40 min de métro.
On est convoqué.e.s à 19h au studio pour assister au dernier prime de cette saison de la Star Académy. What an event ! L’émission a repris en octobre, 20 ans après ses débuts et ça cartonne. Quatre élèves sont en finale et vont s’affronter ce soir. Il y a Enola, la bonne camarade et l’élève sérieuse qui vient de la comédie musicale, Louis, le jeune homme qui s’assume et qui a fait du tri du côté de la masculinité toxique, Léa, la diva humoriste de cette saison et Anisha, l’académicienne discrète et talentueuse.
J’ai reçu l’invitation lundi soir, avec un petit cri de surprise. Pour y assister, il suffisait d’inscrire son nom à un tirage au sort. Je n’y croyais pas vraiment et pourtant me voilà, une semaine plus tard, prête à passer sept heures d’affilée débout. Je suis joie et fatigue d’avance. Le mantra de cette soirée sera : il faut souffrir pour y assister.
Mon amie, Emma, m’attend sur place, depuis 17h, dans le froid. En arrivant, je me glisse dans la file. Un vigile débarque et hurle “FINALEMENT RDV DEVANT LA PORTE DE L’AUTRE CÔTÉ”. Et là, ça ressemble beaucoup à un mélange entre deux scènes : celle du début des soldes et de la poursuite d’un voleur à l’arraché. Les fans y mettent leurs tripes et courent pour arriver les premiers. “Eh y’en a qui attendent depuis plus d’une heure, c’est n’importe quoi, vraiment c’est abusé”, hurle un gars en costard. Ma pote n’en pense pas moins. Après plus d’1h20 dans le froid, voir sa place remise en jeu l’agace fort. La tension monte, l’enjeu de cette soirée est énorme. J’ai le sentiment d’assister à l’annonce des résultats de l’élection présidentielle.
Dans la queue, c’est ambiance collé-serré à la Patrick Sébastien. Mais ça réchauffe. Alors comme dit la dame devant moi “on ne peut pas avoir de l’espace et avoir chaud”. Entre elle et moi, en tout cas, une forme de promiscuité s’est installée : j’ai la tête dans sa capuche en fourrure. À l’aise. Au bout de quelques minutes à peine, Mathilde, la fille à ma gauche, en a déjà marre. “Je vais perdre mes orteilles”. Il fait 8 degrés, ressenti -8000. Je me demande déjà ce que je fais là, au lieu de regarder le prime sous un bon plaid, au chaud.
Mathilde est venue pour accompagner sa sœur, fan de l’émission. “J’ai pas tellement regardé mais j’imagine que l’expérience sera cool”, explique-t-elle. Sa sœur, en revanche, a regardé toutes les quotidiennes. Elle supporte Enola. Ses yeux brillent lorsqu’elle en parle.
Au bout de la queue, je montre l’invitation et on accole un tampon rouge ignoble sur mon poignet. C’est la preuve que mon identité a bien été vérifiée. Vient alors sûrement le moment le plus difficile : la séparation avec mon téléphone. Car, à partir de cette pièce qu’on appelle “vestiaire” —je tiens à vous préciser que cela ne ressemble pas plus à un vestiaire qu’à un gymnase — nous n’avons plus le droit aux portables. Il est 19h.
7 heures sans téléphone
Je me sens dépouillée. Je n’ai aucune idée de comment les quatre académiciens restants ont pu tenir ces six semaines privés du leur. Je glisse deux petits morceaux de papiers et un critérium dans ma poche et passe la sécurité, angoissée à l’idée qu’on me retire ces objets précieux pour ma prise de notes. À ce moment-là, c’est parti, j’enfile ma cap d’invisibilité. Je ne suis qu’une fan du programme. (Clin d’oeil)
On récupère un sandwich et une bouteille d’eau, en plastique. Pas très écolo. Il y a trois types de sandwich : végétarien, thon, jambon. Le végé n’est pas si mauvais que ça, je suis agréablement surprise. Je l’engloutis alors qu’on fait à nouveau la queue. “Je ne suis jamais venu avant parce que cimer l’attente”, lâche la personne devant moi, à celle d’à côté qui répond : “Ouai en vrai c’est une épreuve”. Rassurant.
“Omg j’ai croisé Laure!!!”, s’exclame une adolescente en folie qui revient des toilettes. “Elle était comment ?”, “tu lui as parlé ?”, etc. Les questions fusent à propos de Laure Balon, la professeure d’expression scénique de l’émission. Mais tout le monde se tait, les portes s’ouvrent, ça pousse de tous les côtés.
J’arrive enfin… dehors. Retour à la case départ. Il faut rejoindre le studio, un peu plus loin. Avec Emma, on court. Dernière vérification du tampon sur nos poignets et on entre enfin dans le studio. Il est 19h30 et on se retrouve tout devant, à gauche de la scène. Clotilde est elle aussi arrivée dans les premières. Elle considère que la Star Ac, c’est “enfin une vraie téléréalité, c’est une école de chant, de théâtre, de danse, etc”. Et c’est vrai que ça change des Marseillais. “Je les suivais, en direct, dès que je pouvais”. Grâce à son abonnement, Clotilde a eu accès au Live durant toute la saison. “J’ai l’impression de vivre avec eux, de les connaître comme mes collocs”.
À côté de nous arrive un groupe de quatre personnes. Parmi eux, Clara, la meilleure amie de Louis qui était venue lui faire une surprise lors du deuxième prime sur la chanson “Un roman d’amitié”. Elle est avec les cousins de Louis. Ils portent des tee-shirts avec sa tête. “Si on était pas ses cousins, ça ferait un peu beauf quand même”, lâche l’un d’eux. Et je confirme..
Je me lance et interroge rapidement Clara sur Louis. “À 8 ans, chez sa nounou il regardait l’émission et il était déjà fan, il avait appris le générique par coeur. Moi je ne connaissais même pas”. La conversation est brève. Clara n’est pas super ravie d’être dans le public. Elle aurait préféré se trouver du côté des proches. Mais ils ne pouvaient être que cinq.
D’un coup, un gars arrive sur scène : c’est Rémi, le chauffeur de salle. Il est là pour nous guider pendant le prime et l’avant-prime. C’est lui qui nous lance sur les applaudissements, sur les silences, sur les va-et-vient des bras. C’est un peu notre coach.
Il annonce qu’on va enregistrer des bouts de l’émission en avance. Ah ok, sympa la transparence sur le direct. Il nous demande de chanter l’hymne. Là, cafouillis général, personne ne chante la même chose. Il fait monter un inconnu au hasard sur la scène. C’est Bradley et je compatis fort parce qu’il va devoir chanter en playback devant tout le studio, y compris les professeurs.
La chargée des réseaux sociaux arrive, demande à Bradley de se pousser sur le côté. Le mec a aucune idée de ce qu’il fait sur scène. Les élèves arrivent pour filmer un TikTok avec le public. Il est 20h18. Des cris me font sursauter. C’est qu’il faut être aux aguets ici. Tous les anciens de la saison débarquent sur scène, tout le monde hurle. On retrouve Bradley, un quart d’heure plus tard, terrorisé. Il prend le micro. Commence à chanter. Et autant vous prévenir, il ne fera pas partie de la prochaine saison annoncée.
À 20h40, on commence le pré-enregistrement de “Lettre à France” chantée avec Polnareff. Il ne sera donc pas présent sur le prime. On se demande d’ailleurs pourquoi il est venu : il a chanté 3 phrases. Et vous comprenez maintenant pourquoi Anisha a les cheveux secs sur cette presta après avoir pris la pluie avec Soprano. Pour l’enregistrement, interdiction d’applaudir. On le fera au moment du lancement, en direct. Sur le côté, les académiciens échangent entre eux. Enola, elle, révise dans son coin.
On enchaîne avec le solo de Nolwenn Leroy qui endort un peu la salle avec son titre. Je manque de m’étouffer à cause de la fumée diffusée au sol qui m’arrive directement dans la figure pendant trois longues minutes. Christophe Maé, lui, recommence trois fois son départ. Pendant ce temps-là, en douce, la famille de Léa arrive avec 2h de retard. Soprano enregistre lui aussi son titre. Il enflamme le public. Il est 21h35, ça sent déjà la transpiration, j’ai les jambes qui me tirent et je suis à deux doigts de m’embrouiller avec le gars à côté de moi qui pose ses coudes sur la scène pour me pousser.
I wanna sit (déjà)
Avant le direct, les techniciens installent le décor pour le titre “I wanna dance with somebody” que l’on va aussi pré-enregistrer. Je me retrouve avec un paquet de ballons et deux énormes boules à facette juste devant moi. Résultat, je ne vois rien de toute la chanson.
10, 9, 8…3, 2, 1. “Ne partez paaaaas sans moiiiii”. C’est l’hymne qui ouvre le prime, ça y est on est en direct. Mais ça ne dure que deux minutes car immédiatement Nikos lance la pub. Pendant que des publicités défilent sur vos écrans, la pause dure seulement deux courtes minutes chez nous. Le temps pour les techniciens de balayer les confettis qui viennent de jaillir sur scène et de mes les envoyer dans la figure. Je me sens dans une poubelle géante. Et c’est peu dire, car au même moment, mon voisin aux coudes envahissants lâche son sandwich par terre. Au calme.
Derrière nous, il y a les élèves. Julien fume sa cigarette électronique sur le plateau et essaye de capter le regard de potentiels fans. Pas de bol, les gens autour de nous n’ont d’yeux que pour les finalistes et… Stan, le vrai beaugosse de cette saison. Vient alors, le duo entre Léa et Lara Fabian. J’hurle comme tout le monde les mythiques “Je t’aiiiiiime”. La prestation est impressionnante. Mais c’est un nouveau bol de fumée pour moi. Je commence à tousser sérieusement. J’ai comme l’impression qu’on essaye de me faire taire.
Melissa et sa mère, Yasmina, agitent des petits cartons pour Enola et commencent elles-aussi à envahir l’espace dans notre dos. La Star Ac c’est “une passion familiale”. Melissa porte au cou une des mini platines Star Ac que l’on obtenait dans les happy meal à Mc Donald en 2005. Je me lance dans un échange timide et lui confie que j’avais les mêmes mais que ma maman a dû les jeter. Je me fais fusiller du regard. La mère dégaine avec dédain son pire reproche : “Pourquoi elle l’a jeté ?! Il faut pas jeter, c’est n’importe quoi !”, avant d’ajouter “faut au moins donner”. Je suis bouche-bée. Je ne m’attendais pas à recevoir une leçon de seconde main ce soir.
“Une fois que je suis ici, dit-il en indiquant la scène, je me sens tellement bien, tellement moi”.
Louis chante un superbe titre avec Christophe Maé, tout s’enchaîne. Sauf que j’ai mal aux jambes, impossible de les bouger ou de les plier. Je suis bloquée contre la scène. Je me réconforte quand à la pub, Louis vient se confier à ses proches. “J’ai trop peur.” Il est accroupi, à quelques centimètres à peine de moi. Je fais ma groupie et lui lâche qu’il est un exemple pour beaucoup de petits garçons. Bam, j’obtiens un sourire. “Une fois que je suis ici, dit-il en indiquant la scène, je me sens tellement bien, tellement moi”. C’est l’heure de reprendre. “Tu es une star”, lui lance Clara.
Nikos appelle l’huissier habituel : Maître Simonin. Il va révéler le nom des deux grands finalistes. J’ai la boule au ventre. Derrière moi, tout le monde est figé. Yasmina croise fort les doigts. Il annonce le prénom d’Enola. Le public est on fire. Depuis le début du prime, il hurle en chœur “Enola, Enola, Enola” et ça continue. Louis se tourne vers moi. Enfin, vers sa pote Clara. “C’est fini, c’est mort”, lui chuchote-t-il. J’ai de la peine, il a l’air tout triste, il ne la quitte pas des yeux. Effectivement, Anisha est la deuxième qualifiée.
La production diffuse des images des proches d’Anisha qui s’apprête à chanter avec le parrain de la saison : Robbie Williams. C’est assez émouvant mais en réalité elle ne réagit pas vraiment. Enola interprète le titre “Si j’étais un homme”, et son père, très exigeant, lui dit enfin qu’il est “très” fier d’elle. Moi, j’ai une larme qui coule sur ma joue. C’est un mix de fatigue et d’hypersensibilité.
Sur le titre “Hallelluyah” chanté par Anisha, Yanis, le professeur de danse, écoute à peine. Il déplie son éventail et échange un clin d’œil avec Enola, complètement stressée. C’est clairement sa chouchoute. Et la mienne aussi. Du côté des académiciens, c’est l’hécatombe. Cenzo et Chris pleurent tellement que l’on dirait que quelque chose d’horrible vient d’arriver. Ça va aller les gars, plus que quelques minutes à tenir !
C’est le moment du dernier duo. Les filles vont s’affronter sur une chanson d’Abba traduite. J’ai le sentiment que la production nous spoile le résultat, car Enola prend le couplet “Bravo tu as gagné, et moi j’ai tout perdu”. Drôle de coïncidence…
Maître Simonin débarque à nouveau sur le plateau, enveloppe à la main. J’avoue : j’ai la boule au ventre. “Si Enola ne gagne pas, je m’effondre en larmes”, m’annonce cash mon amie. Roulement de tambour. “Ladies and gentlemeeeen”, commence à teaser Robbie. Derrière Nikos, je devine sur les lèvres que le public a réussi à lire le résultat. La grande gagnante est : ANISHA !!! On assiste alors à une sorte de flottement. Dans le public et auprès des autres académiciens, sa victoire a un goût amer. Ce n’est pas la réaction attendue par notre chauffeur de salle dans le public. Il relance les applaudissements beaucoup plus fort. Mon voisin, lui, est fou de joie. Il faut avouer qu’elle n’a pas déméritée. Michael Goldman, le directeur de l’école, reste fidèle à lui-même : tout sourire et le regard bienveillant. Anisha prend la parole, remercie la Star Académy mais les autres élèves s’agglutinent principalement autour d’Enola pour la rassurer.
Pas le temps de niaiser. Nouveau coup de balai de confettis. La grande gagnante enchaîne avec le titre que lui a écrit Camélia Jordana, encore tremblante du résultat. Nikos lance les artistes que l’on a pré-enregistrés plus tôt dans la soirée. Moi, j’attends que ça se termine. Je ne sens plus mes pieds, ni mes cuisses d’ailleurs. Ils filment la dernière séquence en direct. “C’est bon, c’est fini, merci pour tout les amis”, conclut Rémi. Et là, Enola vient nous voir, prend nos mains dans les siennes et nous remercie. Vingt minutes plus tard, j’ai enfin mon téléphone. Il est 1h50, je me retrouve dehors, dans la rue, à Aubervilliers, à attendre un chauffeur. Je me fais aborder par un soldat moldave qui cherche une prostituée. Et pour clôturer le tout : je choppe la crève. L’année prochaine, c’est décidé, je resterai dans mon canapé.